Pour la Revue Politique et Parlementaire, Olivier Soria, enseignant-chercheur à Kedge, revient sur les aspects sociaux et environnementaux du coronavirus.
Même si nous ne savons pas exactement l’origine de ce coronavirus, il apparait de plus en plus probable que son origine soit naturelle et non qu’il soit un virus fabriqué1. Le pangolin est un mammifère couvert d’écailles menacé d’extinction, dont la chair délicate est très prisée dans la gastronomie chinoise et vietnamienne. Ce mammifère fait l’objet d’un trafic international lié à la mondialisation de notre économie qui détruit des espèces animales devenues rares en Afrique comme au Gabon, pour satisfaire des consommateurs chinois à Wuhan, en Chine. Là où les Gabonais aiment la saveur de la viande de l’animal, considérée comme un met fin, les clients asiatiques s’intéressent également aux écailles qui recouvrent le pangolin. Utilisées dans la médecine chinoise, elles s’arrachent à prix d’or, « 1 000 dollars le kilo, plus ou moins comme l’ivoire », auprès des revendeurs illégaux en Chine, détaille Luc Mathot, directeur de l’ONG Conservation Justice, un prix qu’il juge « ridicule » puisque les écailles « sont faites de kératine, donc de l’ongle ».
Une aubaine pour les chasseurs d’Afrique centrale, qui considèrent le pangolin comme « la cerise sur le gâteau » quand ils partent avec pour cible un autre gibier, explique Pauline Grentzinger, vétérinaire du parc national de Lékédi. « Ils ne sont pas très farouches », explique-t-elle : « quand ils vous voient, ils se roulent en boule, il faut se baisser pour les ramasser… « Pourtant, le pangolin est une espèce qu’il est nécessaire de protéger, selon elle : « c’est une espèce peu apparentée à d’autres espèces et qui, en plus, représente des aspects uniques d’évolution, c’est le seul mammifère recouvert d’écailles ! »
Si le Nigeria et la République démocratique du Congo sont devenus des plaques tournantes du trafic d’écailles de pangolin, au Gabon, de façon plus informelle, des Chinois venus travailler dans les exploitations forestières s’intéressent aux écailles, estime Martin Hega, cadre scientifique et spécialiste du pangolin au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).
Le prix du pangolin gabonais, jusque-là consommé localement, a bondi ces dernières années, selon des chercheurs qui ont publié une étude sur le sujet en 2018 dans laquelle ils accusent le trafic international d’avoir dopé la demande.
Au Gabon, trois des quatre espèces africaines de pangolin vivent dans les forêts qui recouvrent 88 % du pays. Des normes strictes de protection de la faune ont été adoptées, et le pays a œuvré activement pour que le pangolin géant soit classé en 2016 comme l’une des espèces les plus menacées au monde et son commerce international interdit, affirme le ministre des Eaux et Forêts, Lee White2.
Ce qui est important de retenir c’est que ce sont des animaux sauvages qui sont à l’origine de ce virus et que leur transmission n’a été possible, d’une part, parce que les habitats de ces animaux ont été détruits par l’homme permettant ainsi une surexploitation d’une ressource naturelle, mais c’est aussi dans ces même endroits que la biodiversité a été détruite entrainant l’explosion de ce virus qui étaient avant combattues par d’autres espèces3, et d’autre part, notamment pour le pangolin, c’est un animal en voie d’extinction et qui bénéficie d’une protection internationale. Donc en aucun cas il aurait dû être mangé. L’exemple le plus frappant du rôle de la biodiversité dans la diminution des agents infectieux est celui de l’Inde avec la disparition massive des vautours4. Ces derniers ont péri par millier car les carcasses de vaches avaient ingurgité des produits phytosanitaires qui ont empoisonnés les vautours. C’est ainsi que la rage c’est multiplié en Inde.
C’est donc bien des causes écologiques qui sont à l’origine de cette pandémie.
Cette pandémie évidemment va entrainer une crise économique et financière internationale, mais surtout social. Outre, les nombreux travailleurs qui vont se retrouver au chômage, la réponse au confinement ne touche pas toutes les catégories sociales de la même façon. En effet, si les cadres peuvent facilement se mettre au télétravail ce n’est pas le cas des ouvriers qui eux sont obligés d’aller travailler, sauf en France où il existe un droit de retrait, mais qui est fortement contesté par le patronat. Nous assistons en pleine crise du coronavirus à des débrayages massifs dans de grandes sociétés, car les salariés ne veulent pas être exposés au virus sans protections qui sont le plus souvent inexistantes du fait d’une longue politique néolibérale de réduction des couts et des stocks. Cette politique néolibérale dans le secteur de la santé va se traduire dans les hôpitaux publics en France, par un manque de personnel criant, des salariés en burn-out du fait de conditions de travail très dégradées, des restrictions sur toutes les fournitures de soins dont les masques et les gants qui font défaut, obligeant le personnel des hôpitaux à travailler sans protection dans certains hôpitaux, notamment dans le nord de la France.
Le plus remarquable c’est la relation étroite entre risque environnementaux et précarité du travail. Dans les entreprises où le travail a été massivement précarisé, comme la grande distribution, notamment les caissières, que les mesures de protections sont inexistantes, obligeant, le plus souvent des femmes, à travailler la peur au ventre. De même, dans les centrales nucléaires où les travailleurs qui sont en retrait ont été remplacés par des intérimaires obligés de travailler s’ils veulent être payés. Aujourd’hui se sont les femmes qui sont en première ligne car elles occupent les fonctions les plus mal payées d’aide-soignante, infirmière ou aide à domicile et ceci sans protection ou très peu. Dès lors la pandémie qui trouve son origine dans la mondialisation de l’économie en détruisant toujours plus les écosystèmes, entraine des inégalités sociales auxquelles viennent se superposer des inégalités de sexe.
Cette relation étroite entre la protection de l’environnement et la protection des travailleurs n’est pas nouvelle et a toujours existé.
En France l’explosion meurtrière de l’usine Grande Paroisse-AZF du 21 septembre 2001 à Toulouse et l’incendie de l’usine Lubrizol du 26 septembre 2019 est un bon exemple pour constater cette relation qui se joue dans les deux sens. En effet, cette fois-ci ce sont les conditions de travail déplorables qui ont entrainé une pollution gigantesque. Le rapport d’enquête parlementaire déposé le 5 février 2002 sur cette explosion et, de manière plus générale, sur la sécurité des installations industrielles, dénonçait le fait que les règles du droit du travail et de l’environnement ont été systématiquement bafouées malgré l’existence d’inspecteurs du travail et des installations classées.
Lors du Conseil des ministres du 25 mars 2020 ont été adoptées 25 ordonnances prises dans le cadre de la loi urgence sanitaire. Ces textes sont destinés à atténuer les dommages économiques et sociaux que provoque inévitablement le confinement. Les textes prévoient dans certains secteurs d’activité (fabrication de masques, de médicaments, agroalimentaire, énergie, transport, agriculture, télécommunication, logistique…), une modification des dates de congés payés et des dérogations à la durée maximale de travail jusqu’à 60 heures par semaine et au repos hebdomadaire et dominical.
Il est prévu que ces dérogations seront possibles jusqu’au 31 décembre 2020. Ces rallongements du temps de travail devront se faire en respectant les temps de repos et en majorant les heures supplémentaires dès la 36e heure de travail. Ces mesures qui aggravent les conditions de travail en intensifiant l’activité se traduiront immanquablement par une augmentation des accidents du travail ou par des burn-out sans que l’entreprise soit reconnue coupable et dont les coûts financiers seront supportés par la collectivité au travers de la sécurité sociale.
Nous savons par expérience, que plus il y aura d’accident du travail, plus il y aura des risques de pollution. Là encore la précarisation de nombreux secteurs à risque qui comprend d’importantes ICPE dont certaines sont classées SEVESO, entrainera des pollutions importantes, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire, transport, logistique et de l’énergie. Ce qui reste étonnant c’est la date du 31 décembre 2020 comme date butoir de dérogation aux normes du droit du travail. En effet, pourquoi si tard ? et quels sont les arguments qui justifient une si longue dérogation ?
En attendant, le bilan s’alourdit pour les salariés les plus précaires : Les décès du Covid-19 d’une salariée de Carrefour à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et d’un intérimaire de Manpower en mission chez Fedex à Roissy (Val-d’Oise), ainsi qu’un cas confirmé d’un employé d’Amazon à Saran près d’Orléans ont suscité vendredi la colère des syndicats, qui réclament de meilleures protections. La CGT, qui a annoncé le décès de cette déléguée syndicale, recense « aujourd’hui (dans ses secteurs) plus de 550 cas supposés et 181 cas avérés, dont plusieurs graves » et réclame que les salariés soient équipés de masques.
A contrario, nous constatons que le fort ralentissement de l’économie en Chine mais aussi dans le monde entraine des effets très positifs pour la protection de l’environnement.
Les concentrations de dioxyde d’azote (NO2), gaz polluant issu d’activités humaines, ont reculé dans les régions du Nord de l’Italie, soumises au confinement à cause du coronavirus, a indiqué mardi le service européen Copernicus.
Selon des observations satellites, le NO2 montre « une tendance à une réduction graduelle d’environ 10 % par semaine au cours des quatre à cinq dernières semaines », indique Copernicus dans un communiqué.
Sur la carte publiée par l’Agence spatiale européenne (ESA), on constate ainsi une nette diminution d’une tache rouge au-dessus de la vallée du Pau et le Nord de l’Italie, entre début janvier et le 10 mars.
Le 22 février, 11 villes en Lombardie et en Vénétie (nord) ont été placées en quarantaine, une mesure qui a été progressivement étendue le 9 mars à l’ensemble du pays. A Milan, selon les données présentées par Copernicus, les concentrations moyennes de N02 ont chuté d’environ 65 mg/m3 en janvier à 35 mg/m3 lors de la première quinzaine de mars.
Cette baisse peut être liée à plusieurs facteurs, dont la réduction du trafic automobile et des activités industrielles, consécutive à l’épidémie de coronavirus. Mais elle pourrait aussi s’expliquer par une « évolution de la température, car cette année a été assez chaude et il y a eu moins de chauffage », autre responsable de la pollution du dioxyde d’azote, a expliqué à l’AFP Simonetta Cheli, responsable des programmes d’observation de la Terre à l’ESA.
Une étude scientifique a donc été lancée pour mesurer plus précisément le lien de cause à effet avec le seul facteur coronavirus.
En Chine, des images satellite de la Nasa avaient montré une baisse significative de la pollution « en partie liée » au ralentissement de l’économie provoqué par l’épidémie de coronavirus, selon l’agence spatiale américaine.
Le dioxyde d’azote est relâché dans l’air principalement par les véhicules et les centrales thermiques, et peut causer des problèmes respiratoires, notamment de l’asthme.
Selon l’Agence européenne de l’environnement sur la qualité de l’air, le dioxyde d’azote (NO2) est responsable de 68.000 décès prématurés par an dans l’Union européenne.
De même, une autre étude Italienne5 démontre que plus la pollution de l’air est importante, plus la propagation du virus est rapide dans la mesure où les virus s’agglomèrent aux particules fines et sont transportés ainsi sur des kilomètres.
Des pics de pollution printanier ont été constatés ce week-end en plusieurs points du territoire, notamment en Ile-de-France et dans le Grand-Est, selon des informations rapportées dans une enquête du Monde. Les mesures de confinement ont certes permis de réduire la pollution liée au trafic routier (la chute des émissions d’oxydes d’azote est spectaculaire), mais elles n’ont pas eu d’effet sur les niveaux de particules fines, les plus dangereuses pour la santé. Selon Atmo Grand-Est, l’organisme chargé de la surveillance de la pollution de l’air dans la région, cet épisode de pollution se caractérise par « une part importante de particules secondaires formées à partir d’ammoniac et d’oxydes d’azote, l’ammoniac étant issu majoritairement des épandages de fertilisants. » Constat criant : les zones touchées par ces pics sont aussi les plus touchées par la propagation de l’épidémie de Covid-19. Dans une note diffusée vendredi 27 mars, Atmo France a conclu qu’ « une exposition chronique à la pollution de l’air est un facteur aggravant des impacts sanitaires lors de la contagion par le Covid-19 ». Une semaine plus tôt, plusieurs médecins et chercheurs, tous spécialistes de la pollution de l’air, avaient déjà tiré la sonnette d’alarme, tout en appelant à « limiter drastiquement les épandages agricoles, afin de tout mettre en œuvre pour limiter la propagation du virus ».
Autre exemple, les mesures de confinement pour lutter contre le coronavirus ont permis une nette amélioration de la qualité de l’air dans l’agglomération parisienne dès la première semaine, selon un premier bilan d’Airparif publié le 25 mars 2020. Sur la semaine du 16 au 20 mars, comparé à d’autres mois de mars, Airparif a relevé « une amélioration de la qualité de l’air de l’ordre de 20 à 30 % dans l’agglomération parisienne, consécutive à une baisse des émissions de plus de 60 % pour les oxydes d’azote », selon un communiqué. « Malgré une augmentation du chauffage résidentiel, cette baisse est liée en grande partie à la forte diminution du trafic routier et aérien », avec la mise en place du confinement depuis mardi midi. Autre bonne nouvelle, cette baisse des polluants de l’air s’accompagne d’une baisse du dioxyde de carbone (CO2), gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique, précise Airparif.
À la suite de la pandémie de coronavirus, le changement pourrait être avant tout écologique, selon Boris Cyrulnik. Alors que le virus continue de se propager dans le monde, que de nombreuses populations vivent actuellement confinées et que les économies tournent au ralenti, nous observons une diminution de la pollution de l’air, mais aussi la réapparition d’animaux dans des lieux jusqu’ici surexploités par l’activité humaine. « En Chine, il y a déjà une diminution de 8 000 à 10 000 entrées dans les services de cancérologie parce que la pollution a fortement diminué », ajoute-t-il.
« Tout cela donnera raison aux écologistes », avance le neuropsychiatre. « Des gens vont vouloir redémarrer le sprint de la consommation, mais une grande partie de la population va s’y opposer et je pense que l’on va ralentir cette culture, parce qu’il faut absolument ralentir. »
En conclusion, nous pourrions nous demander si cette crise sanitaire, à l’instar de bien d’autres dans notre histoire, va-t-elle entrainer un changement culturelle important dans notre façon de produire et de consommer ?
- https://www.letemps.ch/sciences/pangolin-pourrait-lanimal-transmis-coronavirus-lhumain ↩
- https://www.ifaw.org/fr/news/la-protection-du-pangolin-au-coeur-de-la-journee-mondiale-du-pangolin ↩
- Global rise in human infectious disease outbreaks ; Published:06 December 2014 https://doi.org/10.1098/rsif.2014.0950 ↩
- http://preventiondesinfections.com/2015/09/26/rage-en-inde/ ↩
- http://www.simaonlus.it/wpsima/wp-content/uploads/2020/03/COVID19_Position-Paper_Relazione-circa-l%E2%80%99effetto-dell%E2%80%99inquinamento-da-particolato-atmosferico-e-la-diffusione-di-virus-nella-popolazione.pdf ↩