La conception du devoir accompli varie sans doute selon celle que l’on se fait de la dignité de ses fonctions et du respect des engagements pris quant à celle du compromis politique mais la macronie préfèrera toujours aller à sa perte que changer ses habitudes de déni sur la réalité du délitement de la France et l’ampleur des périls qu’elle n’aura pas su conjurer en 7 ans de règne… 2024 est à peine entamée avec son lot traditionnel de 745 véhicules incendiés en guise de feu d’artifice du réveillon ou plutôt de sinistre rappel de la précarité de l’ordre public, que déjà notre « cher et vieux pays » bruit des rumeurs d’un remaniement du gouvernement dont il est sans doute vain d’espérer le miracle d’un départ sur le bon pied tant le désenchantement est palpable en ces temps d’illusions perdues et de communication abusive sans résultats probants…
Nul ne regrettera 2023, année terrible marquée par les convulsions de l’accouchement d’une réforme des retraites rejetée massivement par les travailleurs et les organisations syndicales durant un semestre de contestation d’une rare intensité, le traumatisme durable des émeutes insurrectionnelles du début de l’été, révélatrices des multiples fractures du pays sur fond d’insécurité galopante et de violence sociétale clivantes mettant en lumière l’effondrement de l’autorité de l’état et la séquence chaotique d’adoption de la loi sur l’immigration qui a achevé de révéler combien le roi était nu en situation de majorité divisée et de plus en plus relative à l’Assemblée nationale. L’attentat terroriste du pont de Bir-Hakeim Grenelle, le 2 décembre, a rappelé aux Français combien la catastrophe du 7 octobre en Israël rendait de nouveau l’ensemble des démocraties occidentales – la France en cœur de cible – vulnérables aux assauts du totalitarisme islamiste. L’approche de l’anniversaire tragique de bientôt deux ans de guerre en Ukraine démentant les prédictions hâtives d’un effondrement de la Russie suite aux sanctions économiques et à l’intensification du soutien militaire américain et européen aux autorités de Kiev, notre retrait du Sahel et les fluctuations de postures de l’exécutif dans le cadre du conflit au Proche-Orient marquent également nos limites sur la scène internationale de 2024, année aux contours plus qu’ inquiétants, avec des rendez-vous électoraux cruciaux à Moscou et à Washington dont les résultats dimensionneront à terme considérablement nos marges de manœuvre et notre devenir tout court…
Alors que retenir à quoi se raccrocher pour retrouver les chemins perdus de la dignité dans le marasme politique de réformes controversées et de polémiques incessantes qui fragilisent notre démocratie et détournent les électeurs des urnes ?
Le pays désabusé, en manque de repères et de cap réel, indéniablement revenu et guéri de la supercherie originelle du « En même temps » de 2017, aspire à retrouver non pas tant la France d’avant ou de jadis que celle de toujours, fruit d’une très longue construction collective, qui n’a pas simplement commencé avec la « sacro-sainte » République des hussards noirs de Jules Ferry, mais puise ses racines bien avant et qui s’est nourrie de multiples apports internes et externes au fil des siècles, n’en déplaise à ceux qui veulent la réduire uniquement à l’infime période dans le temps démarrant le 4 septembre 1870 à nos jours et à un simple élément du puzzle d’une Union européenne parée de toutes les vertus thaumaturgiques pour la protéger des aléas et tempêtes d’un monde en totale reconfiguration. Dans la Chine impériale on parlait d’un moment dans le mandat du ciel où l’heure était arrivée pour un changement de monarque, en quelque sorte tourner la page avec la prescience de la fin d’une ère révolue et de l’aspiration générale à des temps nouveaux et plus prospères. Aujourd’hui, notre « cher et vieux pays » n’en escompte pas tant de 2024 car pour la plupart d’entre les Français, le mirage des illusions est dissipé depuis plus d’une mandature et plus personne ne croit aux miracles dans le contexte politique, économique et sociétal tel qu’il se présente aujourd’hui. Le Roi est nu et nombreux dans son entourage sont les serviteurs qui ont perdu le sens de l’intérêt collectif, entre autres ceux qui entendent « détricoter » à travers le Conseil constitutionnel les mesures d’une réforme de loi sur l’immigration qu’ils ont eux-mêmes cautionné et contribué à soumettre au vote de l’Assemblée nationale non sans mal après la gifle spectaculaire d’une motion de rejet révélatrice de l’impasse politique actuelle…
En fin de règne, l’impopularité est souvent le corolaire des promesses non tenues et des espérances déçues et le peu de temps qui reste avant la sortie de la scène laisse une marge réduite à l’action de redressement ou d’éclat pour partir en imprimant sa marque dans l’histoire. Les vœux de début d’année ne sont plus attendus avec la même appétence lorsqu’au fil du temps, ils n’ont pas changé grand chose au quotidien morose et à la dégradation des conditions de vie des Français corrodées par l’inflation, l’insécurité et l’anxiété devant une situation internationale explosive… Malédiction des deuxièmes mandats ou simple constat d’impuissance à infléchir le déclin dû à des décennies de mauvais diagnostics, constats et de cautères sur des jambes de bois pour corriger erreurs de gouvernance qui ont conduit à la situation actuelle de dette publique abyssale, prélude à la banqueroute, à l’ effondrement de l’autorité et l’ incapacité à maîtriser les tensions de toutes sortes rongeant la cohésion nationale ?
Pour redonner du sens au destin de la France, il faudra sans doute bien plus qu’un remaniement ministériel car hélas on produit rarement un spectacle neuf et attractif avec un réservoir d’acteurs dont on connaît toutes les ficelles et les limites… Bien plus aussi que des Jeux olympiques entachés de polémiques avant même leur démarrage dans une capitale en plein naufrage financier et offrant la triste image d’un état de délabrement matériel et de saleté préoccupant (sans parler de l’insécurité endémique qui y règne dans ses lieux les plus emblématiques et touristiques…), bien plus enfin que la résurrection de la cathédrale Notre-Dame, symbole de la résilience du peuple de France et de son attachement à ce qui a fait sa force à travers les siècles, sa foi en lui-même…
Le salut en 2024 passera sans doute vraisemblablement par le retour aux urnes à l’occasion notamment des élections européennes en juin et par la confrontation des projets politiques de société, à condition de respecter les règles d’une vraie démocratie où le peuple souverain est réellement consulté et voit in fine respecter ses choix et ses aspirations sans confiscation par des technostructures élitaires hors sol…
L’avenir seul dira si un tel souhait est encore réalisable dans le ciel de nuées qui enveloppe ce début d’une année sans répit pour nos compatriotes du Pas-de-Calais accablés par des crues à répétition, en espérant le retour d’un soleil clément sur la France dans toute la symbolique et l’acception du terme.
Eric Cerf-Mayer