« Les inondations répétées qui affectent les biens et les personnes du Pas de Calais auraient pu être, sinon évitées, tout du moins minorées si l’État avait fait le nécessaire » : C’est le verdict que certains diffusent et répètent en l’envi, soit qu’ils soient directement concernés et l’on comprend leur désarroi, soit, plus banalement, parce qu’ils répercutent sans réfléchir les bobards déversés dans les réseaux asociaux. D’un côté, la masse qui gronde contre la carence présumée des collectivités, de l’État, bref, des « autres », de l’autre… ? Qui donc analyse, comprend, explique ? Ce n’est plus de mise dira-t-on, il faut agir, vite, sans réfléchir, mais il faut que cela se voit, se diffuse, car plus on fera de « bruit », plus ce sera vrai, n’est-ce pas ?
La gesticulation l’emporte sur la raison, même si cela conduit le monde à sa perte. Alors, prenons le temps et observons quelques exemples significatifs de cette dérive généralisée.
Restons-en d’abord à cette question des inondations et de la responsabilité qui s’attache, éventuellement, à la lutte contre elles. Combien est-ce riche d’enseignement d’évoquer ne serait-ce que quelques échanges entre parlementaires et ministres, en 2013, lors de la discussion d’une des innombrables lois bavardes visant à « simplifier » l’organisation territoriale du pays ! Le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée, Olivier Dussopt alors député P.S., expliquait ainsi l’un des objectifs visés par une partie du texte :
« Le présent article vise à assurer la protection des populations contre le risque d’inondation ainsi que la gestion des cours d’eau non domaniaux, deux aspects indissociables de la politique de lutte contre les inondations.
Il s’agit de clarifier l’exercice de missions existantes en les regroupant en une compétence spécifique intitulée « gestion des milieux aquatiques et protection contre les inondations », en confiant cette compétence à un niveau de collectivité bien identifié, de taille suffisante et disposant des ressources permettant d’en assumer la charge. »
Louable intention que le député, discipliné, développait à partir du texte proposé par le Gouvernement d’alors. Seulement, ce faisant, il négligeait une évidence qui n’a pas échappé à l’un de ses collègues, fort expérimenté tant en matière de gestion des collectivités que de lutte contre les inondations, puisqu’il fut longtemps maire d’une commune riveraine du Layon, à moins de 20 kilomètres de la Loire, à savoir Michel Piron. En bon connaisseur du sujet, il voulut poser le problème en termes simples et demanda, lors d’une réunion de la commission :
« M. Michel Piron. Le rapporteur et le Gouvernement peuvent-ils nous dire quelle différence ils font entre la prévention des risques et la prévention des inondations ? »
Autrement dit, il pensait à deux aspects fondamentaux d’une seule question générale : le temps pour protéger les biens et les personnes des risques d’inondations, et l’autre, pour lutter contre l’inondation, lorsqu’elle finit par se produire. Le premier nécessite souvent d’importants travaux de génie civil tendant à construire et entretenir des ouvrages (digues, fossés, champs d’épandage de crue…) alors que le second est celui de l’intervention des moyens de secours, d’évacuation…etc. Il s’agit donc de « l’avant » et du « pendant »…mais, cela, à défaut d’un minimum de bon sens, seule l’expérience l’enseigne.
En l’occurrence, ministre, rapporteur et technocrates firent la sourde oreille à l’interpellation de M. Piron, puisqu’à la reprise des travaux de la commission, l’après-midi du même jour, il dut ré intervenir
« Je n’ai pas entendu la réponse du rapporteur à ma question de ce matin sur la différence entre prévention des risques et prévention des inondations. »
et même d’insister avec humour…
« Peut-être obtiendrai-je une réponse si je pose ma question sous une autre forme : quelle différence juridique le rapporteur fait-il entre prévention des inondations et prévention des risques ? (Sourires.) »
…et la question ne reçu jamais de réponse…à tel point que le même député dû revenir sur le sujet deux ans plus tard, en séance publique, le 2 juillet 2015 :
« Certaines choses relèvent véritablement des compétences dites régaliennes, même en République. Or, dans ce domaine, nous avons tout mélangé, à moins que l’on ait décidé de garder le fouet réglementaire et que, faute d’argent, on impose aux collectivités de payer et d’assumer ce qui relève de la sécurité des personnes. Que cette compétence soit dévolue à des intercommunalités me paraît aberrant ! Avoir repoussé l’échéance en 2018 est un moindre mal. Nous pouvons en effet peut-être espérer que, dans l’intervalle, d’autres élus mettront un terme à ce transfert qui me paraît pour le moins hasardeux. »
Faute d’avoir été entendues, ces paroles de bon sens ont, hélas, été confirmées par les faits, que ce soient dans les vallées de la Vésubie et de la Roya, ou dans les plaines du Pas-de-Calais.
L’impossibilité à faire entendre la raison face à l’aveuglement collectif s’est souvent manifestée tout au long de l’Histoire, à tel point qu’on peut craindre que ce soit une caractéristique de la nature humaine. Plusieurs autres illustrations contemporaines en apportent la preuve irréfutable.
Relevons, par exemple, les deux choix catastrophiques pour leurs auteurs que furent les constructions de la ligne Maginot, par la France, et du mur de l’Atlantique, par le IIIème Reich. Dès l’origine de l’idée qui a présidé à la réalisation de la première, au sein du Conseil supérieur de la guerre en 1923, des hommes expérimentés tels que Joffre et Foch émirent des avis formellement négatifs, considérant que de tels ouvrages si coûteux à tous points de vue se révéleraient à l’usage, impuissants à contenir une offensive menée avec les moyens de la guerre moderne à venir. De fait, l’énormité et la quantité des ouvrages construits ne servirent pratiquement à rien pour éviter « L’étrange défaite », telle que l’a si pertinemment analysée à chaud, Marc Bloch.
Mais le vainqueur d’alors allait reproduire la même erreur en décidant, peu d’années plus tard, l’édification du « Mur de l’Atlantique ». Bien que dans une note du 31 octobre 1943, le maréchal Von Rundstedt, responsable alors de la défense de toute la côte Ouest de l’Europe, ait mis en garde quant à l’inanité du « mur », sans disposer de réserves disponibles et mobiles…
« Malgré toutes les fortifications, une « défense rigide » des côtes allongées n’est pas possible à long terme. Ce fait doit être pris en considération. 1»
…le projet fut poursuivi et réalisé, notamment par des entreprises françaises qui y trouvèrent un grand intérêt financier, ce que dénonça avec vigueur et courage le général de Larminat dans son fameux discours du 26 avril 1945, devant la population bourgeoise de Bordeaux réunie après la libération sanglante de Royan et de Grave 2. Mais à part dans ces « poches » de la façade Ouest, pas plus que la ligne Maginot, l’ensemble du « mur de l’Atlantique » ne remplit son office, sinon pendant une matinée, le 6 juin 1944…
Quelques semaines pour l’une, moins d’une journée pour l’autre, l’inefficacité des deux projets ne fit que confirmer les craintes émises à leur encontre, dès leur origine.
N’en ira-t-il pas de même à notre époque, quand on lit ce que la Fédération de l’environnement durable a écrit, en novembre 2023, au président de l’ADEME, à propos de la mesure de l’efficience écologique réelle des éoliennes. Après avoir rappelé que :
« ce moyen de production a vocation à devenir très significatif dans le mix électrique français si on en croit les décisions officielles. Cette augmentation de part dans le mix va se produire sans pour autant que les caractéristiques de leur production (aléatoire, non pilotable et prioritaire) aient été corrigées. »,
la FED interroge ensuite l’agence aux fins d’obtenir des réponses fiables à ces questions :
« Quel serait le moyen de substitution adapté au cas français qui serait utilisé «officiellement» pour équilibrer le réseau face à une éolienne en panne de production afin de calculer le CO2 évité par une éolienne ?
Pensez-vous que votre Agence soit en mesure de proposer une méthodologie de calcul du CO2 évité adaptée au cas des éoliennes terrestres ? »
Il y a fort à parier que, face à la pression des lobbies, relayée par les media soucieux d’alimenter la pensée dominante, mais erronée en la matière, il faille attendre longtemps avant de savoir si, oui ou non, ces engins industriels aussi coûteux à tous points de vue qu’ils soient, sont écologiquement efficaces.
Dans ce domaine, comme dans les trois autres évoqués plus haut et qu’elles que soient les conséquences, ce qui l’emporte c’est encore l’aveuglement alimenté par le réflexe de Panurge alors que le « grand Georges » nous l’avait chanté dans sa Mauvaise réputation :
« Mais les brav’s gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux,
Non les brav’s gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux »
Hugues CLEPKENS
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