Dans ce second volet, Léo Keller, fin observateur des relations internationales et directeur du blog de géopolitique Blogazoi, analyse la situation politique en Israël pour la Revue Politique et Parlementaire.
La victoire ambigüe de Gantz. Oui mais ; oui pour quoi faire ?
Gantz élu de peu mais élu quand même et Israël libéré de la chape de plomb du proto-populisme menaçant.
Ces élections marquent probablement la victoire de Benny Gantz et de son parti bleu-blanc qui comporte outre lui-même deux anciens Chefs d’État-Major et un ancien ministre de la Défense de Nétanyahu. Si la sécurité demeure le facteur le plus important et assurer la protection de ses citoyens la mission -par excellence- régalienne d’un État, reconnaissons qu’il serait difficile de faire mieux.
Notons cependant qu’Israël possède la caractéristique d’avoir à la fois une des meilleures armées au monde et en même temps l’armée la plus légaliste et pacifique qui se puisse concevoir. Le prix du sang n’est pas une valeur que l’on piétine au sein de Tsahal. Le code moral de l’armée israélienne est pris en modèle dans de nombreuses armées.
Rabin, Sharon, Barak, Begin ont tous répondu à l’appel de l’Histoire. Nétanyahu lui s’y est refusé. Hubris, ou rêve historique ? Peu importe au final. Gantz saura-t-il et pourra-t-il faire mieux ? C’est toute la question. Il se heurtera bien entendu à l’opposition sourde et implacable, aux incantations et allégations mensongères de l’opposition nationaliste religieuse.
Pour autant, quatre écueils autrement plus délicats l’attendent dans sa mission qui consiste à trouver le moins mauvais arrangement possible avec les Palestiniens, à réparer la société israélienne et lui redonner son lustre et son éclat d’antan que Nétanyahu a mis à mal.
Le premier handicap, ce sont les Palestiniens eux-mêmes. Ils ont en effet -dans le passé- prouvé plus souvent qu’à leur tour qu’ils ne savaient pas s’ils voulaient et pouvaient trouver le chemin de la paix. Ehud Barak Barak, brillantissime Premier ministre et le soldat le plus décoré de l’armée, a lui-même reconnu qu’il avait, alors, apporté sur un plateau d’argent les propositions les plus généreuses de paix, et qu’il n’avait trouvé en face de lui qu’un menteur.
Certes, Yasser Arafat n’est plus de ce monde et les choses ont évolué. Et il est également vrai aussi que les efforts -timides- de Mahmoud Abbas ont été bien souvent, trop souvent dédaignés.
La quadrature du cercle
Gantz a trois handicaps sur la scène nationale cette fois-ci.
Il a besoin du soutien de Lieberman, représentant d’une droite sécuritaire et laïque mais nationaliste et en même temps soit du soutien des 13 députés arabes, soit du soutien du parti travailliste et de l’Union démocratique.
Les trois seraient l’idéal tant il sera difficile d’assurer ses arrières à l’heure des choix : l’aval de Lieberman pour rassurer la droite et l’aval des Arabes palestiniens pour faire accepter des concessions aux Palestiniens.
Autant marier la carpe et le lapin !
En théorie, Lieberman refuse toute alliance qui ne serait pas nationale.
En théorie, chaque bloc peut toucher les 61 députés avec Lieberman pour Netanyahu et avec les partis arabes pour Gantz.
En outre sa cohabitation avec Yair Lapid ne sera pas de tout repos. Il y a dans cet attelage trop de prima donna pour trop peu de postes régaliens.
Iago ne s’est jamais senti aussi agile et labile que dans cet Orient compliqué.
Rappelons quand même que Rabin a gouverné avec le soutien des Arabes israéliens sans leur participation gouvernementale. Penchons-nous non pas dans l’histoire mais dans le rappel historique. Deux exemples parfaitement contradictoires nous « éclairent ». Le général de Gaulle n’a pas craint en son temps d’appeler le Parti communiste avec Maurice Thorez à sa tête dans son gouvernement. Mendès-France, autre figure tutélaire de la IVe République, avait choisi quant à lui, lors de son investiture de démissionner s’il la devait aux voix communistes.
En Israël le problème est tout sauf simple. Le vote arabe représente diverses tendances allant du refus de l’État d’Israël à son acceptation.
Mais de plus en plus, l’on assiste à une israélinisation de la population arabe. Devant le blocage de la situation avec les Palestiniens, on perçoit aussi une radicalisation significative d’une autre partie de cette même population.
Pour autant, pour la première fois depuis 25 ans les partis arabes veulent rentrer et participer dans le jeu gouvernemental. Peu importe la façon au début.
Notons cependant que Netanyahu dans son effort de débauchage démagogique avait proposé de faire entrer au gouvernement un ministre arabe. Constatons aussi que de plus en plus d’Arabes israéliens occupent des fonctions de plus en plus importantes.
Les Israéliens devraient considérer Edmund Burke qui disait dans ses réflexions sur la révolution française : «Ceux qui ont beaucoup à espérer et rien à perdre seront toujours dangereux. » « Un état qui n’a pas les moyens d’effectuer des changements n’a pas les moyens de se maintenir. »
Car il faudra bien, tôt ou tard, tirer les conséquences politiques du fait que 20 % de la population israélienne est arabe et bénéficie ou doit bénéficier de la totalité des mêmes droits que les citoyens juifs. Y compris quant à la participation au pouvoir. Que le problème soit complexe, personne ne le nie. Mais c’était ce qui faisait la grandeur et la splendeur de la volonté exceptionnellement moderne des Pères Fondateurs et de Ben Gourion : un État juif et démocratique pour tous. Lequel Ben Gourion n’aurait jamais toléré le discours de haine de Netanyahu.
Tôt ou tard, Israël devra trancher ce nœud gordien. Car la moins mauvaise solution du règlement avec ses voisins passe par l’israélinisation complète des Arabes israéliens. Qu’ils vivent mieux et disposent plus de liberté en Israël que leurs coreligionnaires demeurant dans d’autres pays arabes est un fait mais ne saurait être en aucun cas un argument valable.
En l’état actuel, reconnaissons –malheureusement, mais espérons très provisoirement- qu’inclure les Arabes israéliens dans un gouvernement c’est brandir inutilement les brandons de la discorde.
Marc-Aurèle avait raison de dire : « L’obstacle est matière à action. »
Tôt ou tard il faudra pourtant le faire. Augusta per angusta ! Benny Gantz le sait d’évidence ; il faudra un véritable aggiornamento des Arabes israéliens pour cela. Ajoutons que la loi récemment passée sur l’État juif, en ayant enlevé le statut de l’arabe comme deuxième langue officielle, n’est pas faite pour adoucir les mœurs.
En l’état actuel, tous les scénarii qui résultent du vote sont également possible.
De la grande coalition, comme l’affectionnent les Allemands avec la GrosseKO ! De la rotation déjà expérimentée en Israël à divers types d’alliance. Mais de toute façon quelqu’un, voire plusieurs devront avaler des couleuvres qui seront nombreuses. Chaque camp jouit à peu près équitablement de forces et de faiblesses qui s’annihilent mutuellement. Il est tout aussi illusoire de croire que le camp de la négociation et de la Paix l’a emporté que de penser qu’il y a un mandat clair en faveur de l’annexion et de l’abandon de la solution à deux états.
Un des gagnants du scrutin est Lieberman « le faiseur de roi. » Or, Lieberman est dans la mouvance nationaliste. Il a d’ailleurs affirmé que le seul cas de figure où il entrerait dans un gouvernement, c’est un gouvernement d’union nationale. Que sa volonté de faire main basse sur le Likoud après l’éviction de Netanyahu, n’est pas –bien entendu– étrangère à son choix. Il y a donc ni parti qui réunisse à lui seul les 61 voix de majorité, ni coalition évidente.
Sauf un gouvernement d’union nationale. Begin avant de devenir à son tour Premier ministre avait accepté de rentrer dans un gouvernement d’union nationale. Au kappi près, que Menahem Begin fut un vrai seigneur, un véritable homme d’État. Peres, tout en étant de l’autre bord remplissait les mêmes qualités, et a aussi accepté. Ses qualités morales et sa vision politique étaient tout aussi immenses que celles de Begin.
La situation stratégique d’Israël était aussi fondamentalement différente. Israël vivait sous des menaces stratégiques et risquait peut-être son existence. Aujourd’hui, l’hégémon régional israélien a relégué ce type de menace aux oubliettes de l’histoire, quoiqu’en dise Netanyahu. La société israélienne, profondément divisée se refléterait ses divisions dans un gouvernement d’union nationale et exercerait une telle pression sur lui qu’il travaillerait difficilement.
De nouvelles élections sont cependant improbables ; le dirigeant qui en prendrait le risque encourrait un désaveu cinglant. De plus, l’incertitude politique commence à faire sentir ses effets délétères sur l’économie israélienne. Certes, la Belgique a connu 500 jours d’affilée sans gouvernement. Jusqu’à plus ample informé, la Belgique ne figure pas encore sur la carte du Moyen-Orient. Un gouvernement minoritaire avec des majorités de circonstances sera compliqué. Reste une variante un gouvernement minoritaire qui n’aura pas non plus de majorité claire pour le renverser.
Ce vote que Netanyahu voulait et pensait être un référendum pour lui est devenu un vote de désaveu.
Pour autant, vote de désaveu moins de sa politique que de ses méthodes et de son idéologie.
Il n’en reste pas moins que la société israélienne demeure une société formidablement dynamique, extraordinairement éduquée et profondément démocratique. Un état sûr de lui est en mesure d’évaluer correctement ses atouts, ses faiblesses et les gains d’une meilleure situation que la Paix lui apporterait.
Les assauts répétés de Netanyahu contre la Cour Suprême ou la presse ont juste réussi à provoquer le sursaut des Israéliens ! Ce n’est pas rien et ce n’est pas tout.
Benny Gantz et son équipe comportent en son sein des individualités dont l’ethos démocratique est impeccable et la vision stratégique parfaitement sure. Notons qu’il reprend la position qui demeure le seul espoir en Israël : celle des 285 généraux et amiraux de Commanders for Israël Security qui connait le prix pour Israël d’une absence de règlement. Ils sont également animés par l’éthos sioniste égalitaire contrairement aux clichés mensongers dont ils ont été régulièrement caricaturés. Cet éthos était celui porté par les pères fondateurs ; c’est une condition et un gage de succès.
Benny Gantz a sûrement lu Platon qui disait : « Dieu voulant réconcilier les deux ennemis et ne pouvant y réussir les y attacha tous deux par leurs extrémités. » Telle est désormais la tâche qui attend Benny Gantz. Il n’est pas sûr que Benny Gantz réussisse. Il est cependant le mieux placé !
Léo Keller
Directeur du blog de géopolitique Blogazoi
Professeur à Kedge Business School