Le 24 juin dernier, Jordan Bardella a affirmé que, s’il devenait Premier ministre, il interdirait les postes stratégiques de l’Etat aux Français binationaux. Comme à son habitude, le naturel politique revient au galop avec le parti populiste d’extrême droite ; le RN ne peut s’empêcher d’exprimer son obsession (qui confine à la paranoïa) contre une partie des Français en raison de leurs origines.
En opérant un tri national entre citoyens Français, le RN montre à nouveau son vrai visage et révèle sa pensée intime : une idéologie nationaliste qui est aux antipodes des valeurs et des fondements de l’idée nationale en France depuis la Révolution française de 1789, lesquels ont forgé notre condition républicaine.
Cette idée d’interdire aux Français binationaux les postes stratégiques et sensibles de l’État est absurde et dangereuse. C’est d’abord une insulte, une offense faite à des millions de Français, dont je suis, et sur lesquels on jette ainsi, gratuitement, une suspicion aussi odieuse qu’infondée. Les binationaux ne seraient pas de bons Français… ils pourraient trahir la France, leur loyauté est douteuse, on ne peut pas leur faire complètement confiance, ils ne peuvent donc pas être des Français comme les autres, on ne peut pas leur confier des postes stratégiques ou sensibles au sein de l’appareil d’État ou de nos institutions… tels sont en substance le contenu réel et les effets pratiques de la position du RN à l’égard des Français binationaux. Elle va à l’encontre de nos principes républicains et constitutionnels les plus élémentaires qui font que tout Français est un Français à part entière.
Oui, les Français binationaux sont des Français comme les autres, à égalité de droits et de devoirs. Rien ne permet de les discriminer a priori leur interdisant par avance ce qui relève des droits civiques de n’importe quel Français : le droit de servir son pays à tous les niveaux de nos institutions. Pourquoi remettre en question, a priori, sans raison, leur loyauté envers la France ? C’est une idée absurde qui fait fi de la compétence et de la vigilance des services de sécurité français pour se prémunir contre les risques d’espionnage et de trahison. C’est aussi faire fi de notre conception de la nationalité française qui octroie l’égalité de droits et de devoirs à tous les détenteurs de celle-ci. C’est aussi ignorer les règles et les devoirs que doivent respecter tous les agents de la fonction publique : confidentialité, réserve, discrétion. Tout ceci est clairement fixé dans notre droit, en particulier dans le Code général de la fonction publique.
Je fais partie de ces Français binationaux. Devenu Français par naturalisation en 1998 à l’âge de 22 ans, j’ai conservé ma nationalité d’origine car la France reconnaît ce droit à ses compatriotes. Mais pour la France, je suis Français, seule compte ma nationalité française. Et c’est ainsi que je me sens moi-même : pleinement Français. Lorsque j’étais Député de 2012 à 2017, je siégeais au sein de la Commission de la Défense nationale et des forces armées. À ce titre, et aussi au sein de la commission du Livre Banc sur la Défense et la Sécurité Nationale dont j’étais membre, je pouvais avoir accès à des informations sensibles, voire confidentielles ou secret défense. À aucun moment, je n’ai été entravé ou empêché dans mon travail en raison du fait que j’étais un « Français binational ». J’étais considéré comme n’importe quel autre Député et il m’appartenait, comme à tous mes collègues, de respecter les exigences de confidentialité liées à l’exercice d’un mandat parlementaire. Mon expérience personnelle n’est qu’une parmi tant d’autres, et toutes montrent que notre pays est solide sur ses principes et qu’il sait donner une place à tous les Français qui veulent servir la France au sein de ses institutions, d’où que viennent ces Français, et qu’ils disposent ou non d’une autre nationalité.
Au fond, on peut se demander pourquoi le RN a-t-il sorti une telle idée dans cette campagne pour les élections législatives. Car cette proposition est non seulement anticonstitutionnelle comme elle méconnaît les réalités auxquelles font face nos services de sécurité dans leur lutte contre les risques d’espionnage (depuis quand un Français a-t-il eu besoin d’une autre nationalité pour espionner et trahir son propre pays ? Les affaires de trahison d’Etat sont en effet nombreuses où des Français mononationaux sont impliqués).
Cette proposition au fond n’a qu’une vertu, celle de révéler la pensée intime et profonde du RN : une pensée dont la conception nationaliste-organiciste de la France, contraire à la conception républicaine telle qu’elle émane de notre Constitution, conduit à nier la plénitude nationale à une partie de nos compatriotes. Et c’est la raison pour laquelle, au nom de leur nationalisme-organiciste mal assumé, le RN propose d’en finir avec le droit du sol au profit du droit du sang. Car c’est bien cela une pensée nationaliste-organiciste : la condition biologique prime sur la condition politique. C’est une vision dangereuse de la nation qui peut conduire au pire. Elle est contraire à tout ce qui a permis à la France moderne de se construire comme nation depuis plus de deux siècles, rassemblant une population diverse et variée qui se reconnaît solidement dans sa condition strictement politique et républicaine.
Le nationalisme-organiciste avance toujours ainsi, en discriminant petit à petit une partie de la population nationale en fonction de ses origines. Je ne sais quel gain politique Jordan Bradella et le RN recherchent vraiment en lançant cette idée qui stigmatise les très nombreux Français binationaux. Je sais en revanche le gain qu’apporte pour nous autres, attachés à la France républicaine, ces déclarations du chef du RN : elles nous rappellent encore une fois la nature antirépublicaine des idées centrales de ce parti nationaliste d’extrême-droite qu’est le RN et le danger qu’elles représentent pour notre cohésion nationale.
Eduardo Rihan Cypel
Ancien Député