Le 20 mars peut rester dans notre histoire comme une date emblématique de la reprise de ses droits par la Nation grâce au Parlement.
Trois raisons majeures doivent dicter aux députés la décision de voter ce lundi la motion de censure initiée par des députés du groupe LIOT : une raison technique liée aux conditions de discussion du projet de réforme des retraites, qui interpelle : une raison politique liée aux résultats des élections de juin 2022, qui justifie ; une raison nationale liée à l’état de la France et aux souffrances du peuple français, qui commande.
La raison technique de voter la censure, c’est ce qu’exprime très clairement le texte de la motion initiée par LIOT : toute la procédure parlementaire imaginée pour ce texte par le gouvernement l’a été en détournant l’esprit des institutions.
Véhicule législatif illégitimement composé d’un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale, habituellement destiné à adopter des mesures mineures ; utilisation de l’article 47.1 pour malmener les débats à l’Assemblée ; utilisation de l’article 44.3 pour stopper toute discussion au Sénat : tout ceci dresse le tableau d’une charge à la hussarde menée par le gouvernement alors même que le projet de loi porte sur une des composantes essentielles du contrat social français, ayant un impact direct sur la vie quotidienne, la vie professionnelle, la vie familiale, la vie tout court de nos concitoyens.
La raison politique de voter la censure tient aux conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections législatives de juin 2022 et au caractère non majoritaire de cette Assemblée.
Jamais à ce point, sous la Ve République, le peuple n’aura si frontalement empêché un président tout juste élu d’appliquer sa politique.
Nul n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’élection de Monsieur Macron a d’abord tenu à la personnalité de son adversaire du 2e tour, repoussoir qui l’a fait élire par défaut bien davantage que par adhésion. Le retour de bâton s’est logiquement fait sentir en juin avec une Assemblée nationale composée aux deux tiers d’opposants au gouvernement macronien. Le premier tour du 12 juin laissait augurer de cette issue avec un parti présidentiel et ses alliés totalisant moins de 30 % des voix, pour au final n’occuper que 245 sièges sur 577. Il n’existe donc aucune majorité parlementaire, même relative. Et il vaudrait mieux dans ces conditions parler de minorité absolue.
Il n’est donc pas possible qu’à terme, avec un tel écart de voix pour obtenir une quelconque majorité, les députés macroniens puissent se maintenir pendant cinq ans, sinon au prix d’un blocage institutionnel permanent du pays, ce qui serait le pire scénario pour la France.
Mais il y a une raison encore plus fondamentale à voter cette censure, c’est la raison nationale. Personne n’ignore, s’il est un tant soit peu connecté au terrain, que le rejet massif de cette réforme, par la quasi-totalité des actifs et plus de deux tiers des Français, ne tient pas seulement aux conditions d’élaboration du projet de loi ni aux modalités particulières imaginées pour garantir l’équilibre du régime des retraites à longue échéance.
Il y a dans cette opposition de la Nation comme un avertissement solennel à rompre avec les politiques qui font porter toujours sur les mêmes épaules les efforts destinés à rétablir nos équilibres.
Ce gouvernement représente aujourd’hui ce que les Français rejettent frontalement : la domination de la France qui va mal par une fraction ultra minoritaire de la France qui va bien. Comme maire depuis 2014, je peux l’affirmer : la situation de nos concitoyens se dégrade fortement. Nous voyons désormais arriver, sollicitant nos dispositifs d’aide alimentaire, des familles appartenant à la classe moyenne en train d’être balayées par l’inflation, des familles dont l’emploi ne garantit plus la fin de mois. Nous voyons les chiffres de la fréquentation de nos cantines scolaires exploser car, ayant volontairement refusé d’ajuster nos tarifs sur l’inflation, les prix que nous pratiquons restent totalement accessibles pour des familles qui sont désormais contraintes de rogner jusque sur leurs dépenses alimentaires. La réalité du terrain est là, elle n’est certes pas celle de tous les Français, mais elle est celle de Français de plus en plus nombreux, que tout un chacun peut connaître et fréquenter. Cette réalité avait nourri le mouvement insurrectionnel des Gilets jaunes. Mais le contexte de 2023 est largement pire que celui de 2018.
Le gouvernement est aujourd’hui le garant de cet ordre injuste.
C’est la raison pour laquelle 74 % des Français souhaitent son renversement (sondage Cluster17 du 19 mars 2023 pour le Point).
Si ce gouvernement n’est pas renversé, l’agitation sociale continuera dans le pays et elle s’amplifiera. La violence sera dans ce cas parfaitement inéluctable. La censure, c’est par conséquent la Nation qui reprend ses droits et qui congédie un gouvernement personnifiant ce qu’une majorité de Français rejette avec force. Les Français sont un peuple épris d’égalité autant que de liberté, ils attendent d’abord de l’État qu’il assure les conditions d’exécution du contrat social. Ce contrat est rompu par les politiques qui sont aujourd’hui menées, le gouvernement qui les mène doit tomber.
Bien sûr rien n’est simple pour un député, qui sait que la censure du gouvernement entraînerait de nouvelles élections dont rien ne lui promet qu’il les gagnera. Mais il est des moments, dans l’histoire de notre pays, où l’intérêt personnel doit s’effacer devant l’intérêt national. Derrière le courage de chaque député, il y aura la gloire de ne pas avoir cédé. Surtout, le 20 mars peut être ce jour historique où la majorité des députés correspondra à la majorité de la Nation, ou, pour le dire autrement, l’Assemblée sera enfin redevenue nationale.
Maire de Chalon-sur-Saône