Laurence Taillade, présidente du Parti Républicain Solidariste, plaide pour le désenclavement des territoires et notamment du Cantal qui s’est depuis de nombreuses années, en raison des politiques locales menées, replié sur lui-même.
Le discours actuel est à la décentralisation. On ne sait pas trop d’ailleurs ce que ce terme porte de concept dans la bouche de notre Président de la République, tant il incarne le besoin de concentration des pouvoirs entre ses seules mains, depuis sa prise de fonction et encore davantage dans les orientations stratégiques de ces derniers mois. Car, envoyer des services de fonctionnaires en territoires ressemble davantage à de la déconcentration, utile à rationaliser les effectifs et supprimer les emplois en doublon.
Mais derrière cette volonté se cache une réalité locale. Il ne suffit pas d’ânonner la décentralisation pour qu’elle devienne effective, encore moins pour que les fonctionnaires des grandes métropoles décident de s’installer dans nos campagnes. Il ne suffit pas, non plus, de déplacer des effectifs pour que les services s’améliorent. La gestion des ressources humaines n’est pas une affaire de tableur et de ventilation d’une colonne à une autre, n’en déplaise à Bercy.
En effet, les territoires ruraux attendent depuis des années d’être considérés.
Victimes de dizaines d’années d’abandon, ils se vident de leurs talents, de leur jeunesse, de ce qui fait leur richesse, et se meurent à petit feu.
Depuis le début de la crise de la Covid-19, la marche s’est accélérée, avec la suspension des lignes aériennes, à l’arrêt complet. Or, certains de ces vols sont vitaux pour les territoires enclavés, comme le Cantal.
Lorsque Benjamin Smith, PDG d’Air France, a annoncé la fermeture de liaisons et la baisse de 40 % du trafic intérieur, il a inquiété avec raison les élus locaux qui ne voient pas leurs avions revenir, bien que ne bénéficiant d’aucune solution de substitution digne de ce nom par le rail ou la route. Alors qu’ils sont cofinanceurs de ces lignes considérées comme des priorités d’aménagement du territoire, sur le papier, ils sont écartés de toutes les décisions. Ils sont traités comme de vulgaires clients quand ces dessertes sont vitales pour leurs territoires.
Cela fait trois mois que le Cantal est privé de ses avions. Mon département s’est retrouvé abandonné de l’Etat depuis le mois de mars, suite à la fermeture de l’aéroport d’Orly aux vols commerciaux. La situation était déjà peu enviable avant, car peu fiable techniquement en termes d’horaires, d’annulations ou de détournement de vols. Elle est catastrophique aujourd’hui.
Cette décision pouvait s’entendre en pleine crise sanitaire. Mais la non reprise des vols avant le 1er juillet, de manière progressive, reste incompréhensible. Dans un même temps, les lignes de trains inter-régionaux ont repris leur activité à un niveau quasi normal, les limitations de déplacements nationaux et internationaux, sont progressivement abandonnées. Rien ne semble justifier le non-retour à un service normal pour nos usagers.
Aujourd’hui, cet aéroport parisien a réouvert au public pour desservir des destinations étrangères, notamment. Nous, nous n’aurons que 3 rotations par semaine à compter de cette date. Il faudra attendre septembre pour avoir 2 vols au départ d’Aurillac par jour. Les Cantaliens sont à ce point négligeables qu’ils devront attendre le mois de septembre pour reprendre leurs activités économique, politique et, pour certains étudiants, retourner dans leur famille ou en cours, autrement que par le rail – il faut 7h pour relier Paris à Aurillac – ou la voiture sur des routes secondaires puisque l’Est-Cantal ne bénéficie d’aucune quatre voies. Etrange paradoxe quand la tendance des écolo-bobos de bureau est à l’autobashing, l’alourdissement des taxes liées au prix de l’essence et au carbone. Ce sont encore ceux qui n’ont pas d’autres alternatives qui financeront de leur poche une politique qui ne les concerne pas.
Car notre réalité provinciale est bien là. Après la politique d’aménagement du territoire menée par G. Pompidou, à laquelle les élus de l’époque se sont opposés, rien ne s’est passé.
Le Cantal s’est replié sur lui-même, de peur de déplaire à l’électeur local.
Aujourd’hui, nous subissons les erreurs de quelques élus qui ont décidé, pour nous tous, d’enclaver durablement notre territoire, d’en faire un archipel où on ne peut ni étudier, ni travailler, ni avoir d’ambition d’expansion économique par l’entreprenariat.
Notre département a été sacrifié par ses propres élus dans les années soixante !
En effet, l’une des raisons de la fuite de nos talents et de la baisse démographique qui nous touche, est la quasi-absence de cursus post-baccalauréat, hormis des filières agricoles ou à faible qualification. Nos enfants quittent le département en nombre à 18 ans, quand leurs parents en ont les moyens ou qu’ils obtiennent une bourse, pour étudier et font leur vie ailleurs. Notre population est vieillissante, sans grand espoir que ces jeunes reviennent un jour y élever leur progéniture, faute d’entreprises recrutant des emplois qualifiés. Ils prennent goût au libre accès à tous les services, à la culture, au transport, à des plans de carrière, à tout ce dont leur département est privé. Ici, tout est loin, difficile d’accès, compliqué, bloqué, figé.
Le retour des services publics locaux dépend principalement de la bonne volonté d’élus, exsangues de financements, peu aidés dans leurs démarches de demande d’aides, mais qui ont montré, avec la crise sanitaire, qu’ils étaient les seuls à même de proposer une organisation cohérente avec les besoins de leurs administrés.
Entreprendre dans notre département devient un parcours du combattant. Comment faire connaître nos savoir-faire ancestraux, notre patrimoine, la beauté de nos paysages, nos produits, vendre nos services, attirer l’installation de nouveaux venus, d’entreprises qui offriront dynamisme économique, richesse à notre département et perspectives de carrière à nos jeunes, si nous ne sommes pas reliés au monde, ni par les transports, ni par une couverture de téléphonie mobile ou numérique efficace partout ? Pourtant c’est bien de cela dont nous avons besoin.
On ne peut pas se satisfaire de quelques emplois précaires dans des zones commerciales qui étouffent à petit feu les commerces de nos centres-villes et détruisent l’emploi.
Et enfin, comment affirmer que l’on va décentraliser quand les fonctionnaires sont mutés dans les grandes villes, comme Clermont-Ferrand et Lyon ? C’est ça la province ? Elle doit continuer à s’organiser autour de mastodontes où on ne peut ni se loger, ni se déplacer dans des conditions acceptables, ni respirer un air sain ?
Notre département, comme beaucoup d’autres, a besoin d’être considéré. Les Cantaliens ont une histoire, un patrimoine, du talent et on fait émerger de grands hommes d’Etat, des personnalités dont l’aura a largement dépassé les frontières. Paul Doumer, Georges Pompidou, Germaine Tillion, Paul Bastid, Louis Mallet, ont tous trouvé les ressources essentielles, la force de caractère nécessaire à accomplir de grandes œuvres ici. Les Cantaliens, parce qu’ils doivent continuer à être fiers de leur histoire, de leurs racines, de leur territoire, de leurs luttes pour la justice et la liberté, ne peuvent être regardés comme des citoyens de seconde zone. Ils doivent avoir accès à la même qualité de service, même au fin fond de nos territoires ruraux.
On ne peut accepter plus longtemps la fracture numérique qui a durement lésé les écoliers, les étudiants, durant la période passée, qui freine les ambitions de développement de télétravail et, donc, d’installations de familles dans nos bourgs. Des solutions à faible coûts d’investissement et à rendement à court terme, dans des data center par exemple, permettraient d’apporter un remède immédiat à ce problème d’accès à Internet, tout en générant des ressources supplémentaires aux collectivités locales qui les hébergent.
On ne peut tolérer plus longtemps d’être déconsidérés et tenus à l’écart des centres de décision, du reste du monde.
C’est une lutte que l’ensemble des élus responsables de ce département mènent ensemble, unis pour le Cantal, conscients de l’urgence de la situation. De cette lutte dépend la survie de notre département. Son ouverture vers l’avenir est liée à son ouverture vers l’extérieur.
Il faut désenclaver le Cantal !
Laurence Taillade
Présidente du Parti Républicain Solidariste
Essayiste auteur de Etre une femme en 2020 et L’urgence laïque, Editions Michalon