Après 48 heures de marchandage, Ursula von der Leyen, ministre de la Défense allemande, vient d’être désignée à la tête de la Commission européenne. Très impopulaire dans son pays, sa nomination pour succéder à Jean-Claude Juncker ne fait pas l’unanimité Outre-Rhin. Réaction de Patrick Martin-Grenier, enseignant en droit public et constitutionnel.
L’Europe ne sort pas grandie du marchandage dont elle vient de donner le triste spectacle pendant plusieurs jours. La scène qui s’est jouée autour de la nomination aux postes les plus importants de l’Union européenne, a montré à quel point la démocratie européenne avait encore des efforts à faire.
La candidature de Manfred Weber torpillée par Emmanuel Macron
Ainsi, le système dit du « spitzenkandidat », c’est-à-dire le candidat d’une famille politique européenne désigné par l’ensemble des partis européens a été dénoncé par Emmanuel Macron au motif qu’une telle procédure n’était pas conforme au traité et qu’elle n’était pas un gage de démocratie.
Emmanuel Macron a pilonné cette procédure et donc Manfred Weber à qui l’opposait – il faut bien le dire – un contentieux personnel depuis que le député allemand avait fait repoussé sa proposition de listes transnationales aux élections européennes.
Ce faisant et parce qu’il n’a pas été capable de la remplacer par une procédure au moins aussi transparente, il en a résulté des négociations tenues en catimini, aboutissant à nommer une candidate désignée à la présidence de la Commission dans le secret des couloirs du bâtiment du Conseil européen.
La candidature d’Ursula von der Leyen sortie de la pochette surprise
La procédure de sélection de Mme Ursula Von der Leyen a été on ne peut plus obscure et scandaleuse ; elle a d’ailleurs suscité une véritable bronca en Allemagne.
Tandis que le président de la République cherchait une personnalité expérimentée et compétente ayant exercée les plus hautes responsabilités, il en a été réduit à sortir du chapeau une ministre qui n’a pas, loin de là, brillé par sa capacité à gérer son ministère.
L’armée allemande est en butte à une double crise de recrutement et de matériel avec des avions « cloués au sol » et des « sous-marins en panne » d’après la presse allemande. En outre, le coût de la rénovation d’un navire ancien a explosé tandis qu’elle a recruté des experts sans mise en concurrence à des coûts regardés comme exorbitants. Voilà ce que l’on appelle une personne compétente et expérimentée qui de surcroît, si elle a pu avoir des relations avec l’Europe, n’a jamais fait face directement à des chefs d’Etat et de gouvernement, notamment pour négocier des accords commerciaux.
Sa nomination dans le plus grand secret des coulisses de Bruxelles a suscité la colère de la classe politique allemande, Sigmar Gabriel, ancien chef du SPD, parlant de « supercherie » et affirmant même que cela constituait un motif de départ des ministres socialistes du gouvernement à Berlin. Globalement, la presse allemande considère qu’il s’agit d’une « pilule amer » à avaler pour Angela Merkel, cette ministre lui ayant pour ainsi dire été imposée par le président français, geste considéré comme « inamical » pour le chef de la CSU bavaroise !
Le journal allemand a même suggéré que le Parlement européen, notamment des députés CDU/CSU/PPE, ne votent pas l’investiture de Mme Von der Leyen afin de contrer ce mini-coup d’Etat.
Au lendemain de la désignation de Mme von der Leyen, ce n’était que louanges en France au motif qu’enfin une femme accédait à ce poste. Qu’une femme préside la Commission européenne est incontestablement une avancée. Mais la désignation de la ministre allemande non seulement n’est pas le meilleur choix, mais reste tout de même une victoire pour Angela Merkel, même s’il s’agit d’un pis-aller : elle envoie une proche à la présidence de la commission qui reste dans le giron du PPE, son parti politique.
Une victoire pour Angela Merkel
Car à Osaka, lors du G20, face au refus du président français d’avaliser le choix de Manfred Weber, elle avait accepté de soutenir Frans Timmermans, le socialiste néerlandais. C’eût été trahir et travestir la volonté des électeurs qui avaient tout de même, malgré un affaiblissement, placé en tête la droite classique, le PPE, lors des élections européennes.
Sa proposition fut rejetée sans ménagement par son parti politique lors d’une réunion à Bruxelles de laquelle elle fut obligée de partir faute de pouvoir s’expliquer sereinement sur cet accord d’Osaka. Ainsi, la présidence de la Commission revenait dans le giron du PPE. Pour avoir violemment rejeté la candidature de Manfred Weber et suscité un scandale politique en Allemagne, le président français ne pouvait plus décemment soutenir la candidature de Michel Barnier qui, incontestablement, était le candidat idéal au bon moment.
Emmanuel Macron ayant été accusé d’être antiallemand, de fait, il fallait trouver une femme, allemande, et appartenant au partir PPE.
Le choix conduisait donc, faute de mieux, à Mme von der Leyen, même si, manifestement, les critères de compétence exigée par Emmanuel Macron ne sont pas remplis.
Enfin, on a parlé, faussement, d’une entente franco-allemande. C’est plutôt une mésentente qui a conduit à ce résultat, permettant au président français, d’imposer Christine Lagarde au poste de présidente de la Banque centrale européenne qui, s’il reste un poste prestigieux, essentiel dans la politique monétaire, ne fera pas de Christine Lagarde une responsable politique de l’Europe, mais la gardienne du temple de l’orthodoxie budgétaire.
Le vrai pouvoir incontestablement sera à Bruxelles où les Allemands sortent renforcés avec une présidente allemande de la Commission désignée et un secrétaire général de la commission tout puissant lui aussi allemand, très critiqué pour son mode de gestion très autoritaire.
Patrick Martin-Genier
Essayiste spécialiste des questions européennes et internationales
Enseignant en droit public à Sciences-Po
Administrateur de l’Association Jean Monnet
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