En ce début du mois de décembre 2024, la motion de censure, qui scellera le sort du gouvernement Barnier le jour de la Sainte Barbe, patronne des mineurs, des pompiers et des artificiers -ironie du calendrier !-, était plus que prévisible, voire attendue sans surprise. Tous ceux qui prétendraient le contraire, au demeurant toujours les mêmes fédérés autour des vestiges de la macronie seule comptable de la désastreuse situation actuelle, se réfugient dans le déni en rejetant la conséquence de leur impéritie et de leurs erreurs d’appréciation sur les deux blocs qui leur sont opposés au sein d’une Assemblée nationale sans majorité viable, largement le fruit de leurs manœuvres de « front républicain » à double tranchant pour contrecarrer l’émergence d’une alternance à l’issue des législatives du début de l’été 2024.
La mauvaise comédie jouée au « cher et vieux pays » depuis avril 2022, allant crescendo jusqu’à la dissolution de juin 2024, n’a que trop duré et la crise majeure qui en résulte aura peut-être la vertu de servir d’électrochoc aux gouvernants qui ont conduit la France dans l’impasse sciemment ou aveuglément, peu importe, le résultat est le même : échec sur toute la ligne et impératif de s’en sortir faute de quoi le naufrage sera bel et bien acté.
Mais probablement une des leçons à tirer pour la postérité sera que l’on ne jette pas une grenade dégoupillée dans les institutions d’un pays confronté à des défis immenses sur des décennies sans en payer tôt ou tard le prix fort. Il y a aussi une bonne dose de mépris conscient ou non vis à vis de l’ensemble des électeurs que d’agiter le spectre d’un chaos insurmontable, mortel, prédiction de crise financière apocalyptique après celle du budget assortie de menace et chantage à la cessation de paiement, quand pendant sept ans la politique menée par les premiers ministres successifs, prédécesseurs de Michel Barnier, avec le même responsable à la tête de Bercy, a débouché sur la dette abyssale et les mauvais indicateurs économiques actuels. La France a été certes impactée profondément et durablement par la pandémie et les effets dévastateurs de la guerre d’attrition en Ukraine, mais si elle n’est pas la seule en Europe à avoir été confrontée à pareille épreuve, elle est dans le peloton en tête des États de l’Union déficitaires. Qui est comptable de cet état de fait ? Il ne sert à rien d’épiloguer ou d’énumérer les maux qui accablent la société, l’économie et la vie politique du pays tant qu’on refuse d’assumer de les nommer et de les reconnaître dans leur juste amplitude.
Les choix qui ont été faits par l’exécutif ont les effets pervers que l’on constate aujourd’hui en cours de deuxième mandat et le temps qui a été gaspillé et perdu avant de désigner Michel Barnier à Matignon sous prétexte de la parenthèse « enchantée » du déroulement des Jeux olympiques de Paris, a été autant d’occasions retranchées aux négociations avec les oppositions pour l’élaboration et la recherche d’un consensus acceptable autour du budget de 2025.
Dans une situation aussi précaire et délétère que celle qui a résulté de la dissolution de juin 2024, personne n’aura pris la peine de mesurer le facteur temps nécessaire pour construire une coalition de circonstance en l’absence de majorité et en l’état d’ingouvernabilité, plutôt de blocage, du pays.
Qui plus est, en ne laissant pas à Michel Barnier les coudées franches pour composer son équipe et en misant uniquement sur ses talents de négociateur du Brexit pour piloter la barque en péril, on a sous-estimé les divergences mortifères prégnantes au sein d’un bloc central tiraillé entre les deux grands pôles droite et gauche qui retrouvent toute leur vigueur originelle en période de crise.
On ne peut pas tracer une route fiable ni négocier convenablement en temps contraint quand au sein d’un même attelage, les chevaux tirent dans des directions opposées. Là aussi, la responsabilité de l’exécutif est en cause…
Quant à imputer à Marine Le Pen et au RN la cause de l’aggravation d’un chaos que d’aucuns font remonter à la crise des Gilets jaunes en novembre 2018 et aux leçons que l’on n’a pas su ou voulu en tirer, il n’y a guère que la macronie en date de péremption et ceux, prompts à exclure leurs opposants (élus en toute légitimité comme eux-mêmes) de « l’arc républicain » qui lui accordent encore un peu de crédit pour se défausser de leur responsabilité dans le fiasco de la motion de censure avec un tel cynisme et dans l’oubli total que c’est eux qui ont été aux manettes depuis 2017 sous la bannière du « En même temps » afin de prétendument mettre en marche la France ! Et c’est prendre une fois de plus les électeurs pour ce qu’ils ne sont pas en faisant injure à leur bon sens et à leur mémoire que d’occulter de la sorte sept ans d’exercice du pouvoir par ceux qui ont conduit le « cher et vieux pays » là où il se réveille aujourd’hui. Ce n’est pas sérieux ni digne d’une démocratie en bonne santé mais c’est plutôt le symptôme d’un système qui a atteint ses limites faute de s’être suffisamment interrogé sur les évolutions nécessaires pour améliorer son fonctionnement dans de nombreux domaines, mode de scrutin, cumul des mandats, financement des partis, voies référendaires, etc…
C’est l’après vote ou non de la motion de censure qui importe désormais car les solutions techniques existent et les institutions conservent encore assez de ressources pour élaborer un autre budget que celui qui est sur la table et qui n’est visiblement pas en mesure d’être voté ni de faire quelconque consensus en l’état actuel des discussions. Au delà, il y a aussi l’appel ultime au peuple anticipé ou pas mais une chose est certaine, il y a toujours des solutions et des alternatives au chaos quand il subsiste encore un peu de lucidité et d’honnêteté, et surtout de volonté politique pour retrouver un cap clair. Il y aura nécessairement des frustrations, des erreurs, des conséquences à ne pas adopter un budget qui de toutes façons palliait imparfaitement les défaillances de gouvernance ayant conduit à l’impasse présente. Manque-t-on à ce point de solutions pour y remédier auquel cas la seule conclusion à en tirer ne peut venir que du plus haut sommet de l’état ?
« Rien de grand ne sera jamais accompli sans de grands hommes, les hommes ne sont grands que s’ils sont déterminés à l’être. » C’est une citation du Général de Gaulle qui a aimé son pays sans tergiverser, tout en respectant les aspirations de son peuple, mais aussi en l’acceptant avec ses ombres et ses lumières dans le temps long de son histoire millénaire.
La France est un grand pays au passé solide et inspirant qui a besoin de retrouver des repères et aussi de se projeter dans l’avenir en regardant autour d’elle le monde tel qu’il est en train de muter, au dehors de ses limites ou du seul pré carré de la maison sans fenêtres du Palais Bourbon…
Dans quelques jours, après la motion de censure, la Vierge du pilier, miraculée et miraculeuse, va retrouver fidèles et visiteurs de France et du monde entier au sein de Notre Dame restaurée après l’incendie du 15 avril 2019. A l’instar de la cathédrale de Reims, lieu du sacre de nos Rois, incendiée par des obus allemands en 1914, cette nef de pierre connue du monde entier va renaître pour redevenir un lieu unique de prière et de recueillement mais aussi l’illustration formidable de l’immense talent des artisans français quand ils sont mobilisés pour une tâche qui contribue à la grandeur de notre « cher et vieux pays ». Courage, volonté et résilience, c’est la voie du salut qui l’emporte sur l’adversité dans nombre d’épreuves, propre à nous redonner espoir en un lever de rideau sur un avenir collectif politique plus conforme à nos aspirations…
Eric Cerf Mayer
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