La France des comptes publics est décidément sous pression. Tant le budget de l’État que les comptes de la Sécurité sociale sont en ébullition à l’instar d’un volcan islandais dont nous savons qu’il fait partie des éléments incontrôlables en puissance comme en inscription temporelle.
Du fait de comptes alambiqués et de l’impact des différentes mesures prises sous la pression des situations de crise induites par la Covid-19, la Cour des comptes a franchi le Rubicon et décidé de ne pas certifier les comptes sociaux jugés invérifiables.
La Cour considère qu’elle n’a pas été mise en capacité d’auditer, de manière crédible, les comptes de l’activité de recouvrement (Urssaf). Les magistrats financiers de la rue Cambon soulignent, de surcroît, que les systèmes de contrôle interne sont grandement déficients.
Les soutiens gouvernementaux face à l’impact récessif du choc exogène qu’a représenté la Covid-19 ont induit des mesures exceptionnelles dont il ressort que leurs comptabilisations ont été défaillantes et parfois clairement erratiques.
La Cour des comptes refuse de certifier le bazar de l’exercice 2020, ce qui pose problème.
De fait, nul n’est en mesure de confirmer le chiffre de 38 milliards de déficit des comptes sociaux. L’épaisseur du trait peut aller, selon certaines sources, jusqu’à 15 Mds additionnels sans même évoquer la question récurrente de la fraude sociale finement analysée par le magistrat Charles Prats, ou par les travaux de la Vice-Présidente de la Commission des Lois du Sénat en la personne de Madame Nathalie Goulet (UDI).
Dans le détail, la situation est “calamiteuse” pour reprendre le mot passé à la postérité prononcé par Alain Juppé, alors Premier ministre du Président Chirac.
Les états financiers de la CAF sont préoccupants. Ainsi, la branche famille fourmille d’erreurs dans le versement des prestations.
“Les erreurs liées aux données déclarées par les allocataires prises en compte pour attribuer les prestations ont de nouveau augmenté et atteint 7 Mds d’€uros pour 2020, soit 9,4% des prestations.
Elles équivalent à près d’un quart des sommes versées pour la prime d’activité et d’un cinquième pour le RSA. Le montant des erreurs définitives, principalement en faveur des allocataires, faute d’avoir été détectées par les CAF, n’est pas encore connu à ce stade mais pourrait s’accroître. Pour leur part, les erreurs liées aux opérations internes effectuées par les CAF ont continué à s’inscrire à un niveau élevé : 1 Md€ représentant 1,4% du montant des prestations servies.”
La situation des URSSAF engendre un refus de certification par la Cour des comptes. Le point le plus critique provenant de la gestion imparfaite du régime des indépendants.
“Des incertitudes majeures et des désaccords affectent les comptes : risque d’insuffisance significative des produits de prélèvements sociaux des travailleurs indépendants : manque de justification des dépréciations des créances sur les cotisants qui se sont constituées en 2020; absence d’exhaustivité des montants comptabilisés d’exonérations et d’aides au paiement en faveur des entreprises affectées par des mesures de fermeture administrative.”
Ainsi, l’empilement des mesures décidées par le Gouvernement n’a pas été scrupuleusement recensé dans les incontournables écritures comptables.
De telles approximations sont mortifères pour la rectitude des situations financières réelles.
La branche vieillesse est, elle aussi, atteinte par le fléau de l’incertitude.
Les chiffres sont alarmants. “En 2020, 1 prestation de retraite sur 6 attribuée en 2020 à d’anciens salariés est affectée d’une erreur financière. Contre 1 sur 9 en 2016. L’impact de ces erreurs atteint 1,9% du montant des prestations nouvelles (contre 0,9%).” Et la Cour d’ajouter : “On peut anticiper que les erreurs affectant les retraites attribuées en 2020 auront un impact cumulatif de 1,6 Mds€ jusqu’au décès des pensionnés”.
Un caillou de plus dans une éventuelle réforme paramétrique des retraites, post 2022…
La branche maladie et accidents du travail n’échappe pas à la censure de la Cour des comptes qui la matérialise par une non certification.
“Le dispositif de contrôle interne présente des faiblesses structurelles portant notamment sur la justification des droits aux prestations d’assurance maladie et le paiement à bon droit des frais de santé et des indemnités journalières. En 2020, ces faiblesses se sont accentuées.
Le montant estimé des erreurs affectant les règlements de frais de santé atteint 1,9 Mds€ soit 2,4% de leur montant, essentiellement au détriment de l’assurance-maladie. Plusieurs risques financiers ne sont toutefois pas mesurés : assurés en surnombre, erreurs de facturation des établissements de santé publics et privés non lucratifs, fraudes.”
Au total, on conçoit les motifs qui ont conduit la Cour à recourir à l’arme de la non certification des comptes.
Dans le secteur privé, la récente émission de réserves des commissaires aux comptes du Groupe ATOS a conduit les actionnaires à refuser, en Assemblée générale annuelle, l’approbation des comptes annuels.
Dans le secteur public, la République parait bien tolérante, pour ne pas dire plus, et accepte, de facto, des pratiques allant au-delà du seuil de l’acceptable.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique