On parle beaucoup d’islamo-gauchisme en cette période, et pour cause, les universités sont gangrénées par ce fléau idéologique prétendument scientifique, et les promoteurs de ce fléau sont soutenus par certains médias et responsables politiques acquis à cette cause militante. On parle moins cependant d’une autre mouvance idéologique tout aussi dévastatrice, l’islamo-libéralisme, responsable depuis 50 ans au moins de l’islamisation progressive de la France, et de l’aveuglement, voire de la complaisance, des principaux responsables politiques de la droite française.
La tentation est grande à l’heure actuelle d’évacuer la question de l’islamo-droitisme en réduisant ce dernier à un islamo-clientélisme. Certes, nombreux sont les élus de droite régulièrement accusés d’être complaisants avec les franges les plus intégristes de l’islam pour des raisons électoralistes ; de Pierre Bédier dans les Yvelines à Christian Estrosi à Nice en passant par Philippe Marini à Compiègne ou François Grosdidier à Metz, la liste est probablement assez longue. Mais il serait coupable d’ignorer les racines intellectuelles fortes qui fondent ce qu’on nomme improprement « l’islamo-droitisme » en limitant son périmètre au cynisme de certains élus prêts à sacrifier la laïcité, la République voire la civilisation française pour conserver leur fauteuil. Cela serait d’autant plus coupable que l’idéologie sous-jacente à de telles compromissions avec l’islamisme concerne également des haut-fonctionnaires – préfets, administrateurs, conseillers d’Etat, etc. –, des juges, des journalistes, des intellectuels, qui n’ont pas, eux, d’intérêts électoraux, et qui ne sauraient non plus être classés dans la catégorie : islamo-gauchistes.
La clef de ce dilemme est la suivante : le véritable visage de l’islamo-droitisme est l’islamo-libéralisme.
Pour comprendre ce phénomène, il peut être utile de revenir en arrière. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, selon le fameux mot de Malraux, entre les communistes et les gaullistes, il n’y a rien. La position gaulliste en la matière est bien connue, elle est celle, polémique, qui consiste à éviter que Colombey-les-deux-églises ne devienne Colombey-les-deux-mosquées. Quant à l’islamo-gauchisme il n’existe pas ! Le PCF de Maurice Thorez est contre l’immigration, en faveur de l’armée, de l’empire français et de la production, ainsi que l’explique Georgette Elgey dans son remarquable ouvrage sur la IVe République. Le grand basculement a lieu dans les années 70, à l’époque de l’alliance du patronat et des libéraux, sous l’ère Giscard d’Estaing, qui succèdera au gaullisme et en ruinera les fondements. Le PCF n’a pas changé de ligne. A droite en revanche… Le secrétaire du Parti communiste, Georges Marchais, écrit ainsi au recteur de la Grande Mosquée de Paris : « La présence en France de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration posent aujourd’hui de graves problèmes. » Dans cette même lettre (citée dans l’ouvrage collectif L’islamisation de la France 1979-2019), Marchais poursuit ainsi : « M. Giscard d’Estaing et les patrons refusent les immigrés dans de nombreuses communes ou les en rejettent pour les concentrer dans certaines villes, et surtout dans les villes dirigées par des communistes. Ainsi se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français. »
Toute la problématique du choc des civilisations était donc déjà en place il y a 40 ans : traditions, langues, façons de vivre différentes, qui à la fois minent la paix sociale et fracture la cohésion nationale.
La droite refuse de le voir. Elle préfère concentrer ces problèmes qu’elle contribue à importer dans certaines villes ou certains quartiers, et créer ainsi les ghettos urbains que nous connaissons et qui deviendront au fil des ans de véritables enclaves étrangères, des poudrières islamistes et djihadistes, à l’image de Trappes. Mais la droite libérale, ce n’est pas seulement un mode de gouvernement économique néo-libéral, désireux de favoriser l’immigration pour peser à la baisse sur les salaires sans s’inquiéter des conséquences civilisationnelles, c’est aussi un mode de gouvernement politiquement libéral. On retrouve les racines de cette pensée islamo-libérale dans l’exemple suivant, extrait du chapitre intitulé « 1980 », de l’ouvrage cité ci-dessus. Fort du décret d’avril 1976 sur le regroupement familial, la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat, sera amené à statuer en 1980 en faveur de l’accueil d’un diplomate béninois ouvertement polygame. La raison ? Le « droit à mener une vie familiale normale » ! Les auteurs écrivent : « Dans son arrêt Montcho du 11 juillet 1980, le Conseil d’Etat ne se contentait pas de reconnaître le statut de polygame du requérant ; il imposait aussi aux caisses de Sécurité sociale et d’Allocations familiales, qui s’y refusaient jusqu’alors, de reconnaître les enfants des deuxième, troisième ou quatrième épouses d’un immigrant. »
Nous voyons que le principe d’une immigration de masse, pour raison économiques, et que le principe d’un accueil inconditionnel au mépris des traditions culturelles, des mœurs, du droit même de la France, n’est pas tant le fait du socialisme que celui du libéralisme.
Si, par la suite, la révolution idéologique héritée de Mai 68 et des philosophes déconstructivistes, Derrida, Foucault, Deleuze, etc., a profondément influencé la gauche et l’a ralliée peu à peu à ce que nous nommons actuellement « islamo-gauchisme », la droite a été leader en matière de compromissions avec l’islamisme, d’aveuglement civilisationnel, et elle reste leader, aujourd’hui encore. Le libéralisme demeure en effet le principal dogme favorisant la libre circulation des individus, et donc l’immigration (notamment pour raisons économiques, mais pas uniquement), ainsi que l’extension ad infinitum des droits individuels, notamment celui accordé aux étrangers d’exprimer librement l’ensemble de leur culture au sein du pays d’accueil tant qu’elle ne « trouble pas l’ordre public », ce qui est le principal vecteur de l’islamisation de la France : multiplication des voiles, du halal, des mosquées, des mœurs islamiques en tous genres.
Emmanuel Macron, le plus giscardien de nos présidents, incarne aujourd’hui la synthèse de ce libéralisme, alliance des libéraux de gauche et de droite.
Le nombre de visa primo-arrivants délivrés sous son mandat dépasse même celui, déjà astronomique, du quinquennat Hollande. L’alliance du multiculturalisme – qu’il refuse de reconnaître mais qui est bien réel – et du dogme libéral qui commande aux institutions françaises et européennes, gratifie chaque nouvel arrivant d’un panel de droits lui permettant d’imposer à tous les Français, au sein de l’espace public, son « mode de vie » islamique. Il ne s’agit pas d’islam politique, mais d’islam culturel. Il ne vise pas l’Etat et ne trouble pas l’ordre public ; il vise la société civile et remplace le fameux « art de vivre à la française » par un « art de vivre » islamique. Plus que l’islamo-gauchisme, l’islamo-libéralisme constitue la réelle menace civilisationnelle qui pèse sur la France.
Frédéric Saint Clair
Analyste politique