La recherche scientifique et l’innovation technologique se sont installées tardivement dans le projet européen. Les prémices de ce que l’on appellera à partir de 2000 l’espace européen de la recherche (EER) remontent au début des années 80 avec le vote du premier programme-cadre, pour un montant équivalent à 3,75 milliards d’euros. L’EER s’imposera au sommet de Lisbonne, en mars 2000. L’Union européenne affiche clairement sa volonté de construire une « économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde (…), capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
Une mobilisation autour des programmes d’excellence
Deux décennies plus tard, l’Europe fait partie intégrante du paysage de la recherche mondiale. De la première image d’un trou noir dévoilée le 10 avril dernier à la détection des premières ondes gravitationnelles, du boson de Higgs à la première sonde à se poser sur une comète située à des centaines de millions de kilomètres de la Terre, il n’est pas un grand résultat, pas une découverte majeure qui n’ait bénéficié ces dernières années de l’engagement de l’Union européenne. Les programmes de recherche européens se sont imposés dans la vie des laboratoires, même si on peut parfois déplorer leur formatage et la complexité des dossiers à monter, pour un taux parfois faible de réussite.
Parmi ces programmes, l’European Research Council (ERC), qui vient de fêter ses dix ans d’existence, représente un formidable outil reconnu et envié dans le monde entier. Et un extraordinaire accélérateur de talents : en dix ans, six lauréats ERC ont reçu le prix Nobel et trois la médaille Fields !
Avec 13 milliards d’euros de budget sur la période 2014-2020, ce programme, dont le but est de financer l’excellence scientifique grâce à des bourses allouées individuellement, a bénéficié à plus de 1 000 scientifiques français, dont plus de 500 chercheurs et chercheuses du CNRS.
Traverser la « vallée de la mort » qui sépare la recherche du marché
L’engagement de l’UE en faveur de la recherche est appelé à se renforcer dans le prochain programme-cadre, Horizon Europe. Le Parlement, le Conseil et la Commission ont proposé que son budget franchisse la barre symbolique des 100 milliards d’euros. Si cette promesse se concrétise comme prévu en octobre prochain, l’effort de recherche correspondrait alors à près de 10 % du budget de « l’Europe de demain » (1 280 milliards de 2021 à 2027), devenant ainsi comparable à la politique de cohésion et au soutien à l’agriculture. Cet engagement est nécessaire.
L’UE, qui consacre environ 2 % de son PIB à la recherche contre 2,6 % pour les États-Unis et 3,2 % pour le Japon, et même 4,2 % pour la Corée du sud, doit veiller à ne pas se laisser distancer sur le terrain de jeu mondial de la science.
Horizon Europe comblera aussi un manque en mettant en place un conseil de l’innovation (EIC) destiné à aider à traverser la « vallée de la mort » qui sépare trop souvent la recherche du marché. L’EIC favorisera la transformation des connaissances en procédés et produits de rupture, capables de stimuler la croissance, de dynamiser la créativité européenne et de préserver sa souveraineté.
L’EIC deviendra la porte d’entrée unique à un ensemble de financements qui recouvrent toute la chaîne de l’innovation. Son action devrait permettre de gagner en rapidité pour traiter les dossiers (un paramètre prépondérant en matière d’innovation) et pourrait répondre à des besoins de scientifiques de tous horizons, allant de la deep tech aux sciences humaines et sociales.
CNRS : un rôle clé dans l’espace européen
Acteur majeur de la recherche en France et en Europe depuis sa création, il y aura 80 ans en octobre 2019, le CNRS est partie prenante de l’aventure européenne depuis sa création. Avec plus de 700 millions d’euros perçus depuis la création des programmes européens, le CNRS en est également le premier bénéficiaire via son millier de laboratoires, communs à des universités, écoles et autres organismes de recherche. Un résultat qui, comme le rappelait le commissaire européen à la Recherche, à l’Innovation et à la Science, Carlos Moedas, à l’occasion de la convention des directeurs et directrices de laboratoires qui s’est tenue le 1er février à Paris, doit non seulement à l’envergure de l’organisme mais aussi à son caractère pluri et interdisciplinaire.
La part de financement des programmes qui revient à la France est à peine de 10,6 %, alors que notre contribution financière représente 16 %. Nous pouvons et nous devons faire mieux. Et cela d’autant plus que le taux de succès des équipes de recherche françaises aux appels à projets du programme-cadre européen Horizon 2020 est de 14,4 %, le meilleur d’Europe. Il nous faut donc soumettre davantage de projets ambitieux.
Qu’il s’agisse de l’ERC ou des projets collaboratifs, en progrès sous Horizon 20201, il faut arriver à combler ce décalage entre notre puissance scientifique et le retour sur investissement !
Pour y parvenir, le CNRS s’engage dans l’élaboration de la politique scientifique européenne. Il est désireux de participer à la définition des programmes de travail et à l’évaluation des projets mais surtout en contribuant aux choix stratégiques de l’Europe de la recherche. Notre dialogue avec les directions de la Commission européenne compétentes en matière de recherche et d’innovation et avec le Parlement (commission ITRE) doit s’intensifier. Le nombre de chercheurs et de chercheuses impliqués dans les panels d’évaluation des projets européens doit aussi s’accroître.
Nous entendons aussi tirer profit de notre participation aux réseaux et aux infrastructures européennes dans le but d’articuler nos positions avec celles de nos principaux partenaires, les universités européennes ou les grands organismes de recherche pluridisciplinaires (Max Planck, Helmholtz, Leibniz, CSIC ou CNR) avec lesquels le CNRS a signé un appel conjoint en octobre 2018. Dans ce texte, les institutions de recherche phares des pays membres ont rappelé que « l’excellence est un impératif absolu pour que l’Europe demeure l’un des pôles les plus attractifs et compétitifs sur le plan mondial (…) et « doit par conséquent caractériser tous les programmes et instruments qui structurent l’Espace européen de la recherche. »
La recherche publique européenne a besoin de la France. Et notre pays doit pouvoir s’appuyer sur une représentation nationale pleinement consciente des enjeux scientifiques et susceptible de les relayer à tous les niveaux. Dans le domaine de la recherche, la France a besoin de plus d’Europe, de partager une ambition qui contribue à faire de cette Union de 500 millions d’habitants une place forte qui donne une priorité au progrès social, économique et scientifique.
Le CNRS se reconnaît dans cette ambition et entend se donner les moyens d’y contribuer. Il faut l’aider, ainsi que tous les acteurs de la R&D française !
Antoine Petit
Président directeur-général du CNRS
- Le CNRS a décroché 747 projets collaboratifs sur 10 752 sous le FP7 – soit un taux de succès de 6, 9 %, et 829 sur 11 821 sous Horizon 2020, soit un taux de 7,1 %. ↩