La Revue Politique et Parlementaire publie en primeur le « Manifeste imaginariste » de Stéphane Rozès. Il y expose, en 25 thèses, sa grille d’analyse sur les imaginaires des civilisations et des peuples qui fondent la vie des sociétés et le cours des choses. Ces convictions résultent d’un travail de quatre décennies comme professionnel des études et du conseil auprès de responsables et décideurs économiques, sociaux, et politiques locaux, nationaux et internationaux.
1. La condition humaine se caractérise par la conscience de la mort et des limites individuelles.
Celle-ci conduit les hommes à s’assembler en communautés humaines, ethnies, clans, tribus, peuplades et peuples pour donner sens à leur vie et faire face ensemble. La liberté, collective et individuelle, réside dans le fait de comprendre son environnement, les autres communautés humaines, d’où l’on vient, la cité, le bien commun ; d’envisager ce qui est possible et souhaitable pour être artisan de son destin.
2. Chaque civilisation est dotée d’un imaginaire, « d’une façon de voir ».
Afrique, Orient, Occident, Eurasie, pays arabo-musulmans et Amérique latine tiennent leurs diverses communautés humaines par le partage d’un inconscient collectif, qui résulte de leurs rapports à l’espace, au temps, à la nature, aux relations interpersonnelles, divinités, au politique et aux autres peuples. Ainsi l’imaginaire occidental est prométhéen ; « nous rendre comme maître et possesseur de la nature » énonçait Descartes. Ce qu’ont en commun les autres civilisations dans leurs singularités propres est plutôt une quête d’harmonie avec la nature et les autres : « celui qui comprend les rites de la nature marche en paix dans le monde » formulait Confucius.
3. L’imaginaire d’un peuple, sa « façon de voir, d’être et de faire », résulte de la manière dont ce peuple s’est assemblé pour s’approprier le réel et s’y mouvoir.
Cet inconscient collectif structure les formes des imaginaires ; représentations et institutions religieuses ou politiques, rapports sociaux, à la technique et géopolitiques. L’imaginaire façonne les cadres de pensée et d’activités humaines dans tous les domaines de la vie en société. Il se constitue, tisse et se perpétue à travers le partage quotidien d’expériences pratiques, sociales et historiques communes. Elles sont nourries par des mémoires collectives et des transmissions intergénérationnelles, éducatives ou neuropsychologiques. Ce processus s’incarne dans des cadres linguistiques, symboliques et institutionnels, dans des normes religieuses, juridiques, politiques, ainsi que dans les formes de vie familiale et affective. Il s’exprime aussi dans l’ancrage, dans l’esprit des lieux, les pratiques culturelles – de la gastronomie aux productions artistiques, littéraires, intellectuelles ou urbaines – et dans les modalités d’organisation du travail, de consommation, d’épargne, ou d’innovation. Il engage enfin des représentations et appropriations spécifiques de l’économie, des techniques, de l’intelligence artificielle, des usages numériques et des façons de guerroyer.
Les imaginaires des peuples modèlent les rapports similaires qui relient le citoyen à sa nation, le résident à son territoire, le travailleur à son collectif de travail, le consommateur et l’épargnant aux marchés, l’internaute aux réseaux sociaux et le pays aux autres. Les peuples, selon leurs degrés de conscience et possibilités, se regroupent en cité-État, vivent à l’abri d’empires, ou se constituent en État-nation.
4. Chaque peuple est traversé d’intérêts sociaux différents, divergents, contradictoires cimentés par un même imaginaire.
Les communautés humaines sont composées de groupes sociaux, statuts et classes sociales tenus par un double processus. Ces altérités sociales sont précédées et reliées par leur imaginaire – leurs façons d’être, de voir et de faire – stable qui va encadrer des hétéronomies et institutions religieuses et politiques variables dans le temps. Dans les sociétés modernes, lorsqu’une vision commune de l’avenir, qui tient ensemble, est garantie alors l’horizontalité et les antagonismes sociaux peuvent se déployer. Mais lorsque le futur se dérobe, alors le dissensus social se retire et le retour de la verticalité politique et l’ordre deviennent l’aspiration dominante.
5. Les représentations intellectuelles, idéologiques et politiques dominantes des peuples, leur évolution ou ruptures résultent de leurs expériences collectives et des leçons qu’ils en tirent.
Ces représentations immanentes fondent, de façon différée et réaménagée, les débats intellectuels et idéologiques, les contenus médiatiques et réticulaires, ainsi que les mises en récit et projets partisans, les décompositions-recompositions et rapports de force politiques et électoraux. Ce n’est pas le haut qui fait les représentations du bas, c’est le processus inverse. Les souverains et dirigeants sont, non des auteurs, mais des acteurs politiques de la représentation de leurs peuples.
Quand les peuples font l’expérience du développement harmonieux et repérable de leurs sociétés, ils peuvent expérimenter les abstractions, théories critiques, de la déconstruction, la critique sociale et les alternatives politiques et utopies. Quand les peuples expérimentent le chaos, la contingence du cours des choses, ils recherchent le sens commun, des pensées de la norme, de la construction, de la conservation, des récits unifiants et politiques de l’autorité.
Les formations et personnalités politiques qui se rapprochent de l’axe de gravité idéologico-politique de l’imaginaire de leurs peuples, à un moment donné, émergent ou se renforcent. Celles qui s’en éloignent s’affaiblissent ou disparaissent. C’est cet axe de gravité qui aimante et fait varier le paysage politique et non ses acteurs qui mimétiquement se copieraient entre eux, qui trianguleraient.
6. L’Histoire procède de la façon dont les peuples s’approprient le réel au travers de l’agencement entre leurs imaginaires et leurs formes : représentations et institutions religieuses, politiques, rapports sociaux, à la technique et géopolitiques.
Elle ne résulte pas essentiellement des forces matérielles, de l’économie, des rapports sociaux ou de la puissance des idées, de valeurs, de la raison.
Le cours des choses n’est pas linéaire, avec des avancées et reculs momentanés, mais pour faire image il est cyclique, ou en spirale. Chaque peuple est représentable par une spirale avec, en son point central, son imaginaire archaïque et dans ses boucles qui se déploient concentriquement ses formes institutionnelles, rapports sociaux, à la technique et géopolitiques.
L’harmonie ou le chaos au sein des communautés humaines et entre elles résultent de l’articulation, cohérente ou dysfonctionnelle, entre les imaginaires pérennes des peuples et leurs formes variables. Si la dynamique d’éloignement des formes de leurs imaginaires vient à rompre leurs liens, alors le peuple va tenter de reprendre la main sur la maîtrise de son destin à partir de son imaginaire archaïque.
S’il ne le peut, alors c’est le chaos qui pousse à s’affronter à des boucs émissaires intérieurs et ennemis extérieurs pour ressouder le peuple. Lorsque les spirales de l’imaginaire d’un peuple rentrent en confrontation avec les spirales des autres communautés humaines, alors c’est la guerre. Elle est la prolongation de la politique pour reprendre prise sur son destin à partir de son imaginaire archaïque.
7. Transformations, Évènements ou révolutions réaménagent ou restructurent les sociétés par le travail entre représentations, institutions et rapports sociaux, techniques, géopolitiques et leur cadre imaginaire.
Tout bouge avec les transformations, Évènements ou révolutions mais selon les mêmes modalités pour advenir. Réformateurs et révolutionnaires sont amenés pour l’emporter à dépasser la forme religieuse ou politique antérieure. Les sociétés se transforment lorsque les formes des imaginaires – les représentations et institutions religieuses, politiques, rapports sociaux, à la technique et géopolitiques – se réaménagent entre elles.
Les sociétés connaissent des ruptures et révolutions lorsque les formes variables des imaginaires se substituent aux précédentes.
Ce qui fait Évènement est l’inconscient collectif qui remonte de façon consciente au travers d’un fait qui va cristalliser le changement d’agencement des formes de l’imaginaire d’un peuple.
8. L’imaginaire archaïque des peuples ressurgit quand le vital est en jeu.
Civilisations et peuples sont mus, non essentiellement par la prospérité ou les libertés individuelles, mais d’abord par la nécessité de faire face ensemble au réel. Ils se rétractent sur le caractère archaïque de leurs imaginaires dans les périodes de chaos, guerres ou lors de pandémies touchant de façon tragique et contingente peuples et individus.
9. Civilisations, empires et nations disparaissent quand leurs formes institutionnelles religieuses ou politiques, rapports sociaux, techniques et géopolitiques, par leurs dynamiques mêmes, se retournent contre leurs matrices imaginaires.
Alors les peuples qui les constituent se redéployent sous des formes différentes. Par temps de paix ou de guerre, la puissance d’une cité-État, d’un empire ou d’une nation résulte de la force du lien entre son imaginaire et ses institutions, son peuple et ses dirigeants.
10. Le consentement des peuples aux guerres, leurs résiliences et mobilisations dépendent de l’alignement entre leurs imaginaires et les enjeux des conflits militaires.
La maîtrise cognitive et objective des buts de guerre, de l’adhésion à ceux-ci et de la cohérence entre finalités politiques et moyens militaires doivent en découler.
Les guerres asymétriques et hybrides actuelles brouillent les frontières entre fronts extérieur et intérieur, nationaux et immigrés, le politique et le militaire, les guerres informationnelles et les affrontements sur le terrain. La conquête des esprits précède la conquête des territoires. En dernière instance, l’issue des guerres résulte du choc de la puissance des imaginaires des peuples et de leur solidité effective, résultant de la force et de la cohérence du lien entre chefs politiques, militaires et peuples.
11. Internet, les réseaux sociaux, les algorithmes et l’IA générative déploient des expositions individuelles encadrées par les imaginaires et culturels collectifs qui perdurent.
Les expositions et expressions numériques des individus, segmentés en parts de marchés en vue d’exploitations marketing et politiques ciblées, sont industrialisées. Les fondements sous-jacents de leurs flux résultent de la dialectique identitaire entre les imaginaires collectifs dans lesquels ils s’insèrent et leurs expériences individuelles partagées publiquement.
La crédulité aux fake news et les complotismes résultent d’abord de la déstabilisation des imaginaires des peuples comme cadres cognitifs d’appropriation du réel et capacité de le comprendre en le concevant indépendamment de la réalité, de ce qui est perçu à partir de la place qu’on y occupe. Cela obscurcit la compréhension du cours des choses et amène à recourir à des pensées magiques.
L’internet au travers des algorithmes, en enfermant les individus dans des communautés et bulles cognitives, amplifie passions tristes et crédulités préexistantes, terrain de campagnes ciblées de désinformation.
Les mêmes plateformes numériques semblent aplatir le monde, mais les différences culturelles qui président à leurs usages ramènent aux attitudes, comportements et investissements des internautes qui demeurent selon les peuples. Ces singularités nationales, observées par les plateformes des réseaux sociaux, s’aiguisent dans les périodes de repli des peuples sur leurs imaginaires archaïques.
12. Les collectifs de travail insérés dans des imaginaires nationaux verticaux et communautés humaines sont confrontés aux défis existentiels de l’IA horizontale.
Les performances des collectifs de travail résultent de la cohérence identitaire entre : leur culture, qui procède des métiers et de leur histoire capitalistique ou publique ; leur type d’organisation et de management ; leur projet de déploiement sur les marchés et territoires incarnés par un dirigeant et leurs marques, capital immatériel de référence des parties prenantes.
La création de valeur est fondée sur la cohésion des collectifs de travail. Elle se nourrit au quotidien des partages d’expériences professionnelles horizontaux au sein du collectif de travail insérés dans une vision commune et identité verticale. Ces processus vertueux de création de va- leur ont été déstabilisés par la valorisation financière des entreprises. Elle a substitué aux normes quotidiennes du travail réel des normes subies. Ces dernières ont déstabilisé les visions communes des collectifs de travail. Cela a généré une souffrance professionnelle résultant de l’écart entre les exigences d’un travail de qualité et ces nouvelles normes.
La cohésion des collectifs de travail, et plus généralement des communautés humaines, est remise en cause de façon existentielle par l’IA générative. Ses performances exponentielles révolutionnent ce qui fonde les collectifs de travail et les communautés humaines. La question existentielle de ce qui relie communautés et collectifs de travail se pose dès maintenant. On passe du partage d’expériences humaines, par l’échange entre citoyens et travailleurs, à des transferts immédiats d’informations entre chaque individu et son agent IA. L’efficacité numérique immédiate se substitue à la fabrication du consentement, le probable au souhaitable, la donnée au langage, le calcul horizontal à l’hétéronomie verticale religieuse, politique ou managériale.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une révolution technologique, le numérique, prend son autonomie de la maitrise cognitive et réelle de l’homme. En Occident, et singulièrement en France du fait de son imaginaire, la technique et l’innovation doivent être précédées et encadrées par le progrès.
Au-delà des impacts de l’IA sur l’emploi, la rétribution du travail ou revenu des individus, le capitalisme, les entreprises, les sociétés et la démocratie ; la dimension anthropologique de la révolution technologique numérique est posée. Ces dimensions sont largement occultées par les élites intellectuelles, politiques et partenaires sociaux en France. L’issue de cette révolution technologique, d’une nature différente des précédentes, résultera du choc ou de la coexistence entre l’imaginaire des peuples et l’IA générative, au fait de savoir si cette dernière sera au service de l’humain ou s’y substituera. Alors on verra si la technique poussée à son paroxysme est bien dans sa réalité une résultante des inconscients collectifs des communautés ou si on rentre dans une nouvelle ère post-humaniste.
13. Les grands régimes politiques ont des capacités différentes à faire face au réel du fait de l’articulation entre leurs imaginaires et leurs formes.
Les démocraties libérales, fondées sur la souveraineté nationale – condition de la souveraineté populaire – sont apparemment plus fragiles que les autres formes de régimes, mais elles sont plus durables. Elles sont plus innovantes, résilientes aux chocs extérieurs, du fait d’une grande capacité d’adaptation résultant de la souplesse d’articulation entre l’imaginaire de leurs sociétés et leurs formes politiques, rapports sociaux, à la technique et géopolitiques. Dans la période contemporaine, le regard et la prise de l’opinion publique sur les gouvernants sont cruciaux.
Les régimes totalitaires et dictatures, sous hétéronomies religieuses ou politiques radicales, compactent totalement les imaginaires archaïques et leurs formes. Ces dernières sont amenées à faire fusionner entre elles, au sein de la société, croyants, « races », classes avec les États, les clergés ou partis, les chefs religieux ou politiques. Ces types de régimes sont plus puissants immédiatement, mais moins durables. La fusion entre leurs imaginaires archaïques et leurs formes les empêche de s’adapter aux modifications du réel et à être résilients dans la durée.
Les régimes autoritaires, sous hétéronomies politiques, sans contreparties des États de droit, se situent entre démocraties libérales et systèmes totalitaires. Ils réduisent la question démocratique à la seule question de la souveraineté nationale, en éludant celle du respect des procédures permettant la souveraineté populaire.
14. La globalisation néolibérale, post-nationale, déstabilise la mondialisation des peuples, leurs imaginaires et intérêts.
Les mondialisations ont toujours résulté des échanges et confrontations entre peuples entraînées par une puissance hégémonique : cité-État, empire ou nation, à partir de leurs imaginaires et intérêts.
La singularité du moment actuel réside dans le fait que la globalisation économique, financière et numérique s’autonomise de la mondialisation, une mosaïque de peuples aux imaginaires et intérêts divers. La globalisation néolibérale, postnationale, résulte non de communautés humaines identifiables, mais de l’hégémonie des logiques contingentes et désincarnées des marchés et des techniques sous gouvernances d’instances supranationales.
La chute du mur de Berlin, avec la disparition de l’ennemi communiste, a rendu caduc, au sein des démocraties libérales, le compromis : la prospérité pour le plus grand nombre contre la paix sociale. Ce compromis encadrait et perpétuait le capitalisme managérial, les rapports sociopolitiques stabilisés au sein des États-nations par la démocratie. Depuis, le capitalisme devenu financier a pu se déployer partout à travers la planète, sans rivages politiques et frontaliers. Ainsi, le néolibéralisme politique – pour développer les forces productives et la sphère du profit en désindexant l’État de la nation et de ses compromis sociaux – devait être le lieu de déploiement de l’ultralibéralisme, déséquilibrant le rapport capital/travail au détriment de ce dernier.
Les gouvernants des États ont accompagné le processus en se retournant contre leurs nations, leurs imaginaires et leurs intérêts. Le gouvernement des hommes et la démocratie ont cédé la place à l’administration des choses, sous gouvernances néolibérales avec leurs technostructures, normes et juridictions transnationales. L’État de droit, en charge de la séparation des pouvoirs et de la défense des libertés individuelles, a été détourné par la prévalence des juges sur la politique, la démocratie et la souveraineté populaire.
15. Les peuples, interdépendants et prospères comme jamais dans l’histoire de l’humanité, se replient sur leurs imaginaires archaïques.
Se sentant privés de la maîtrise de leurs destins par le néolibéralisme, ils se renferment culturellement, politiquement, économiquement et géopolitiquement. Momentanément, toutes les formes des imaginaires semblent se ramener à leurs natures initiales. Ce mécanisme entraîne le retour des frontières qui reviennent avec le protectionnisme commercial et les restrictions à l’immigration. On assiste à la fin du multilatéralisme, à l’essor des dépenses militaires, à l’augmentation des guerres asymétriques et hybrides qui se propagent.
Ces replis affectent toutes les civilisations et pays, y compris ceux qui ont profité objectivement du cours actuel du capitalisme et de la globalisation, qui ont réduit les écarts économiques entre nations. Au sein même de l’Occident, en recul relatif, toutes les sociétés se replient. Cela ne résulte pas essentiellement de la précarisation des classes moyennes à partir des années 1990, et consécutive à la crise financière de 2008, mais de ce qu’aujourd’hui, les peuples qui ont participé du néolibéralisme se trouvent privés de l’essentiel, du vital : le fait d’être maîtres de ce qui les concerne, de sorte de pouvoir donner un sens à leurs destins collectifs. Le néolibéralisme a été le cadre politique de dépossession collectif rendant possible l’ultralibéralisme de dérégulation sociale.
Alors, les sociétés se fragmentent, recherchent des boucs émissaires à l’intérieur, et, pour ne pas disparaître, se replient sur leurs imaginaires archaïques, et sont amenées, pour tenir ensemble, à s’affronter à des ennemis extérieurs, à d’autres peuples.
16. Les communautés humaines entretiennent leurs imaginaires selon des rapports au temps variables dans l’Histoire.
Les sociétés traditionnelles voient leurs imaginaires nourris par l’entretien d’un passé religieux ou ethnique, constitué de symboliques, dogmes et de récits stables. Les sociétés modernes, notamment en Occident, les voient portés par la promesse de la construction, par les humains et les peuples, de l’avenir par l’avancée du progrès. Les sociétés postmodernes sont intimées à s’adapter au quotidien imposé par la globalisation néolibérale. Ce présentisme déstabilise les imaginaires des peuples, en ce qu’il est contingent et ne peut stabiliser les rapports entre les imaginaires et leurs formes. Il en résulte hyper-individualisme, passions tristes, cupidités et prédations. Ce nouveau régime d’historicité suscite trois grands types de réactions. D’abord des mises à l’abri dans un passé ethnique, religieux – islamiste notamment – ou nationaliste mythifié. Ensuite un accompagnement idéologique du présentisme néolibéral, notamment dans les sociétés anglo-saxonnes, au travers d’un communautarisme wokiste et intersectionnel. À l’hégémonie des marchés répond la mise à l’abri au sein de parts de marchés identitaires enfermant, ontologisant et essentialisant les individus au sein de minorités ayant une créance victimaire sur la société, ou sur une minorité oppressive (occidentale, postcoloniale, masculiniste, hétérosexuelle, blanche). Néolibéralisme et wokisme prospèrent dans les mêmes établissements universitaires, médias et grandes entreprises portés par une bourgeoisie transnationale et petite bourgeoisie intellectuelle progressiste en quête d’une nouvelle légitimité symbolique au travers de nouveaux combats, non plus sociaux mais sociétaux. Enfin, on assiste à une fuite en avant dans un futur technologiste et transhumaniste.
Les civilisations du Sud global sont moins déstabilisées par une globalisation néolibérale rendant le cours des choses contingent. Leurs imaginaires ne sont pas imprégnés par la vision occidentale prométhéenne visant à encadrer le cours des choses dans une vision préexistante de l’avenir qui se dérobe. Les civilisations du Sud global ont en commun d’intérioriser le fait que leurs communautés humaines doivent vivre en harmonie avec le cours des choses, plutôt que de chercher à le maîtriser. C’est une des raisons fondamentales qui explique que la globalisation économique, financière et numérique initiée par l’Occident devenue contingente se retourne contre lui et qu’il cède du terrain.
17. Les institutions européennes sont contraires à l’imaginaire européen, l’Europe sort de l’Histoire et s’affaisse.
L’Union européenne, dans ses gouvernances et politiques, est à rebours du génie européen. Ce dernier vise, depuis « Mare Nostrum », espace géographique limité et fermé, à faire coexister une myriade de peuples aux imaginaires et réalisations différentes. Pour ne pas sans cesse guerroyer, ces peuples durent faire de la diversité du commun. Cela constitua le creuset de l’imaginaire occidental. L’UE, au travers de ses gouvernances économiques, financières et juridiques uniques, prétend à l’inverse rapprocher puis unifier les peuples européens. Cela entraine une fracture entre les imaginaires des peuples européens et leurs formes, leurs modèles ; entre les États et leurs fondements, les nations. Ainsi, l’UE sape les piliers de l’Europe que sont ses peuples constitués en nations depuis le XIXe siècle.
18. L’imaginaire français est projectif et universaliste.
Il résulte de ce que la France, carrefour continental de l’ Europe, dut assembler des Celtes, Ligures, Ibères, Latins, Germains, Vikings… Cela se fit en dénaturalisant ces diverses origines, mais aussi statuts et classes sociales, au travers de modalités de façons de voir en surplomb du réel, d’être et de faire, projetant dans le temps par le progrès et dans l’espace par la vision du monde comme « la France en grand » ; des croisades aux guerres napoléoniennes, à notre façon de coloniser et d’envisager l’Europe et sa construction dont la France fut à l’avant-garde.
Cet imaginaire a construit un rapport vital, singulier, à la liberté, à l’égalité des conditions, à l’universalisme, à la République et à la laïcité. Il fut le creuset des créations et productions de nombreux et illustres poètes, caricaturistes, dramaturges, écrivains, compositeurs, artistes, chercheurs, créateurs de mode et du luxe, ingénieurs, personnages politiques, philosophes et penseurs, français, souvent venus d’ailleurs mais qui ont en commun une façon de voir, d’être et de faire « à la française », qui se revendique rarement comme telle, du fait de notre universalisme, mais pour qui le beau et le vrai procèdent de la raison.
Mais « notre héritage n’est précédé d’aucun testament », pour reprendre René Char. Ce qui relie les consciences est la construction politique de l’avenir. Elles sont tenues par une incarnation étatique qui fera la France monarchique, l’État ayant précédé la nation souveraine. « La République une et indivisible, notre royaume de France ». Péguy avait discerné, derrière les antagonismes apparents de son époque, une hétéronomie religieuse puis politique, à la fois verticale et transcendante. Elle fut. portée d’abord par des sujets – mais catholiques gallicans, au sein de la « fille aînée de l’Église » – puis par des individus devenus citoyens, mus par l’intérêt général. Cette hétéronomie constituait l’armature profonde de la France. La laïcité, dans sa singularité française, remonte, avant la loi de 1905 et même la Révolution française, à notre type de socialité et de notre imaginaire qui doit assimiler l’individu devenu un citoyen extrait de ses origines, croyances, idéologies et intérêts au corps national tenu par l’État.
19. Une dispute politique commune est le moteur de l’imaginaire français.
C’est la modalité de construction de l’avenir qui nous relie de façon consciente. Selon les moments, si le commun est porté par une projection dans l’espace – le monde envisagé comme la France en grand – et le temps porté par la perspective du progrès, alors la dispute sociale peut s’y déployer au travers du conflit gauche/droite et de ses formations politiques.
Quand, au contraire, l’avenir se dérobe, que le monde n’est plus la projection de la France mais une contrainte extérieure, quand l’Europe, avec l’UE, n’est plus la France en grand, quand le futur devient contingent, que le progrès se dérobe avec le capitalisme financier, quand l’État s’échappe de la nation – comme au cours de ces trois dernières décennies avec le néo-libéralisme – alors le commun se dérobe et la dispute sociale ne peut s’y déployer. La quête du commun devient la priorité. La symbolique politique préempte la question sociale, et, momentanément, le conflit gauche/droite et ses formations politiques se retirent. Le retour de l’autorité et de la verticalité politique prévaut dans un lien direct entre le souverain moderne et le peuple. C’est le moment bonapartiste que nous connaissons. Depuis la Grande Révolution, quand la nation est devenue souveraine, quand sa relation entre elle et l’État était désarticulée, quand la France ne pouvait se projeter ni dans l’espace ni dans le temps, elle a connu différents moments et types de bonapartismes : Napoléon Bonaparte devenu empereur, Louis Napoléon Bonaparte devenu Napoléon III, le Général de Gaulle, quoique républicain, en 1941 puis 1958 et aujourd’hui avec de nouveaux avatars.
20. La crise de la France, le pessimisme record des Français, le délitement de la République et l’affaissement de la société viennent de ce que son imaginaire est le plus contraire au néolibéralisme.
L’effondrement de la France dans tous les domaines, depuis trois décennies, résulte, non de son modèle social encore envié et enviable quoique dégradé, mais de ce que l’imaginaire français, projectif et universaliste est le plus contraire au néolibéralisme comme forme politique postnationale. L’autre source du malheur français réside dans le fait que l’État, qui tient la France et qui a précédé la nation, relaie les gouvernances de l’Union européenne contraires à son imaginaire et à ses intérêts.
Avec le néolibéralisme, la France, pour survivre, devrait quotidiennement s’adapter économiquement et juridiquement à des normes uniques imposées de l’extérieur, en l’occurrence l’UE. Cette façon de procéder, conforme à l’imaginaire allemand – procédurier depuis 1945, ordo libéral et juridique – génère la dépression française.
La France ne peut plus se projeter dans un avenir meilleur du fait du capitalisme financier ; ni dans l’espace, l’Europe comme la France en grand depuis le « non » au Traité constitutionnel européen de 2005 ; ni dans un projet tenu au sommet de l’État, ce dernier s’étant retourné contre la nation.
La contradiction entre réformes structurelles du haut, du sommet de l’État, transposant des directives bruxelloises d’une part, et imaginaire de la nation et résistance du réel du bas d’autre part, a entraîné en cascade : superpositions de structures, dysfonctionnements organisationnels, gaspillages, inflation normative, baisse de compétitivité économique et dysfonctionnement du modèle social. Les politiques, privés de souveraineté nationale, sont passés de gouvernants à comptables incapables de distinguer stratégie et « politique du rabot », court terme et long terme, dépenses et investissements soldés par des déficits budgétaires historiques.
21. La crise néolibérale, postnationale, est cognitive.
Elle n’est pas seulement objective. Elle résulte d’une pensée positiviste, économiciste et technologiste qui aura prévalu à gauche et à droite. La plupart des élites intellectuelles et classes dirigeantes occidentales ont accompagné un mouvement qui s’est retourné contre leurs sociétés sans qu’elles puissent en rendre raison et réagir. Pour elles, le cours des choses résulte de la raison, du progrès, des sciences, de l’économie, des techniques. En dernière instance prévalent, pour les néolibéraux de gauche, les rapports sociaux et, pour les néolibéraux de droite, les marchés. Ne pensant pas ensemble les questions culturelles, religieuses, politiques, les rapports sociaux et géopolitiques, élites et classes dirigeantes peinent à comprendre que la globalisation ait à la fois rendu les peuples interdépendants comme jamais, économiquement, financièrement, numériquement, sanitairement, écologiquement, dans l’histoire de l’humanité, et que pour- tant les sociétés se renferment humainement, politiquement, et s’affrontent économiquement et militairement. Ces replis ont affecté d’abord de façon spectaculaire les premières patries du libéralisme politique : la Grande-Bretagne avec le Brexit et les États-Unis avec Trump 1 puis 2 populiste-techno-impérialiste. Les élites et classes dirigeantes, notamment en France, qui ont été à l’avant-garde du néolibéralisme du fait de son imaginaire projectif et universaliste, ne perçoivent pas que le néolibéralisme s’est retourné contre le libéralisme. Dès les Lumières, un pli va s’instaurer au sein du libéralisme. Les libéraux pensent que les lois, leurs esprits, doivent résulter des us et coutumes des peuples insérés un maillage national entre politique et économie. Très vite, aux avant-postes de la modernité, au sein des élites républicaines, beaucoup pensent au contraire que la vérité étant « une », de même que la raison, la loi devait être unique et que les peuples s’y adapteraient – et leurs mœurs avec. Cette conception hyperbolique de la Loi, en surplomb des sociétés, a prévalu assez vite ; avec la nécessité que sa forme républicaine dépasse, avec les nouveaux rapports sociaux, la monarchie catholique. Ce progressisme, mouvement du progrès comme finalité, devait s’imposer dans les esprits et de facto bifurquer du libéralisme avec le néolibéralisme dans les années 1970, qui se retournera contre le libéralisme après la chute du mur de Berlin. La crise néolibérale résulte de l’émergence d’une société des individus, horizontale, avec ses droits sociaux, créances et libertés individuelles exponentiels, sans le contre-poids nécessaire à l’équilibre des sociétés modernes : l’hétéronomie politique verticale, dévolue au sommet de l’État, pour garantir les libertés collectives et la souveraineté nationale.
Quand la possibilité de maîtriser son destin – la promesse d’un avenir meilleur tenant le vivre-ensemble des sociétés – s’estompe, quand la démocratie se retrouve privée de sa substance, que la souveraineté nationale – condition de la souveraineté populaire – se délite, quand la démocratie devient procédurière, réduite à un pur spectacle ; alors la défiance généralisée se déploie contre les élites et classes dirigeantes sans que ces dernières aient la possibilité intellectuelle et le res- sort moral pour reprendre politiquement la main par le politique sur le cours des choses, en assumant leurs devoirs. Déracinées de l’imaginaire et des intérêts de leurs nations, élites et classes dirigeantes firent sécession au sein de leurs cercles de pensée, des grandes écoles, conseils d’administrations, marchés, grands corps d’État, cabinets de conseils anglo-saxons, think tank, institutions indépendantes et transnationales.
De facto, « la société des individus » est un oxymore. Plus l’individu semble régner en maître, plus, pour faire société, il a besoin d’une hétéronomie conforme à l’imaginaire de son peuple pour tenir ensemble avec les autres individus. Sinon le peuple disparait et il ne peut facilement, en conscience, et dans son inconscient collectif, y consentir.
22. Le retour des nations et de leur souveraineté.
Le moment néolibéral se clôt dans les esprits, avec le repli des peuples même dans son laboratoire le plus avancé, l’Union européenne. Il en résulte un processus de décomposition-recomposition idéologique et politique, notamment en Occident, différent selon leur culture politique et les expériences collectives de la déstabilisation néolibérale de leurs imaginaires. Les sociétés vont toutes être travaillées par la question de la reprise en main de leur destin, de la nation, de la souveraineté et de la prise sur leur État. Ce processus est porté par des formations anciennes en mutation ou nouvelles, et incarné par de nouvelles figures atypiques. Le terme « populisme », dans sa polysémie même, illustre différents cas de figure. La remontée de la question nationale dans les représentations dominantes des peuples a été captée intellectuellement et politiquement, plus ou moins consciemment, par des personnalités en marge des formations traditionnelles, comme Trump ou par des formations en marge du système politique néolibéral, ayant structuré des antagonismes fondés sur les questions économiques et sociales. C’est au sein de formations initialement nationalistes, voire néo-fascistes, que s’opérèrent, pour des raisons culturelles, institutionnelles et d’ancrage social, les mutations les plus rapides. Elles se sont retrouvées les premières au plus proche du nouvel axe de gravité idéologico-politique de leurs imaginaires, et progressent électoralement. Il en est ainsi en France du RN. Il a muté vers un type de bonapartisme caractérisé par le retour de l’autorité politique ; le lien direct, par-dessus les corps intermédiaires, entre le dirigeant et le peuple ; la souveraineté, la préférence nationale ; l’alliance capital-travail ; le dépassement du clivage gauche/droite par l’union nationale ; le renoncement au « Frexit » pour une Europe des nations.
23. Des scénarios du futur se dégagent résultant des modalités et capacités des peuples à reprendre leurs destins en main.
Au-delà des imaginaires et expériences nationales singulières, les peuples ne veulent pas revenir en arrière. Ils veulent à la fois conserver ce qu’ils considèrent comme des acquis et garantir l’essentiel. Cela les amène à faire des arbitrages entre groupes sociaux, et entre libertés individuelles et collectives.
Dans la période de chaos post-néolibéral, le balancier revient – pour le meilleur et pour le pire – vers la puissance politique, la pérennité des peuples et leur souveraineté. Le futur va résulter de la possibilité et des modalités de reprise en main des peuples sur leurs destins.
Soit l’on se dirige vers une re-civilisation de la mondialisation sous forme démocratique, avec des à-coups, en remettant pacifiquement les États au service des nations, la globalisation néolibérale dans le lit de la mondialisation mosaïque de civilisations et peuples aux imaginaires différents.
Soit ce processus est empêché, et seuls les identitarismes, religieux, ethniques ou nationalistes, feront cohésion au travers de la recherche de boucs émissaires et de guerres généralisées comme modalité de reprise en main des peuples sur leurs destins.
Soit émergeront des sociétés de contrôle numérique. On en voit les prémices en Occident comme aux USA. Un triangle idéologique, technologique et militaro-industriel post-humaniste d’une puissance considérable est à l’œuvre avec la Silicon Valley, le Pentagone et Hollywood. Les GAFAM et les MAAMA sont les chevaliers de cette Big Tech qui se propage internationalement et rapidement – sous les radars des politiques, élites intellectuelles – jusque dans le temple du capitalisme néolibéral Davos. Les démocraties libérales fatiguées s’en remettraient à des régimes césaro-technologistes, transhumanistes.
Parallèlement en Orient, notamment en Chine, des acteurs politiques et numériques très puissants intégrés à l’État, les BATX fournissant des données individuelles fines, mettent en place un système de contrôle et crédit social hybride, de surveillance numérique pour orienter les comportements individuels et collectifs encadrés par le Parti communiste chinois.
Ces trois scénarios peuvent se combiner dans le temps pour dessiner le futur des générations qui vont nous succéder.
24. Anima Mundi : les personnes, civilisations et peuples sont reliés par un même désir de dignité humaine, de reconnaissance et de souveraineté pour décider de ce qui les concerne.
L’universel, plutôt que l’universalisme, relie l’humanité : l’imaginaire occidental prométhéen et les imaginaires du Sud global, qui veulent se moderniser sans s’occidentaliser et sont en quête d’harmonie.
Une Europe avec des institutions conformes à son génie pourrait revenir dans l’Histoire et contrebalancer, au sein de l’Occident, l’imaginaire américain messianique, au travers d’une Europe des nations. Pour s’être confrontée, en son sein comme à l’extérieur, durant des siècles, à la diversité des peuples, l’Europe pourrait établir un pont entre l’Occident et les civilisations et peuples du Sud global. Là réside la promesse et la possibilité de construire un ordre international juste et durable, à même de relever les défis de justice sociale, environnementaux et migratoires de la planète.
25. Comprendre le monde pour ensuite bien l’orienter : le travail et l’éthique de l’analyste. Interpréter correctement les peuples dépend de la capacité de décrypter le réel et le cours des choses de façon réaliste, en se tenant à distance de l’idéologie et de la morale, si familières et spontanées, notamment en France.
On ne peut à la fois bien comprendre le monde et vouloir en être, le conserver ou le transformer. On ne saurait dire le bien et le mal et avoir la capacité de voir le réel tel qu’il est en confrontation avec la réalité du point de vue de la singularité de ses acteurs.
La meilleure contribution de l’analyste à la société est de livrer au plus grand nombre des constats, explications et enseignements les plus justes possibles. La garantie du réalisme résulte de l’indépendance intellectuelle et professionnelle dans la libre expression publique de l’analyste. Elle dépend de la capacité à se décentrer de son imaginaire, de ses représentations et intérêts pour comprendre le cours des choses et l’autre.
Cela est d’autant plus facile que l’on dispose de méthodes empiriques et de grilles d’analyse éprouvées, dans un constant va-et-vient de la pensée entre les faits et la théorie. Le moindre écart, la moindre imprécision d’analyse ont des effets considérables sur les bonnes solutions à mettre en œuvre. C’est au prix de cette ascèse que l’on peut tendre vers le vrai.
Chacun sera ensuite libre, selon ses croyances, représentations, intérêts, sens de l’intérêt général et du bien commun, d’en faire le meilleur usage possible pour la collectivité et les générations futures.
Stéphane ROZÈS
Politologue Président du cabinet de conseil Cap Enseignant à l’Institut catholique de Paris Ancien DG de l’institut d’études CSA Enseignant à Sciences Po et HEC Dernier ouvrage paru : Chaos. Essai sur les imaginaires des peuples. Entretiens avec A. Benedetti Éditions du Cerf, 2022


















