Face à l’essor des médecines complémentaires et alternatives, Véronique Suissa, docteur en psychologie, Serge Guérin, professeur de sociologie et Philippe Denormandie, chirurgien, plaident pour la création d’un observatoire ministériel. Les auteurs de Médecines Complémentaires et Alternatives. Pour ou Contre ? nous expliquent pourquoi.
L’organisation des soins contemporaine s’est développée dans un contexte de croissance économique et de confiance envers le progrès et la science. Une société encore marquée par la maladie aiguë, l’épidémie et l’accident. Cette organisation a parfaitement fonctionné durant plus d’un demi-siècle.
Sauf que la société a changé. La hausse dramatique des maladies chroniques et du vieillissement de la population nécessite de compléter les interventions techniciennes (cure), avec des approches centrées sur l’accompagnement des personnes (care).
La France est de plus en plus hétérogène sur le plan culturel, géographique et social. La confiance en la science est très largement écornée… La question de la prévention, parent pauvre de notre système de soin, fait a priori consensus. D’autant plus que la prévention peut être un véritable moyen d’éviter l’émergence de maladies et d’accidents tout en permettant à la collectivité de réaliser des économies.
En outre, la relation descendante soignants/soignés évolue au profit d’un dialogue souhaité par les malades et leurs proches. Face à la maladie, la douleur ou la fin de vie, les patients recherchent du pouvoir d’agir, de la qualité de vie et du bien être. Enfin, le développement accéléré des réseaux numériques et des sites internet traitant de la santé a bousculé le monopole du savoir médical.
La santé au XXIè siècle oblige à repenser l’organisation et la territorialisation des soins, à tirer les conséquences de cette transition vers le care et à prendre en compte les nouveaux comportements des patients.
En effet, la valorisation des libertés individuelles en matière de soins, l’attention portée à la prévention et à la qualité de vie, la volonté de retrouver un pouvoir d’agir sur sa santé, participent incontestablement à l’essor croissant des médecines complémentaires et alternatives (MCA). Ce succès est également le fruit de la reconnaissance croissante des pratiques non médicamenteuses dans nos institutions : instauration des soins de support et centres ressources en oncologie, création de Pôles d’activités et de soins adaptés (PASA) en Ehpad, prescription de l’activité physique pour les affections de longue durée…
Mais le champ du « non médicamenteux » n’est actuellement pas structuré. Les soins de support restent tributaires d’une logique de sectorisation, induisant un accès parcimonieux et hétérogène aux pratiques non médicamenteuses. Les PASA ne sont également pas systématiques et les soins non médicamenteux diffèrent d’une structure à l’autre. Concernant les MCA, la situation est d’autant plus complexe qu’elles ne font pas consensus au sein de la communauté médicale. De plus, l’essor des MCA s’accompagne d’une multiplication de formations de praticiens non reconnues, de la prolifération de pseudo-thérapeutiques, de l’intrusion de charlatans ou encore de dérives thérapeutiques et sectaires, etc. Ce constat pointe alors les risques de certaines pratiques et la nécessité de mieux délimiter ce mouvement.
Aussi, dans un contexte national divisé entre les « pour » et les « contre », ouvrir le débat autour des MCA constitue une démarche nécessaire pour favoriser l’intégration d’interventions bénéfiques et lutter contre la prolifération d’approches déviantes.
En outre, les enjeux sanitaires, sociaux et économiques imposent de s’extraire du combat stérile entre les « pour » et les « contre » et d’initier une réflexion plus constructive.
En France, si plusieurs initiatives émergent et participent à une plus grande compréhension de ce mouvement, elles demeurent isolées, disparates et manquent de visibilité auprès du grand public. De plus, il n’existe actuellement aucun dispositif proposant une réflexion transversale de ce phénomène conduisant à un cloisonnement du savoir et des actions menées dans le domaine.
À ce titre, la mise en place d’un observatoire ministériel apparaît nécessaire pour établir un état des lieux global des connaissances, de s’inscrire dans une réflexion collégiale et d’aboutir à un ensemble de recommandations visant à mieux structurer ce champ.
Véronique Suissa, docteur en psychologie, laboratoire de Psychopathologie et Neuropsychologie, Paris 8,
Serge Guérin, Professeur de sociologie à l’Inseec SBE,
Dr Philippe Denormandie, chirurgien en neuro-orthpédie
Les trois auteurs ont coordonné l’ouvrage collectif Médecines Complémentaires et Alternatives. Pour ou Contre ?, Michalon, 2019