Emmanuel Macron incarne un narcissisme profondément centrifuge, et non centripète, comme l’est celui de la figure mythologique. Narcisse est passif, il s’attend à ce que les gratifications viennent à lui, les accueillant avec dédain si elles ne sont pas à la hauteur de ses attentes. C’est le narcissisme courtisan, velléitaire et vaniteux, assez français, qui a trouvé son acmé dans la noblesse de cour du grand siècle. L’égotisme des statuts et des rentes.
Macron personnifie lui la dimension active du narcissisme. Un narcissisme plus anglo-saxon, en quête de défis et de succès, qui cherche à imprimer sa marque sur les choses. L’égocentrisme des desseins et des accomplissements. Le narcissisme macronien est d’ailleurs proche du narcissisme Obamesque, si ce n’est que le premier repose sur l’intellect, le second sur l’attitude. Les deux hommes partagent en effet un charisme basé sur le charme, qui flirte avec le glamour, avec une proximité et une décontraction affichées, masques d’une volonté calculatrice et d’une ambition froide. Le parallèle avec les deux hommes était le plus évident dans le feu de l’action de la campagne électorale, menée à l’américaine, au positivisme et à l’énergie, avec cette propension à séduire et haranguer le public en bras de chemise, animé d’une prosodie toute évangéliste. Le grand regret de sa présidence, pour ce qui est en tout cas de la politique étrangère, restera probablement de ne pas avoir pu l’exercer en même temps que son alter-ego américain. Le pygargue américain et le coq gaulois, d’habitude si dissemblables, n’auraient jamais été autant à l’unisson.
Mais surtout, Macron matérialise la quintessence du narcissisme, l’exercice du pouvoir.
Lors de ses débuts, les esprits les mieux attentionnés voyaient dans ses premiers gestes autoritaires la nécessaire affirmation d’un vainqueur impromptu, qui plus est jeune et mal élu, alors qu’il semblait pourtant évident qu’il s’était révélé être, que ce soit dans son parcours et ou dans sa manière de gérer son parti, un leader au caractère d’airain. Un homme qui ne se voyait en outre que jouer le premier rôle, n’envisageant aucun autre mandat électif que le suprême.
Et si tout homme politique, a fortiori d’envergure présidentielle, est par définition un homme de pouvoir, Macron en est probablement, parmi les présidents de la cinquième, le plus assoiffé. On notait en effet chez ses prédécesseurs un fort attrait, en dehors de son exercice, pour les corolaires, et les prébendes du pouvoir présidentiel (sans parler du don-juanisme, si fréquent dans l’élite politique française, auquel Macron n’a jamais été associé). Hollande lui préférait la politique et, un peu par posture, un peu par nature, l’a singé, ou a répugné à l’incarner, jusqu’à devenir le commentateur de sa propre action. Sarkozy s’est révélé, finalement, plus fasciné par ses ors, et l’affichage un peu vain de sa propre réussite, que par son exercice. Chirac en aimait la gourmandise. Mitterrand s’enivrait de l’emprise qu’il offre sur les hommes. Giscard y voyait le point d’orgue d’une ambition, Pompidou le pratiquait comme un sport, De Gaulle le transcendait. Macron, lui, l’incarne de façon irradiante, dans toute sa plénitude, goûtant, mais non sombrant, dans tous ces à cotés.
Cet ego surdimensionné s’est exprimé sans retenue pendant cette présidence, parfois avec bonheur, parfois à déraison. A son crédit, Macron a su porter le sceptre et redonner un lustre, une brillance, à la fonction, après le terne et évitant Hollande. Il s’est confronté, avec une assurance remarquable, aux autocrates et démagogues de ce monde, et il a su assumer un leadership, chose devenue de plus en plus évanescente dans la sphère occidentale. Il aura osé les réformes et l’affrontement, au sein, et au-delà, des frontières de l’hexagone. Mais ce narcissisme triomphant a aussi son prix à payer : l’hubris, la perte de la mesure, et surtout pour ce qui le concerne, le manque d’humilité. Cela a été d’autant plus problématique dans son cas, qu’en homme libre, de toute appartenance clanique ou idéologique, aucune déférence instinctive ne s’impose à lui. Et ce manque d’une humilité sincère lui aura porté préjudice. Il aura cherché à personnaliser plus qu’aucun autre sa présidence (et ses résidences) de ses goûts, jusqu’au blasphème du « geste architectural » pour la reconstruction de Notre-Dame. Il n’aura pas su s’effacer devant le fait commun, populaire, comme l’a illustré la triste « privatisation » du triomphe des bleus lors du dernier mondial.
Il aura souvent surestimé sa capacité à agir sur les hommes et les évènements.
Mais surtout, il aura omis que certaines choses ne peuvent être abordées qu’avec réserve et modestie, la main tremblante, car elles restent au-delà du champ de l’action d’un homme, fût-il dieu avec nous (la signification en hébreux du prénom Emmanuel). Ses velléités, parfois maladroites et naïves, de solder, comme en affaires, le contentieux mémoriel avec l’Algérie en est une illustration. Son rapport avec le virus en a été une autre, lui qui a abordé la première vague, puis la seconde, dans une sorte de déni coupable de l’irruption du tragique dans son mandat.
Macron s’est donc révélé être un fauve à fourrure d’hermine.
La posture jupitérienne, vendue comme une démarche politique et communicante, comme une réponse au besoin du « corps du roi » chez les Français, convenait avant tout à sa psyché. Et plus que de jouer le jeu constitutionnel de la cinquième République, il a simplement laissé sa nature profonde s’exprimer. Enfin, si la jubilation qui s’est emparée de Sarkozy lors de son avènement a été notée par tous, car quelque peu criarde, « bling-bling », celle-ci a tout autant envahi Macron, mais sur un mode mineur, car concentrée sur l’exercice du pouvoir, dont il a avec frénésie investi d’emblée tous les champs : militaire, diplomatique, économique, politique, artistique, mondain…
Or le peuple français n’a connu que deux types d’autoritarisme : le royal, gardien des coutumes, et l’impérial, et ses promesses de conquêtes. Le roi tire sa légitimité du temps long et de la tradition. Et ce sont le butin et la gloire qui font l’empire, qui se doit d’être en expansion matérielle ou territoriale pour se pérenniser. Quelle a été la couleur de son règne ? Cela n’a pas été le bleu azur, semé de fleurs de lys dorées thésaurisées. Macron n’a pas été le défenseur de la famille et de la rente, ni le garant de la blanquette de veau du dimanche, fut-ce son plat préféré. Cela a donc été la pourpre impériale et son semé d’abeilles start-upeuses, à la recherche d’une prospérité perdue…
La promesse de création de richesses, dans une perspective de croissance mondiale durablement morne, et celle de réformes, d’un Etat providence irrémédiablement sclérosé, semblaient bien illusoires, mais elles ont été celles de son premier mandat. Ces mêmes promesses, qui seront très certainement soigneusement emballées dans le New Deal écologique du monde post-covid, ne seront cette fois pas assez crédibles pour justifier crânement d’en solliciter un second. Quant à Jupiter, il sera temps, après cette apothéose macronienne, qu’il retrouve son trône sur l’Olympe, et non plus à l’Élysée.
François-Xavier Roucaut
Psychiatre
Professeur adjoint de clinique à l’université de Montréal