“Et donc soyons heureux”… Vœu pieux ou formule décalée par rapport à cette étrange approche de Noël dans notre “cher et vieux pays” dont on voudrait nous faire croire qu’il est tout à la liesse de ces jeux du cirque revisités que constituent un peu les matchs d’une coupe du monde de football 2022 au Qatar, reflet d’un monde en plein bouleversement et en recherche de cap pour éviter le naufrage…
Il faudra sans doute bien plus qu’une victoire contre l’Argentine en finale dimanche pour dissiper les nuées qui assombrissent le ciel de France dans le contexte de fracture qui prévaut et pèse sur le quotidien des Français, mais la macronie n’en est plus à une récupération près pour masquer la réalité d’un pays qui a perdu le sens réel du patriotisme, sans plus aucune harmonie ni cohésion, abîmé par des années de mauvaise gouvernance, de dénis, mensonges et faux-semblants perdurant sans perspective tangible d’amélioration à quelques encablures de 2023.
“Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres.”Le Général de Gaulle a prononcé cette vérité et il a dit aussi que le caractère était une vertu des temps difficiles.
Il est probable que ce connétable, rare et exemplaire incarnation de la France dans notre belle et longue histoire, aurait soutenu les bleus avec toute la reconnaissance due à leur grand talent sportif et salué leur exploit sans pour autant se rendre à Doha, dans le contexte de controverse qui entoure à tort ou à raison l’organisation et le déroulement de cette compétition dans l’ émirat, 5e producteur de gaz naturel au monde, au moment même où éclate un scandale retentissant lié à des soupçons de corruption de la part de cette monarchie absolue vis à vis de membres du Parlement européen…
Il fallait peut-être dans cette période de pénuries et de sobriété subie sur fond de guerre en Ukraine tout l’or qatari pour climatiser des stades afin d’accueillir cette coupe du monde dans des conditions aussi remarquables que discutables, qui peut le dire ?
Autre époque sans nul doute, autre appréciation de ce qu’il convient de s’autoriser de faire ou de ne pas faire en telle circonstance, autre génération ; les temps ont changé et avec eux les mœurs politiques, on peut le regretter ou s’en féliciter, cela ne fera pas grande différence dans les médias et l’actualité du moment. Les lions de l’Atlas peuvent rentrer dans leur patrie la tête haute, ils ont porté haut les couleurs du Royaume du Maroc, naguère Empire chérifien, et ont fait vibrer le cœur de millions d’Africains amateurs de football en parvenant en quart de finale. Souhaitons à l’équipe des bleus de poursuivre sur sa lancée en redonnant une victoire dénuée de récupération politicienne à la France, dans une atmosphère où les débordements d’une minorité de fauteurs de troubles (dégradations, destructions de biens, violences physiques et confrontations avec les forces de l’ordre inadmissibles) dans la rue après la compétition sur le terrain ne renverraient plus le “cher et vieux pays” aux démons de la division et de la faillite du “vivre ensemble”, et où la formule “Donc soyons heureux” aurait réellement un sens…
Un drame est survenu dans un quartier de Montpellier, la Paillade, à l’issue de la victoire des bleus mercredi. Les moyens policiers renforcés à Paris et ailleurs suite aux amères leçons de l’après match Maroc /Portugal n’auront hélas pas suffi pour conjurer la mort d’un adolescent percuté par une voiture, terrible accident, car mourir à 14 ans un soir de liesse sportive est infiniment triste et ne devrait jamais advenir, en aucune circonstance…
Dimanche, il faudra retenir à nouveau son souffle, croiser les doigts pour les superstitieux, les meilleurs joueurs du moment gagneront et ce sera un cadeau à l’approche de Noël pour le pays qui l’emportera.
Ensuite ? Et bien le monde reprendra sa course…
En France, la réforme des retraites, une énième loi sur l’immigration, black-out et coupures de courant ou pas, réintégration des personnels soignants non vaccinés ou pas, non lieu ou pas dans le scandale du chlordécone, relégueront la finale de la coupe du monde 2022 aux oubliettes de l’actualité. Mais pas seulement ! A la trappe du changement d’année également, les drames de Bezons et Charleville-Mézières, la prestation médiatique dénuée de la moindre empathie de la Maire de Paris devant le campement de réfugiés afghans, les enfants accompagnés par la police municipale pour les protéger des errements des toxicomanes consommateurs de crack dans notre capitale, ce lent délitement qui ronge l’âme du pays, particulièrement criant en ce mois de décembre et que l’on s’obstine à dénier envers et contre toute réalité…
“Donc, soyons heureux” si nous pouvons encore adhérer à une France en liesse et croire à un Noël sans tension dans le monde tel qu’il est, car il est vrai aussi que ” la fin de l’espoir est le commencement de la mort.””
Eric Cerf-Mayer