Pour la Revue Politique et Parlementaire, Hugues Clepkens propose une réflexion critique sur l’après JO 2024, une analyse sans concession entre chauvinisme exacerbé, exploitation médiatique et fractures sociales.
Oui, c’est un soupir de soulagement que peuvent enfin pousser ceux pour qui les festivités olympiques n’ont été qu’une contrainte coûteuse et obsédante. Qu’on ne s’y trompe pas, le mérite véritablement sportif des athlètes n’est pas en cause mais seulement l’exploitation commerciale et (ou?) médiatique qui l’a amplement occulté. D’ailleurs, dans le respect de l’esprit olympique qui devrait seul, l’emporter sur tout le reste, ne pourrait-on pas imaginer d’en revenir à une conception modeste de ces rencontres, au lieu d’en gonfler démesurément le coût et les gains pour les sociétés qui savent si bien en profiter ? Les vrais sportifs n’ont besoin que de se mesurer les uns aux autres, sans tout ce tralala consumériste indécent, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. Pourquoi ne pas envisager que ces jeux se tiennent à date régulière, toujours au même endroit afin de réduire les frais, par exemple en Grèce, et que les profiteurs internationaux en soient bannis, le tout sans carnaval plus ou moins de bon goût ?
Un rêve passe…
Au contraire, la version de 2024 a donné lieu à un tsunami de chauvinisme dans notre pays pourtant connu pour son excellence en ce domaine.
Précédemment, la célébration des grandes manifestations « sportives » internationales autorisait encore les individus rétifs au sport spectacle à poursuivre leurs activités personnelles tranquillement. Cette fois-ci, pas question ! TOUS ensemble, TOUS unis, UNE seule France, laquelle a finalement mérité d’être « décorée » par le Président lui- même…Tous les media se sont rangés en ligne, dans tous les sens du terme, pour imposer cette actualité-là et pas une autre. Pour preuve ce message de France télévision à l’issue des épreuves (de l’épreuve, devrait-on dire…) : « Un immense bravo aux athlètes de l’Equipe de France et à leurs magnifiques exploits, qui nous ont permis de remporter le record historique de 64 médailles. Et aux athlètes du monde entier.
Mais aussi un immense merci à vous, les 60 millions de téléspectateurs qui avez regardé les Jeux Olympiques de Paris 2024 sur nos antennes et plateformes et partagé avec nous la magie de cet évènement inoubliable
Ensemble, on a vibré, on a pleuré, on a célébré..»
« magnifiques », « historique », « avec nous », « magie », « inoubliable »…n’en jetez plus, la…coupe est pleine. Elle déborde, elle inonde, elle noie. Le chauvinisme, dopé par l’excitation attisée des réseaux asociaux, a atteint un niveau tout aussi incroyable que cet enthousiasme de commande. Limitons-nous à quelques évocations significatives :
Une méritante athlète, française évidemment, termine seconde à une épreuve de tir qui s’est déroulée à Châteauroux. Le compte rendu qu’en fait la presse locale est dithyrambique à tel point que le journaliste en oublie de citer le nom et la nationalité de la vainqueur. Dans la même veine, un autre athlète, français aussi bien sûr, décroche une médaille d’argent dans un combat de boxe contre qui ? On ne l’a pas su si l’on a écouté le récit qui en fut fait sur les ondes d’une chaîne de Radio France ; peut-être a-t-il combattu seul, mais alors il aurait dû récolter la médaille d’or. Emporté par l’élan olympique et après la clôture de cette immense Foire du trône, une journaliste de cette même chaîne nous apprend que l’étape du tour de France « femme » (sic) du 17 août a bien été remportée par une cycliste polonaise mais que la troisième place est revenue à une…française ! Bravo ! Mais où est passée la seconde de la course ? Mystère. Et tout cela sans rappeler le détail des titres des media en ligne, lesquels, tout au long de ces deux si longues semaines, ne signalaient que les faits concernant des sportifs français. Il ne s’est pas agi de journalisme, mais de propagande au sens le plus trivial du terme. De véritables reportages sportifs auraient consisté à rapporter les faits, quels qu’en aient été les auteurs au lieu de tomber dans le verbiage chauviniste le plus médiocre.
Sortons la tête de cette eau aussi trouble que celle de la Seine et rappelons-nous la Charte mondiale d’éthique des journalistes, adoptée en 2019, dont les premières lignes de conduite sont :
« 1. Respecter les faits et le droit que le public a de les connaître constitue le devoir primordial d’un journaliste.
2. Conformément à ce devoir le/la journaliste défendra, en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables. Il/elle veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique.
3. Le/la journaliste ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux. »
À l’évidence, la relation qui a été faite de ces rencontres n’a pas été inspirée par ces nobles et honorables principes. Mais pourquoi ?
D’abord parce que la presse française est polluée par des intérêts exclusivement financiers, comme chacun le sait, hélas. Or, c’est l’argent…ou l’or, qui domine le système olympique au point qu’on peut lire sur le site de l’organisation que certains de ses « partenaires mondiaux » étaient Airbnb, Alibaba, coca-cola, LVMH, Visa – qui imposa l’exclusivité de sa carte bancaire sur les sites olympiques-, et Atos. D’ailleurs cette société – responsable de l’informatique de tous les Jeux, depuis 2002 – écrivait elle-même qu’elle « supportera Paris 2024 vers une transition qui permettra à tous les membres du personnel concernés de travailler à tout moment, en tout lieu et sur n’importe quel appareil, sans compromettre la sécurité, la conformité ou la gouvernance. » Malédiction, les dirigeants olympiques ont élégamment choisi d’annoncer pendant les jeux, leur décision de lui préférer un autre de ses « partenaires mondiaux des JO de 2024 » le groupe américain Deloitte, dès les JO d’hiver 2026 à Milan et à Cortina. Bizarrement, le gouvernement qui avait décidé en avril dernier de prêter 50 millions d’euros à l’entreprise pour l’aider à stabiliser sa situation financière n’a pas semblé manifester de réprobation à l’occasion de cette décision défavorable à un groupe principalement français ; peut-être cela ne faisait-il pas partie des « affaires courantes » dont il était alors chargé ? De même, rares ont été ceux qui ont relevé le fait qu’à notre époque où l’obtention d’un rendez-vous chez un dentiste relève d’un exploit digne des JO, les athlètes ET les membres de délégations ont bénéficié d’une polyclinique complète et gratuite dotée de services médicaux à faire rêver les pauvres citoyens qui ne seront concernés que par le financement de la mesure. L’important n’est-il pas de participer ?
Ensuite et surtout, le délire de chauvinisme auquel a donné lieu la relation de ces JO doit nous interroger sur l’état de notre société.
Que l’on doive obligatoirement s’extasier devant le spectacle d’un gros ballon de plage élevant dans les airs un énorme brûleur de gazinière au-dessus du jardin des Tuileries, passe encore, mais que la fameuse flamme qui l’alluma et qui fut transportée à travers le pays – à grands frais, soit 180 000 € par ville ou département – ait été fournie, en 2 000 exemplaires, par ArcelorMittal, alors qu’en décembre 2012, la même société avait supprimé 629 emplois en Lorraine, avant d’annoncer en 2021 la création d’une autre centrale à Gand en Belgique, pour un montant d’un milliard d’euros ; trop, c’est trop !
Le fait est si rare qu’il mérite d’être signalé : l’hebdomadaire Marianne a ainsi introduit son éditorial du 13 août : « Pendant les Jeux olympiques, une masse de bonne humeur a réellement déferlé sur la ville de Paris. Pourtant, attacher une importance démesurée à cet élan d’optimisme, d’harmonie collective et de bienveillance sportive risque de produire des désillusions, de creuser davantage le fossé entre la réalité peu reluisante d’une France d’en bas mise à mal par des mois de crise et le rêve éveillé des victoires tricolores. » Tel est bien le grave problème que nous avons à résoudre ensemble. Les causes de division dans le pays sont nombreuses et les fractures profondes. Plutôt que s’attacher à en identifier les unes et à en réduire les autres, trop de « responsables » nationaux, depuis des lustres, ont préféré s’écharper pour des broutilles et leurs propres intérêts ou carrières. Il est grand temps de passer à autre chose, à quelque chose qui serait comme une nouvelle nuit du 4 août, telle que l’a qualifiée en fin connaisseur qu’il fût, Georges Lefèbvre 1 :
« Les chefs de la bourgeoisie révolutionnaire, avec une habileté consommée d’hommes d’État, ont su obliger leur majorité à se dégager des intérêts particuliers pour ne penser, au moins durant quelques heures, qu’à la communauté nationale. »
…mais la vraie, pas seulement celle fascinée par les jeux du cirque médiatique contemporain.
Hugues CLEPKENS
Source photo : Antonin Albert / Shutterstock.com
- Quatre-vingt neuf, Editions Sociales, 2023 ↩