Ces derniers jours et à la veille de la mise en œuvre du plan de déconfinement, les maires ont fait part de leurs angoisses, de leur peur panique de voir leur responsabilité engagée à l’occasion de la réouverture des écoles. Plus de trois cents maires d’Ile-de-France ont ainsi écrit au président de la République pour reporter cette ouverture jusqu’au mois de septembre.
La responsabilité des maires notamment pénale, a toujours existé. Si François Baroin président de l’Association des maires de France a, de concert avec les sénateurs, demandé une protection juridique généralisée pour la mise en œuvre du plan de déconfinement au plan local comprenant l’ouverture des écoles, cela n’était tout simplement pas possible. En effet, une telle disposition eut été anticonstitutionnelle pour la simple raison qu’elle est contraire au principe d’égalité devant les charges publiques. Aucun citoyen, quel qu’il fût, ne peut s’autoamnistier par avance, se parer derrière un bouclier juridique à toute épreuve.
Le pouvoir de police du maire
De surcroît, le maire a une responsabilité toute particulière en cette qualité au regard de son pouvoir de police administrative. En effet, aux termes de l’article L.2212-1 du code général des collectivités territoriales « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ».
Aux termes de l’article L.2212-2 du même code « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux (…) les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ».
Ces deux articles fondent les obligations du maire en matière de police administrative.
Le maire ne peut donc échapper à ses responsabilités propres.
La responsabilité pénale est personnelle
Les maires, notamment les maires des petites communes, savent ce que la responsabilité pénale signifie. Nombre d’entre eux sont aujourd’hui mis en examen pour différents motifs à l’occasion de la mise en œuvre de politiques locales, notamment pour manquement aux obligations de sécurité, mise en danger d’autrui. Mais attention, une mise en examen ne signifie pas culpabilité. Même si une telle procédure est souvent difficile à supporter, souvent les maires obtiennent la relaxe dans ces dossiers sensibles.
Par ailleurs, quelques conseils pratiques peuvent être d’un apport précieux par la suite. L’article L.2212-1 précité place d’abord le maire sous la responsabilité de l’Etat en la personne du préfet. Si l’Etat décide de rouvrir les écoles par les inspecteurs d’académie, les responsabilités dans l’ouverture des écoles sera partagée. L’Etat, par le préfet, les inspecteurs d’académie et les directeurs d’école sont coresponsables en termes de gestion de l’ouverture des écoles.
Mais attention, la responsabilité pénale ne se partage pas, contrairement à ce qu’a pu dire une préfète à des élus.
Le représentant de l’Etat ne pourra « se substituer » au maire dans l’endossement d’une éventuelle responsabilité pénale.
En revanche, si un parent ou une victime potentielle devait porter plainte contre X sur tel ou tel fondement, il appartient au juge pénal, s’il s’y croit fondé, d’appeler dans la cause toute personne qu’il jugera bon d’appeler. C’est ce que l’on appelle en droit pénal « la chaîne de responsabilité ». Le maire ne sera donc pas seul face à des incidents qui pourraient intervenir. Il aura droit en outre à la protection fonctionnelle, c’est-à-dire le droit d’être défendu par un avocat dont les frais seront pris en charge par la collectivité.
Obligation de prudence et de sécurité
Par ailleurs, la détermination d’un délit n’est pas chose aisée. Si une personne porte plainte, sur quel fondement le fera-t-elle ? Encore faut-il qualifier l’infraction. Aux termes de l’article 121-3 du code pénal « il n’y a point de crimes ou délit sans intention de le commettre ». Il est vrai qu’il peut y avoir infractions ou délits par imprudence ou négligence et l’article 121-3 du code pénal prévoit qu’« il y a délit lorsque la loi le prévoit, en cas de mise en danger de la personne d’autrui ».
Ainsi et c’est ce dont les maires ont peur, l’ouverture des écoles alors que les normes de sécurité et de prudence ne sont pas respectées, pourrait donner lieu à des mises en examen sur ce fondement de la mise en danger d’autrui avec la notion de « faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’on ne peut ignorer ». En outre l’article 121-3 prévoit qu’il y aussi délit lorsque la loi le prévoit « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Là est le problème central.
Le maire doit partager ses décisions avec les autorités académiques et préfectorales
Pour ce faire, le maire doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour s’assurer que les règles de protection et de distanciation sociale sont parfaitement respectées. S’il rencontre des difficultés concrètes, en sa qualité d’autorité gestionnaire des écoles maternelles et primaires, il devra en assurer toutes les conséquences, mais avant de fermer l’établissement, il devra en avertir les autorités de l’Education nationale et le préfet du département par tout moyen : courriel, messages téléphoniques, textos, réseaux sociaux etc. Dans ce cas l’autorité de tutelle peut en effet enjoindre au maire de procéder tout de même à l’ouverture de l’école pour d’autres motifs. En droit pénal, en cas de mise en jeu de sa responsabilité, le maire pourra alors produire en justice tous ces justificatifs de nature à entraîner sa relaxe le cas échant.
Tout document écrit ou oral peut être produit en justice et le maire devra donc se « couvrir » si telle ou telle mesure lui était imposée.
Mais si la situation devait être ingérable, il pourrait prendre un arrêté d’interdiction d’ouverture des écoles.
Dans ce cas, il se pourrait que le préfet demande au tribunal administratif la suspension de cette décision. Une telle procédure juridictionnelle montrerait aussi que le maire a pris ses responsabilités.
Enfin, en cas de mise en jeu de la responsabilité administrative de la commune, le procès est fait à la collectivité et non au maire personnellement. Dans ce cas, il sera toujours possible au maire d’appeler en cause l’Etat pour un éventuel partage de responsabilité et appel en garantie. Il appartiendra toutefois aux requérants de démontrer la faute qu’aurait commise le maire ou l’Etat et le lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué par la victime.
Patrick Martin-Genier
Essayiste, spécialiste des questions européennes et internationales