Un certain nombre de pays, dont le nôtre, interrogent avec insistance le gouvernement d’Israël sur ses buts de guerre. En revanche, nulle question sur les buts de guerre du Hamas. Personne ne pose cette question car le but du Hamas est connu. Dans un document publié en 2017, le Hamas affirme que son objectif est « de libérer la Palestine et d’affronter le projet sioniste ». Et d’affirmer : « la création d’ « Israël » est totalement illégale, contrevient aux droits inaliénables du peuple palestinien, et va à l’encontre de sa volonté et de celle de l’Oumma (la communauté des musulmans) ». Dans une charte adoptée le 18 août 1988 et qui n’a pas été remise en cause depuis, l’article 12 précise que « lorsque l’ennemi foule du pied la terre des musulmans, le jihad (combat) incombe à tout musulman et à toute musulmane en tant qu’obligation religieuse individuelle. »
Alors face à un tel projet qui vise à détruire Israël et chasser de cette terre de Canaan toute présence israélite, est-ce que le premier but de guerre du pays concerné par une telle menace n’est pas d’abord et avant toute chose de détruire celui qui veut vous anéantir ?
Ensuite, si l’on questionne plus avant les buts de guerre, pourquoi ne pas s’interroger sur les objectifs poursuivis par tous ceux qui soutiennent, financent et équipent militairement le Hamas. Car sauf erreur, le Hamas ne tire pas l’essentiel des revenus de ses dirigeants corrompus et de ses ressources guerrières de l’économie gazaouie ou de l’impôt qu’il lève.
Il serait également judicieux de se demander pourquoi le Hamas ne rend pas les armes alors que le bilan des victimes civiles qu’il met chaque jour en avant à grand renfort d’images ne cesse d’augmenter. Personne ne pouvant imaginer que le Hamas gagne cette guerre sur le terrain militaire, inutile d’être grand clerc pour comprendre qu’il cherche à remporter la victoire sur un autre terrain, celui des médias et de l’opinion, un terrain gorgé du sang de tous ceux que le Hamas aura volontairement placés sous les bombes de Tsahal, et aussi les siennes ou celles de ses affidés (cf. le bombardement de l’hôpital Al-Ahli de la ville Gaza le 17 octobre par le Djihad islamique). Nous avons bien sûr raison de déplorer le très lourd bilan humain engendré par l’opération militaire de grande ampleur décidée par le gouvernement d’Israël, mais la perversité de la stratégie victimaire du Hamas inscrite dans le temps long des souffrances humaines devrait nous émouvoir davantage.
Pourtant, face à une stratégie aussi limpide, il est étonnant de noter les différences de réactions au sein de la « communauté internationale », en particulier sur l’appel à un cessez-le-feu ou sur la libération inconditionnelle des otages. Pour l’essentiel, les voix viennent d’une même direction, celle de l’Occident.
Mais que se passerait-t-il si, dans un souci humanitaire et pacifique, la plupart des pays arabo-musulmans de la Région, ou la Ligue arabe, appelaient le Hamas et ses affidés à cesser les hostilités et à libérer tous les otages ? Cette absence de position claire, tout comme le refus de condamner les actes abominables commis par le Hamas le 7 octobre confirment la duplicité de certains pays de la zone. Mais ce double-jeu ne date pas d’hier et tend à confirmer que le conflit israélo-palestinien fait des Palestiniens (et aussi des Israéliens) les idiots utiles d’une géopolitique régionale permettant à des régimes autoritaires de désigner l’ennemi du monde musulman, de fédérer leurs populations, d’entretenir les rivalités, de diaboliser l’Occident et de s’armer chaque jour davantage.
Les dernières déclarations du Premier ministre qatari montrent bien toute l’ambiguïté du jeu arabe : « Nous allons continuer, nous sommes déterminés à faire libérer les otages, mais nous sommes également déterminés à arrêter la guerre », dit-il, avant d’ajouter « nous ne voyons pas la même volonté de la part des deux parties » et « la poursuite des bombardements réduit nos possibilités ».
Ne serait-ce plutôt pas l’inverse, à savoir le refus du Hamas – encouragé par ses soutiens régionaux – à cesser le combat qui réduit les possibilités de dialogue et de retour à la paix ?
En effet, le rapport de force militaire est plus que déséquilibré, nul ne le conteste, mais tant que les combats continuent et que le Hamas reste une menace mortelle pour les Juifs, le gouvernement d’Israël poursuivra son offensive militaire et la liste des victimes civiles s’allongera encore et encore. N’oublions pas qu’Israël est la terre de refuge potentiel de tous les Juifs du monde, ce qui rend essentielle la question de la sécurité.
Cependant, si le Hamas et les autres factions islamistes engagées dans le conflit libéraient les otages et rendaient les armes, Israël mettrait un terme à son offensive et le conflit cesserait immédiatement. Si tel n’était pas le cas, cette fois, il deviendrait très difficile aux Américains de continuer à faire usage de leur droit de veto au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et de s’opposer aux résolutions concernant Israël.
Sur un plan moral, nous pouvons bien sûr reprocher au gouvernement d’Israël son obstination et ce qu’elle fait subir de terrible à la population palestinienne. Même si comparaison n’est pas raison, il y a cependant des précédents. Pendant la Seconde Guerre mondiale, lequel des deux grands belligérants de l’Axe a-t-il accepté de capituler avant d’y être contraint par la force la plus totale ? Si Adolf Hitler avait capitulé le 31 décembre 1944 (il s’est suicidé le 30 avril 1945 dans son bunker), des millions de vies allemandes et alliées auraient été épargnées. De leur côté, les habitants d’Hiroshima et de Nagasaki ont payé au prix fort l’obstination nipponne.
Voilà pourquoi il serait temps que les pays arabes de la Région, en particulier ceux du Golfe persique, prennent leur responsabilité et qu’ils agissent pour que le Hamas et les groupes armés affidés soient contraints de renoncer au combat.
En commençant par leur couper les aides, en cessant de leur fournir des armes et en arrêtant tous les dirigeants du Hamas qui sont basés au Qatar, en Arabie Saoudite et ailleurs.
Cela les placerait en capacité de défendre vraiment les intérêts des Palestiniens une fois le silence des armes acquis. Car une victoire totale d’Israël sur le terrain militaire n’est pas à exclure et dans ce cas, il sera beaucoup plus difficile d’amener l’ensemble des parties prenantes concernées à une table de négociation pour imaginer et mettre en œuvre une solution de paix juste, équitable et durable. Une telle initiative permettrait aux pays arabes de la Région de jouer en toute légitimité un rôle majeur dans la reconstruction de la bande de Gaza et dans la mise en place d’une solution politique palestinienne de transition qui, espérons-le, aboutira à la création d’un véritable État.
Si un tel scénario se produisait, côté Occidental, nous aurions aussi notre part du travail à réaliser auprès des dirigeants israéliens et les Américains auraient la capacité de faire plier l’équipe actuellement au pouvoir en Israël pour les contraindre à négocier. Pour cela, ils ont besoin d’un signal. Sans quoi, il ne faudra pas s’étonner que la guerre dure et que les populations civiles continuent de souffrir dans l’indifférence de ceux qui décident de leur sort, rappelant ainsi le triste mot de Paul Valéry : « la guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».
Alexandre Malafaye
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