Tous les ingrédients semblent avoir été réunis pour faire de ce début d’automne à la française une additionnelle séquence de régression générale et d’aggravation des difficultés pour le « cher et vieux pays » sur fond de grèves, de blocages internes et de drames humains infiniment tristes et déplorables, avec en arrière-plan une situation internationale qui se tend de plus en plus. La dérive s’accentue dangereusement, confirmant l’imminence probable d’une crise dont on ne sait pas mesurer encore l’amplitude mais qui semble désormais inéluctable dans une France où l’exécutif maîtrise de moins en moins une situation qui s’est dégradée de manière exponentielle sur tous les fronts depuis sa reconduction en avril, en raison d’une préoccupante absence chronique d’anticipation et d’un déni permanent devant les maux gangrenant notre société et entravant son bon fonctionnement.
Panne sèche, c’est ce qui a guetté depuis plusieurs semaines les Français exaspérés et désabusés qui n’oublieront pas les appels à ne pas paniquer devant les stations en manque de carburant, le temps perdu et les annonces prématurées et péremptoires d’amélioration de la situation, au fil d’un long mouvement social étalé sur trois semaines, caractéristique de ce manque d’anticipation par des dirigeants apparemment incapables de planifier quoi que ce soit dans un environnement social et économique qu’ils ne maîtrisent et ne comprennent plus depuis longtemps.
Résultat, ils ont été contraints in fine de recourir à la réquisition faute d’avoir prévu l’évolution d’une grève -exercice d’un droit inaliénable qu’on le déplore ou non avant d’être une « prise d’otages » comme elle a pu être qualifiée par ceux qui n’ont pas su la prévenir- qui a reflété des rapports de force arrivés au point ultime de la confrontation faute de réactivité et de réelle volonté de négociation de part et d’autre quand tous les voyants avaient dangereusement viré au rouge.
Le pouvoir d’achat a cependant été au cœur d’une campagne présidentielle où malheureusement aucun réel débat n’a été engagé sur la plupart des thématiques problématiques qui plombent le climat de cette rentrée particulièrement crispée sur fond de montée des pénuries et d’inflation quasi galopante. On le paye au prix fort aujourd’hui ! La question de l’augmentation des salaires n’est pas un fait nouveau et elle ne se pose pas uniquement dans le cadre du secteur de l’énergie et du carburant au seuil des raffineries, elle est le défi majeur à relever pour endiguer la dégradation angoissante des conditions de vie d’une proportion de plus en plus importante de la population française dans le traquenard des conséquences du conflit en Ukraine, et elle se pose dans tous les domaines d’activités aussi bien public que privé. Quelles perspectives sont ouvertes pour résoudre ce dilemme après le coup de semonce sociale que constituent les mouvements de grève de ce début d’automne et les manifestations des 16 et 18 octobre, une fois les postures politiques, syndicales et patronales affichées sans nuances à la veille des départs en vacances pour la Toussaint que les médias mettent en exergue comme unique préoccupation des Français dans ce contexte calamiteux ? Nul n’est en mesure de le prédire dans l’incroyable situation de flottement actuel : aucune esquisse d’agenda de négociations globales ou sectorielles réellement arrêtée, du moins portée à la connaissance du public et une grande inconnue pour les semaines à venir en termes de retour à un fonctionnement normal du pays…
C’est sur cette toile de fond incertaine pour ne pas dire inquiétante que le gouvernement a choisi de recourir à l’usage du 49.3 pour l’adoption de la première partie du budget de 2023 et qu’il s’apprête à l’activer pour la suite de la séquence budgétaire automnale dans une Assemblée où sa majorité relative (qui donne des signes de velléités d’autonomie pour certaines de ses composantes…) ne lui laisse pas d’autre alternative, en tout cas ne lui garantit pas un vote serein dans le cadre d’un débat abouti.
Ce n’est pas une surprise bien sûr, de même que le dépôt de motions de censure des deux oppositions principales à sa politique, qui n’aboutiront pas, ne changera pas la donne, du moins pour l’heure… Mais dans un contexte aussi délétère que le climat dans lequel le « cher et vieux pays » a entamé la saison 2 de la mandature reconduite au soir du 24 avril 2022, le recours au 49.3 sonne la confirmation de la fracture française et d’une certaine manière l’arrivée à la fin de l’espérance d’un rebond national à la suite des dernières consultations électorales. De l’autre côté de la Manche, la Première ministre a annoncé sa démission aujourd’hui, après six semaines d’exercice du pouvoir, tirant les leçons de son incapacité à résoudre la grave crise économique et sociale qui frappe le Royaume-Uni et il est vraisemblable que les électeurs seront appelés à trancher pour sortir leur pays de l’ornière actuelle…
Ce n’est pas l’usage de ce côté-ci du bras de mer qui séparent deux des grandes démocraties du continent européen. Notre pratique politique s’apparenterait plus au pilotage d’un dirigeable dont l’équipage jetterait désespérément du lest par-dessus bord, trop tard, en s’illusionnant jusqu’à la dernière minute sur l’imminence de la collision ou de l’atterrissage fatal, à grand renfort de rabais, ristournes, chèques ponctuels, exercices de communication mirobolants, souvent décalés et surréalistes devant l’urgence et la gravité des difficultés ou drames à surmonter…
« (Chaque geste compte) je baisse, j’éteins et je décale… », somme toute un bon raccourci du marasme actuel où sobriété finira par s’apparenter à un irrépressible déclin ?
Quand les solutions ne sont plus trouvées dans les urnes, quelle est l’issue le jour où la résilience a atteint ses ultimes limites et où la confiance dans l’équipage est trop abîmée ou irrémédiablement perdue ?
L’histoire de France a souvent livré des réponses amères aux périodes de fin de cycles et de panne comme celle que nous vivons en ce moment à travers des secousses brutales et il se pourrait bien que le pays en soit arrivé à ce stade là au vu des clivages et tensions actuelles…
Au lendemain de la sidération, de la colère, de l’indignation légitimes et de l’infinie tristesse suscitées par la disparition insupportable d’une petite fille de douze ans dans les circonstances atroces d’une plongée, au retour de l’école, dans l’horreur d’une mort dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle aurait pu ne pas advenir – n’en déplaise à ceux – toujours les mêmes-qui se défaussent des défaillances de dispositifs qu’ils seraient à même de corriger s’ils en avaient le courage et la volonté, pour éviter et conjurer de tels drames- de quel côté se trouve réellement l’indécence ?
Il appartient à chacun en son âme et conscience de se poser la question et aux politiques dans leur ensemble et à l’exécutif de s’unir et faire en sorte que jamais une telle tragédie puisse de nouveau arriver, au lieu de crier à la récupération sans mesurer effectivement la portée de polémiques lamentables qui ne devraient pas naître dans de telles circonstances et par respect pour la douleur des parents…
Est-ce trop demander ou attendre dans la violence qui s’installe inexorablement à l’intérieur et à l’extérieur de nos périmètres de survie aux uns et aux autres, en ce monde au bord du gouffre où les avis de tempêtes se précisent dans l’inconscience et le déni généralisés ?
Les menaces enflent de tous côtés avec en Europe ce qu’il faut bien qualifier de cinquième colonne islamiste, un courant au redoutable travail de sape à l’œuvre dans l’appareil d’éducation et jusque dans les canaux de communication de la Commission, alors qu’en Iran, une jeunesse courageuse risque et perd la vie pour secouer le joug qui l’étouffe… 15 000 (2000 en France) soldats ukrainiens vont être formés et entraînés sur le sol des États membres de l’Union européenne, un pas de plus dans l’engrenage d’un conflit en passe de prendre une dimension de plus en plus ouverte et généralisée, alors que l’on peine à s’entendre au niveau d’une politique commune de l’énergie pour résister au choc à venir quand l’hiver aura balayé les températures clémentes du jour…
Ce début d’automne à la française avec ces grèves, blocages, manifestations, drames humains terribles à Paris et à Nantes, montée quotidienne de la violence et de l’insécurité et promesses de pénuries et restrictions incontournables au fur et à mesure où le conflit en Ukraine va s’installer dans la durée de l’hiver à l’est, ne laisse décidément présager rien de rassurant. Il s’inscrit de surcroît dans un paysage européen et international des plus instables et des plus inflammables. Raison de plus, sans nul doute, pour les dirigeants de l’heure de faire preuve de retenue dans leurs propos et de la plus grande prudence dans leurs décisions afin de ne pas mettre le feu aux poudres qu’une simple étincelle pourrait déclencher dans un contexte aussi explosif…
Eric Cerf-Mayer