Le débat sur la restitution des œuvres d’art est une préoccupation ancienne. Et la demande d’indemnisation est nombreuse et variée à l’échelle mondiale. Ainsi, l’Égypte, dont une part non négligeable du patrimoine a été largement transporté en Occident depuis le XVIIe siècle, lance régulièrement des demandes en ce sens. Le pillage de ses sites et musées, qui a suivi de peu le réaménagement du musée du Caire, accompagné de l’ouverture de celui, tout neuf, dit des pyramides sont la cause de ces salves de restitutions. Mais outre les collectionneurs privés, il en va de même pour Berlin, le Louvre et pour les collections de Londres et du British Museum, avec d’innombrables chefs-d’œuvre visés à des degrés divers au fil des décennies.
Ce débat sur les restitutions, presque aussi vieux que l’histoire de l’art en elle-même, est passé au premier plan le 28 novembre 2017, concernant l’art africain. À Ouagadougou, dans un désormais célèbre discours prononcé le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron a appelé au retour de l’art africain dans les collections des musées français. Le terme semble impliquer la possession illégale de l’œuvre : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique »,. Cette phrase a provoqué de multiples interrogations et spéculations.
Mais ce n’est que le 5 mars 2018 qu’une mission a été confiée par le Président de la République à deux chercheurs, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, l’une historienne de l’art et enseignante au Collège de France, et l’autre un universitaire sénégalais qui écrit sur le site très communautariste et sinistre site oumma.com ; il est décrit par Le Figaro Magazine comme « très proche des Indigènes de la République ».
Leur nomination a été annoncée lors de la visite en France de Patrice Talon, le Président du Bénin. Et il faut préciser que le Bénin a été le premier pays africain à avoir formulé, en juillet 2016 seulement, une demande officielle de restitution autre que pour un bien volé récemment par des pillards sur un site archéologique.
Les deux rapporteurs ont ensuite œuvré dans une certaine opacité et ont remis le fruit de leur mission en novembre 2018, sous le titre « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle ».
Ledit rapport a été publié illico en librairie avec un intitulé autrement radical, Restituer le patrimoine africain, ce qui donne le ton et est révélateur d’un certain parti-pris ; le terme même de « restitution » sous-entend un vol, une spoliation, est un parti-pris.
Le rapport final (« Restituer le Patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle ») va résolument dans ce sens : Toutes les œuvres doivent être « rendues » et il propose un calendrier pour les premières soumissions. Suivre les recommandations du rapport pourrait placer la France dans une position intenable.
Emmanuel Macron a déclaré, dès la remise u rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, que la France rendrait au Bénin les œuvres réclamées.
Toutefois, cette volonté se heurte à une réalité juridique ; seul le Parlement peut décider de « sortir » un bien du domaine public, prenant son fondement sur la règle de l’inaliénabilité qui rend l’exécutif efficace dans sa volonté de transmission du patrimoine selon son bon plaisir.
C’est la jurisprudence qui a peu à peu élaboré le principe de l’inaliénabilité à travers une décision de 1846 de la Cour d’appel de Paris en se penchant sur le cas d’un manuscrit autographe de Molière, propriété de la Bibliothèque Royale. Les juges estiment alors que les « ouvrages, manuscrits, plans, autographes et autres objets précieux, faisant partie de la Bibliothèque Royale, sont inaliénables et imprescriptibles, comme appartenant au domaine public».
Il existe cependant quelques nuances à cette apparente rigidité. Mais les brèches sont ténues. Il est ainsi possible de « désaffecter » un bien du domaine public, dans la mesure où il aurait cessé d’être indispensable. Toutefois, cette faculté ne concerne pas les collections des musées nationaux. Il en est de même pour les objets présentant un intérêt d’histoire ou d’art qui sont inventoriés au titre du mobilier national…
En règle générale, la France refuse de reconnaître ce principe d’inaliénabilité lorsqu’il est brandi par un État étranger.
Il s’agit là de l’application du droit national aux objets se trouvant sur le territoire français, sans admission d’une autre législation.
Cette dissonance juridique a été validée au XIXe siècle par la jurisprudence. Le tribunal de la Seine a, le 17 avril 1885, considéré qu’un baron, détenteur d’un vase en argent vendu à Paris par des Espagnols ne devait pas souffrir de restitution à un Duc.
C’est pourquoi, tel un serpent de mer qui revient régulièrement la tentation de réformer la règle de l’inaliénabilité.
Or, tout l’édifice du rapport Sarr-Savoy repose sur une accusation, qui prend la forme d’une présomption absurde : les œuvres d’art détenues en Europe auraient toutes été forcément pillées. La conclusion est, là encore, que « dans les cas où les recherches ne permettraient pas d’établir de certitudes quant aux circonstances de leur acquisition à l’époque coloniale, les pièces réclamées pourraient être restituées sur justification de leur intérêt pour le pays demandeur. »
En bref, ne resteraient « dans les collections françaises » que « des pièces africaines dont il est établi qu’elles ont été acquises (notamment) à la suite d’une transaction fondée sur un consentement, à la fois, libre, équitable et documenté » et « avec la vigilance nécessaire sur le marché de l’art après l’entrée en vigueur de la convention UNESCO de 1970, autrement dit sans « prise de risque éthique ».
Ce mode de pensée revient à inverser la charge la preuve alors que, en droit, la charge de la preuve repose sur le demandeur ; Le concept de la charge de la preuve est intimement lié à celui de la présomption d’innocence, qui est, en France, à valeur constitutionnelle et est une règle aujourd’hui, en théorie, universelle.
Le rapport Sarr-Savoy exige des collections publiques de fournir des documents contractuels qui respecteraient un formalisme auquel un acheteur, en galerie, serait habitué en ce troisième millénaire ; or, le marché de l’art, en particulier en Afrique, a peu usité de tels documents contractuels aux cours des XIXe et XXe siècles, permettant de prouver « un consentement, à la fois, libre, équitable et documenté ».
Face à cette impossibilité de prouver, tout ou presque doit être restitué, et ce dans un délai très court. Les objets des collections publiques française sont présumés avoir été pillés, volés, quelles que soient les situations (faits militaires et missions scientifiques étant mis au même plan) dans un renversement de la charge de la preuve que nul n’avait ainsi osé esquisser auparavant.
Les dons faits aux musées après 1960 seraient de même entachés d’un passé forcément colonial-coupable.
« M. Sarr et Mme Savoy considèrent ainsi que tous les objets acquis en Afrique avant 1960 l’auraient été de manière illégitime, et de ce fait proposent un renversement de la charge de la preuve, qui est contraire à̀ l’usage en droit français selon lequel la charge de la preuve repose sur celui qui demande la nullité de l’acte. Or ces éléments de preuve d’un libre consentement à la vente pourraient s’avérer très difficiles à apporter lorsqu’il s’agit de transactions intervenues il y a plus d’un siècle. De plus, les auteurs du rapport estiment que des ventes intervenues avant 1960 à des prix qu’ils considèrent trop bas pourraient constituer des spoliations ».
Avant de parler de pillage proprement dit et d’accuser la période coloniale, il faut examiner toutes les causes de disparition d’œuvres d’art en Afrique, car ces données ne sont pas anodines : la pratique du remplacement que cultivent les populations africaines, consistant à changer et moderniser des objets.
L’Islam a, depuis des siècles, éradiqué tout art figuratif dans une grande partie de l’Afrique noire. Les djihadistes continuaient ainsi à Tombouctou : il y a très peu en s’attaquant à des mausolées.
Une loi a été votée depuis par la représentation nationale, permettant le retour d’une vingtaine d’objets royaux au Bénin car ils avaient été pillés dans des circonstances aussi documentées que particulières. Et les demandes d’États affluent, certaines fondées avec des listes précises d’objets pillés, d’autres en forme de revendication politique confuse et vengeresse.
C’est oublier que les œuvres d’art ne peuvent servir de victimes expiatoires à la colonisation.
Il subsiste en effet de nombreux obstacles géopolitiques et culturels à une restitution intelligente qui ne prenne pas la forme d’un repentir dont l’art serait la victime. La douce utopie de la restitution se heurte à de bien complexes réalités. Celles-ci sont autant liées à l’histoire culturelle, qu’aux obstacles juridiques et aux importantes difficultés budgétaires. Sans compter que le calendrier prêché par les tenants de la restitution est plus qu’optimiste. La culture est un enjeu symboliquement essentiel et à la fois fragile qui pèse si peu au côté des puissances économiques et des préoccupations de notre monde si agité. C’est pourquoi elle ne doit pas être sacrifiée à l’aune des bons sentiments mais pensée comme une voie d’exception.
La restitution en vrac n’est en rien une solution satisfaisante.
Commençons par rendre, de fait, les seuls biens qui ont été pillés durant des faits attestés et incontestables. Et travaillons d‘urgence à améliorer l’état des musées publics et des lieux de culture en Afrique, comme le font déjà quelques fondations privées exemplaires qui ont décidé de prendre le problème en main sans pour autant crier « au voleur ».
Emmanuel Pierrat
Avocat au Barreau de Paris et écrivain
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
Cabinet Pierrat & Avocats
Valentin Renou
Cabinet Pierrat & Avocats