La mise en place de la transition énergétique nécessitera d’impliquer davantage les collectivités locales. Olivier Dussopt, président de l’Association des petites villes de France, évoque les contraintes auxquelles doivent faire face les petites communes, mais également leur le fort potentiel en énergies renouvelables, leur rôle décisif dans l’aménagement du territoire, leur volontarisme et leur proximité avec la population.
Revue Politique et Parlementaire – L’Association des petites villes de France a-t-elle été associée à l’élaboration du texte de loi sur la transition énergétique ? Si oui, de quelle manière et quelles en ont été les conséquences ?
Olivier Dussopt – L’Association des petites villes de France a pris part au débat national sur la transition énergétique qui préfigurait le projet de loi. L’APVF a rappelé l’engagement fort des petites villes dans les politiques de développement durable en matière énergétique et a proposé diverses mesures pour soutenir cet effort. Le volontarisme des petites villes en la matière n’est plus à démontrer : on compte nombre de communes qui, à la hauteur de leurs moyens, se sont lancées dans des chantiers ambitieux : Agendas 21, éco-quartiers, unités de méthanisation, centrales photovoltaïques, transports durables, etc. Convaincue que le passage d’une société fondée sur la consommation abondante d’énergies fossiles à une société plus sobre et plus écologique ne pourra se faire sans une participation de grande ampleur des collectivités locales, l’APVF a tenu à faire entendre sa voix.
Parmi les articles du texte de loi, certaines mesures concernent directement les collectivités et vont dans le sens de ce que préconise l’APVF.
Le texte de loi propose tout d’abord d’associer davantage les collectivités territoriales à la production d’énergie. Un article spécifique reconnaît un service public communal de chaleur et de froid et consolide le rôle des collectivités (communes et intercommunalités) en réaffirmant leur fonction d’autorité organisatrice du service public de distribution de chaleur, et en prévoyant la réalisation d’un “schéma directeur” du réseau de chaleur. Les projets ancrés dans les territoires étant perçus comme “gage de qualité et d’acceptabilité renforcée” par le gouvernement, il est prévu pour les communes, leurs groupements et les habitants riverains, la possibilité de participer au capital d’une société dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables sur leur territoire. Un droit à l’expérimentation locale est ainsi ouvert pour élaborer des projets comme il s’en développe un grand nombre dans des pays européens tels que le Danemark, l’Allemagne ou la Belgique. L’association des collectivités territoriales à la gestion des concessions hydrauliques est également prévue dans le texte de loi qui crée une nouvelle catégorie de sociétés d’économie mixte dont l’objet est d’exploiter des contrats de concessions hydroélectriques sur une vallée. Cette disposition, qui permet de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des usages de l’eau, correspond également à ce que demandait l’APVF de longue date.
Concernant les moyens financiers, je me réjouis du doublement du Fonds Chaleur, outil financier géré par l’ADEME, dorénavant doté d’une enveloppe supplémentaire de 400 millions d’euros sur la période allant jusqu’à 2017.
Enfin, le “plan national méthanisation”, prévoyant la mise en place de 1 500 unités de méthanisation dans les territoires ruraux, devrait permettre d’augmenter considérablement la production d’énergie à partir de déchets agricoles.
Je tiens à souligner que nous resterons bien entendu vigilants, durant l’examen final du texte au Parlement, à ce que ces dispositions soient préservées.
Les questions liées à la transition énergétique sont par essence vouées à dépasser les frontières nationales, l’APVF a également jugé important de s’engager dans la “Convention des Maires” en devenant officiellement “Supporteur” de cette initiative européenne qui vise à mobiliser tous les niveaux de gouvernance pour atteindre les objectifs énergie-climat de l’Union européenne, tout en dynamisant l’économie locale. De nombreuses petites villes françaises ont adhéré à la Convention des Maires en introduisant dans leurs programmes d’action des objectifs quantifiés à l’horizon 2020.
Il m’apparaît aussi très important de porter la voix des collectivités territoriales lors de la Conférence sur le climat qui se tiendra fin 2015 à Paris. Dans cet esprit, nous entendons prendre toute notre part à la COP21.
RPP – Faites-vous une différence entre les centres urbains et les autres territoires pour la mise en œuvre de la transition énergétique ?
Olivier Dussopt – La mise en œuvre de la transition énergétique nécessitera sans nul doute d’impliquer de plus en plus les collectivités locales. Toutefois, une attention particulière et des stratégies différenciées en fonction de la taille des communes doivent être envisagées. Le “comportement énergétique” est très différent selon la taille des communes et les maires de petites villes ont face à eux des contraintes, mais également des ressources, qui leur sont spécifiques et qui méritent d’être prises en compte par les pouvoirs publics.
En raison de leur taille, nous constatons en effet que les petites villes sont pénalisées pour améliorer leur sobriété énergétique, du fait d’économies d’échelle moindres et d’un effet d’agglomération insuffisant. En matière de mobilité, par exemple, la mise en place d’un réseau de transports en commun se heurte à des seuils de rentabilité dont il n’est guère possible de s’affranchir.
Par ailleurs, le prix de l’énergie est indiscutablement devenu un marqueur social dans les collectivités. Les maires des petites villes perçoivent de plus en plus une montée de la précarité énergétique qui ne concerne pas uniquement les bénéficiaires des minimas sociaux mais qui touche aussi les propriétaires de logements anciens souvent mal isolés et qualifiés parfois de “passoires énergétiques”. Le monde rural et les zones périphériques des métropoles apparaissent comme les plus touchés : la dépense énergétique moyenne est deux fois supérieure à celle des ménages installés dans des grandes villes.
En matière de compétitivité, les petites villes sont peut-être moins démunies qu’il n’y paraît, dans le cadre de la transition énergétique. Elles peuvent mobiliser sans doute plus facilement que les grandes agglomérations un potentiel d’énergies locales : solaire, géothermie, éolien, biocarburants, combustion des déchets, hydraulique avec des déperditions moindres grâce à des circuits courts. Il n’est guère réaliste d’envisager l’autarcie mais plutôt la mixité et la complémentarité entre les grands réseaux des fournisseurs institutionnels et les apports locaux.
Plus que dans le domaine de l’offre, c’est sur la demande que la transition énergétique peut significativement progresser. D’abord, dans les villes à taille humaine, la proximité avec la population est un atout pour sensibiliser et informer les ménages sur leur consommation. Les campagnes de sensibilisation au plus près des populations doivent donc être renforcées. Ensuite, toujours dans l’optique de réduire la demande, la densité de population joue un rôle essentiel. Dans les petites villes, le bourg central offre des densités satisfaisantes et un charme souvent bien supérieur à celui des villes nouvelles de la périphérie des métropoles.
Le bâti peut être le plus souvent réhabilité et adapté pour économiser l’énergie ou même en produire sans que ces opérations soient entravées par l’inertie des grandes copropriétés ou des gestionnaires des grands ensembles. Par ailleurs, le prix du m² à l’achat ou en location peut devenir un facteur d’attractivité décisif dans le cadre d’un retour en force des structures urbaines d’avant l’ “urban sprawl” et le zonage, que prônent bien des partisans de la transition énergétique. Quand on lit en effet les descriptions de la ville idéale issue de cette transition ou remodelée par elle, on trouve sans cesse les mêmes références : espaces compacts, courtes distances, déplacements autonomes grâce à la marche ou au vélo, proximité des commerces et des services, mixité des fonctions habitat/travail, réhabilitation du végétal, circuits courts de distribution commerciale, interconnexion avec les autres éléments du réseau urbain, liens maintenus avec le monde rural… Dans cette perspective, les petites villes ne sont pas mal placées.
RPP – Comment voyez-vous le mix énergétique de la France à l’horizon 2025 et 2050 ?
Olivier Dussopt – Les enjeux auxquels le bouquet énergétique français doit répondre sont multiples : contribuer à l’indépendance énergétique et garantir la sécurité d’approvisionnement, assurer un prix compétitif de l’énergie et permettre la prospérité de notre économie, garantir la cohésion sociale et territoriale en assurant l’accès de tous à l’énergie et enfin, préserver la santé humaine et l’environnement.
Cependant, plus l’horizon temporel envisagé est éloigné, plus la prise en compte d’un mix supranational s’avère nécessaire. C’est selon moi à l’échelle européenne qu’il nous faut raisonner. Aujourd’hui, chaque État membre est responsable de son mix énergétique et de sa sécurité d’approvisionnement. Certains sont sortis du nucléaire, d’autres n’y sont jamais entrés. Certains évoquent le gaz de schiste, d’autres s’y refusent. Certains réutilisent des centrales au charbon, ferment des centrales à gaz. Ces divergences ne plaident pas en faveur de l’efficacité et fragilise la position de chacun. Je suis en faveur d’une Communauté européenne de l’énergie. Une Communauté de l’énergie qui pourrait devenir un moteur d’intégration aussi puissant qu’a pu l’être la CECA.
Le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a d’ores et déjà indiqué sa volonté de mettre sur pied un plan d’investissements de plus de 300 milliards d’euros. L’énergie et l’environnement devront être au cœur de cette initiative.
Quoiqu’il en soit, pour notre pays, l’enjeu consiste à s’orienter vers un mix énergétique plus sobre en carbone, conformément aux engagements internationaux pris dans le cadre du Plan climat énergie 2030 et conformément aux engagements nationaux pris pour atteindre le “facteur 4”.
Le gouvernement a pris l’engagement de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. La priorité, au-delà de la sobriété énergétique, c’est la diversification. Les énergies fossiles pèsent encore trop dans notre consommation énergétique finale. Diversifier, c’est limiter nos émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant le déficit de notre balance commerciale. Toutes les sources doivent être sollicitées : éolien, biomasse, photovoltaïque, chaleur renouvelable, agro-carburants, géothermie… Faut-il encore que ce soit à des prix et dans des conditions acceptables par l’ensemble de notre société. Le déploiement des énergies renouvelables produites localement est un des piliers de la transition énergétique ; il doit être soutenu directement par les différents échelons de gouvernance, et notamment les échelons locaux. Les systèmes de production d’énergie à partir des déchets, les systèmes de chauffage et de refroidissement urbain, la mise en œuvre de tarifs de rachat pour l’électricité renouvelable, les subventions, les prêts à faible intérêt et des subventions pour l’installation d’énergie solaire et éolienne (parmi d’autres sources d’énergie renouvelable) font partie du portefeuille d’actions pour les municipalités.
Abondante et bon marché depuis la révolution industrielle, l’énergie apparaît aujourd’hui comme rare et de plus en plus chère dans un contexte où la menace du changement climatique se renforce. Afin de répondre à ce double défi, accentué par l’évolution démographique, la transition vers un système énergétique décarboné apparait comme prioritaire.
RPP – Comment, à votre avis, peut-on combiner développement durable, compétitivité et égalité des territoires dans le cadre de la transition énergétique ?
Olivier Dussopt – Tel qu’il a été défini par les Nations unies en 1987, le développement durable ou soutenable est : “un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins”. Mais en 1992, au Sommet de Rio, la notion est élargie et précisée, dépassant les simples préoccupations environnementales. Le développement durable doit : permettre la poursuite du développement économique, être socialement équitable et avoir un impact écologique soutenable. Ce dernier “pilier” renvoie à la transition énergétique, les deux premiers trouvant une partie de leur traduction dans la compétitivité et l’égalité des territoires.
La transition énergétique doit être, pour demain, source de richesses durables, d’emplois et de bien-être. Elle doit à la fois permettre d’améliorer notre compétitivité, de prémunir les ménages et les entreprises de la flambée des prix de l’énergie et de créer des emplois non délocalisables. Elle devrait en effet générer le développement de nouveaux projets et métiers au cœur des territoires. Le développement des énergies renouvelables et des réseaux de chaleur durables requiert des compétences nouvelles et de l’expertise. Le développement d’une offre de services en matière d’efficacité énergétique devrait constituer un vivier d’emplois, et dynamiser le tissu économique local. Il nous faut donc percevoir cette transition comme une réponse au triple défi environnemental, économique et social auquel nous sommes confrontés.
L’économie circulaire est à cet égard tout à fait significative. Faire que les déchets soient une matière première, que nous puissions en tirer un bénéfice économique tout en réglant un problème environnemental ; on ne peut qu’y souscrire. Cela représente un gisement formidable pour les collectivités en termes d’optimisation, de création d’emplois et de création de matières premières nouvelles.
Concernant l’égalité des territoires, d’une manière générale, ouvrir le débat sur la production décentralisée et l’auto-consommation d’énergie au sein des collectivités peut s’avérer pertinent. L’APVF est très attachée au maintien de la péréquation tarifaire nationale de l’énergie qui constitue un véritable outil de solidarité sociale et entre territoires urbains, ruraux et ultramarins. Mais, même si la centralisation répond à une demande de péréquation tarifaire qu’il semble essentiel de préserver, il faut aujourd’hui s’interroger sur le mode de production décentralisé qui peut s’avérer judicieux dans la mesure où lorsque l’on consomme l’énergie que l’on produit, nous sommes encore plus sensibles à la sobriété énergétique…
Olivier Dussopt, président de l’Association des petites villes de France, député de l’Ardèche, maire d’Annonay