A défaut d’être centrée sur des enjeux politiques locaux mobilisateurs, la campagne en vue des élections régionales et départementales semble déjà négligée, au moins par les médias et les états-majors partisans nationaux, au profit de l’autre, celle des élections présidentielles. Plus précisément, l’attention se focalise sur le second tour de ce scrutin-ci, quand ne resteront en lice que deux candidats entre lesquels les français devront finalement choisir. Combien tragique est d’ailleurs cette simplification de la vie politique de notre pays qui appauvrit le débat public et éloigne le citoyen des réalités…
Présenté par certains comme un risque pour la République et par d’autres comme un espoir en vue d’une victoire finale, le duel entre les deux candidats de 2017 a été choisi arbitrairement comme devant forcément retenir l’attention des citoyens plus ou moins intéressés. Pour faire bref, le clan du Président sortant espère renouveler l’opération précédente, voire celle de 2002, et résumer l’enjeu à un choix réduit à « moi ou le chaos ». Cette approche ferait fi du fait qu’au premier tour, en 2017, ledit candidat n’avait rassemblé que 18 % des voix des inscrits, ce qui prouve que son élection finale n’a été que le résultat d’un rejet de l’autre candidate, considérée comme une menace pour les institutions républicaines.
Or, notre Constitution est précise à cet égard, notamment dans son article 4 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie (…) ». Dès lors, de deux choses l’une : le programme du Rassemblement national respecte-t-il cette règle, ou pas ? Si oui, la crainte d’assister à une élection de sa candidate serait infondée, sinon, pourquoi ce parti est-il toujours autorisé et financé par l’argent des contribuables ?
Sans prendre parti, ici, sur le fond du sujet, force est de constater que la réponse officielle apportée par l’expérience est la première et que ce parti est considéré comme légitime et respectueux de la règle constitutionnelle. Sa candidate ne peut donc pas être présentée comme un épouvantail qu’il faudrait abattre, au bénéfice du choix final d’un autre candidat qui ne rassemble pas, sur d’autres bases, la majorité des citoyens français. On voit bien là combien l’approche qui nous est imposée est mortifère pour une vie politique assainie.
Dans un pays tel que la France, qui tente, non sans de nombreuses difficultés, depuis plus de deux siècles de mettre en œuvre une pratique démocratique de la vie politique, n’existe-t-il pas d’autres sujets de préoccupation sur lesquels devraient se concentrer l’attention et le débat ?
Or, dans le même temps se développent les réflexions et les actions en vue de réformer fondamentalement l’ONU1 et l’UE2. En ce qui concerne la première, son secrétaire général a ainsi défini… « Notre objectif doit être un système des Nations Unies pour le développement d’un XXIe siècle davantage tourné vers l’humain que vers les procédures. Le véritable test de cette réforme se traduira par des résultats tangibles dans la vie des personnes que nous servons – et par la confiance de ceux qui soutiennent notre travail. ». Pour ce qui est de la seconde, sa présidente a été tout aussi claire quant aux intentions de l’Union : « «Les citoyens doivent être au cœur de toutes nos politiques. Je souhaite donc que l’ensemble des Européens contribuent activement à la conférence sur l’avenir de l’Europe et jouent un rôle de premier plan dans la détermination des priorités de l’Union européenne. Ce n’est que tous ensemble que nous pourrons bâtir notre Union de demain.» Resterait à travailler à la nécessaire réforme de notre propre Constitution, ne serait-ce que pour corriger les effets néfastes, mais prévisibles, du référendum de 2000 si mal approuvé par une toute petite minorité d’inscrits sur les listes électorales.
Qui propose, aujourd’hui, aux français d’engager le débat sur ces bases-là ? Inutile, vous dira-t-on car cela n’intéresse pas, justement, les français. Mais alors, de quelle légitimité peut bien se réclamer un candidat à l’élection présidentielle s’il est incapable de convaincre ses concitoyens de l’importance de ces enjeux ? Et qui nous dit, d’ailleurs, que cela « n’intéresserait pas » les français ? Les « communicants », dont la compétence et l’utilité restent à démontrer et par qui semble passer toute l’expression des choix politiques du pays, dorénavant ? D’autant plus que, en ce qui concerne la Constitution, plusieurs groupes de réflexion d’inspirations très diverses se sont déjà penchés dessus depuis des années…
Descendons d’un étage et observons la situation des finances publiques après la crise sanitaire. N’y aurait-il pas là matière à débattre utilement entre français afin de choisir la voie la plus adéquate pour sortir d’une telle impasse ? Dans le même ordre d’esprit, l’abandon de la situation des retraités actuels (et futurs…) dont les revenus sont quasiment gelés depuis plus de dix ans, notamment ceux des 3,3 millions des anciens agents publics qui ont subi de ce fait un cumul de perte de pouvoir d’achat de plus de 15 %, ne mérite-t-il pas un examen approfondi en vue d’en corriger les conséquences ? Enfin, la dégradation continue et même accélérée d’une grande partie du territoire français, touché par un exode rural plus important que celui de la fin du XIXè siècle, au profit de la concentration irraisonnable de population dans quelques grandes agglomérations, ne nécessite-t-elle pas mieux que le dérisoire projet de loi dit « 4D », dont le chiffre 4 rappelle les quatre aveugles conduits au fossé par un cinquième, dans la Parabole des aveugles de Pieter Brueghel l’Ancien ?
Enfin, alors que la défense du patrimoine architectural, naturel, voire même gastronomique est devenue à la mode et, comme tel, mis en avant par les médias et leurs vedettes, comment ne pas s’étonner que le débat politique néglige presque complètement la sauvegarde d’un autre patrimoine autrement plus précieux car immatériel, à savoir la langue française ? Que ce soit dans la pratique quotidienne, de plus en plus fragilisée par la diminution de la quantité et de la qualité de l’enseignement dispensé, que par l’usage d’expressions « américanisées », souvent par erreur3, ou bien par les atteintes mortifères que voudraient lui porter certains, au nom de la défense mal comprise des langues régionales, tout va dans le sens d’une dégradation de notre patrimoine le plus accessible et le moins coûteux : la langue française. Quand ce n’est pas la volonté de généraliser l’absurde orthographe dite « inclusive » qui fait fi de l’étymologie même du mot « orthographe », à savoir4 qu’il est « composé à partir de orthos, « droit, juste, sensé », et graphein, « écrire ». »
La politique du pire qu’on entend nous imposer risque donc de contraindre encore une fois, une majorité de citoyens à voter « contre », à défaut de pouvoir voter « pour », ce qui est, reconnaissons-le…la pire des politiques.
Hugues Clepkens
1https://reform.un.org/fr
2https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/new-push-european-democracy/conference-future-europe_fr
3Voir Alain Borer, Speak white, édition Tracts Gallimard, 2021
4Dictionnaire de l’Académie française