En réclamant sur le site Change.org une baisse du prix des carburants, Priscillia Ludosky a rassemblé plus d’un million de signatures et mis en lumière un mécontentement latent de nombreux Français. Cette pétition s’est imposée comme l’un des actes fondateurs de la mobilisation des « gilets jaunes ». Aujourd’hui, la jeune femme réclame, dans une seconde pétition, un référendum sur la mise en place du RIC mais également une baisse des taxes et impôts sur les produits de première nécessité ainsi qu’une diminution des salaires et privilèges des élus et des hauts fonctionnaires. Rencontre avec cette auto-entrepreneuse de 33 ans.
Revue Politique et Parlementaire – Avant d’initier la pétition qui a servi de levier à la mobilisation des « gilets jaunes », vous n’aviez jamais eu d’engagement citoyen. Qu’est ce qui a motivé cette première incursion dans le champ de l’action publique ?
Priscillia Ludosky – Je n’ai effectivement jamais eu d’engagement citoyen, que ce soit à titre individuel où au sein d’une structure telle qu’une association par exemple. Je n’ai également jamais adhéré à un parti politique.
Ceci est ma première expérience militante. J’ai toujours été personnellement sensible aux injustices sans jamais oser me lancer dans la défense d’une cause. Ma reconversion professionnelle m’a permis d’avoir du temps pour réfléchir à mes priorités.
RPP – La mobilisation des « gilets jaunes », après plus de deux mois, doit-elle désormais se structurer, se transformer en mouvement ou doit-elle conserver son caractère initial, à savoir cette forme en apparence improvisée, voire spontanée ?
Priscillia Ludosky – Je n’ai pas la solution, mais sa « non structuration » actuelle est sa force comme sa faiblesse. Se structurer n’est pas indispensable à mon sens.
Il n’en demeure pas moins que nous devons nous coordonner afin d’être opérationnels.
RPP – Votre plateforme revendicative porte un certain nombre de revendications institutionnelles dont le RIC. Alors qu’à l’origine votre mobilisation était principalement liée à des mots d’ordre fiscaux et sociaux, votre lutte s’est élargie à d’autres enjeux, dont celui des institutions ou des revenus des élus. À partir de quel moment sentez-vous nécessaire d’en venir sur ce terrain et pourquoi ?
Priscillia Ludosky – Depuis la pétition, le mouvement a pris de l’ampleur puisqu’il englobe désormais le sujet du pouvoir d’achat et la place du citoyen dans la vie politique. On a pu le constater dans la remontée des revendications faites par les nombreux citoyens qui nous ont écrit et continuent de le faire encore aujourd’hui.
Tout est lié, les mesures prises par le gouvernement nous semblent injustes et ne répondent pas aux besoins des classes populaires et des classes moyennes dont le mouvement est pour partie l’expression. Elles favorisent les uns tout en oubliant les autres. Il n’est donc pas étonnant que la fiscalité apparaisse comme l’un des sujets majeurs des revendications.
Pour ce qui concerne la participation citoyenne, c’est selon moi une manière de dire que nous devrions être maîtres de notre destin, décisionnaires aussi des mesures prises.
Ainsi ces dernières seront-elles plus justes, mieux acceptées et sans doute plus cohérentes.
La question des revenus des élus est pour nous importante car symboliquement, cela signifierait aussi que le personnel politique est solidaire des Français auxquels on ne cesse de demander des efforts. Par ailleurs cela permettrait de s’assurer de la sincérité de la motivation des élus à travailler pour le citoyen Nous sommes conscients du caractère relatif de ces économies, même s’il ne s’agit pas non plus de le négliger. Il est évident que les gisements de ressources fiscales sont à rechercher là où on se refuse d’aller les récupérer.
RPP – Le débat national proposé par le président de la République ne constitue pas selon vous une réponse adaptée à la situation que traverse le pays. Pourquoi ? Et qu’est ce qui serait susceptible désormais de sortir de la crise ?
Priscillia Ludosky – Le gouvernement n’a selon moi pas besoin de débattre pour mettre en place des mesures visant à redonner du pouvoir d’achat aux citoyens, ni pour aller taxer les secteurs et profils exonérés ou pour lutter plus efficacement contre l’évasion et la fraude fiscales. C’est une question de volonté et non de débat. Ce dernier s’apparente plus à un exercice de communication qu’à un échange censé déboucher sur des dispositions susceptibles de répondre aux défis de la crise.
Pour moi l’exécutif gagne du temps et espère certainement que cela apaisera les colères.
RPP – On entend peu les animateurs du mouvement sur l’un des sujets qui détermine beaucoup de choses aujourd’hui, à savoir la question européenne et ce qu’elle induit sur les politiques nationales. Plus généralement, comment vous positionnez-vous personnellement sur ce sujet ? Ne pensez-vous pas qu’aujourd’hui bien des décisions sont tributaires des contraintes imposées par Bruxelles ?
Priscillia Ludosky – Évidemment que nous sommes dépendants des décisions prises par Bruxelles. Cela se voit en creux : les mesures non mises en place sur divers sujets (taxe GAFA, glyphosate…) et qui pourraient l’être sont la conséquence des contraintes imposées par l’extérieur. Mais, il faut noter que l’enjeu européen n’est explicitement pas abordé dans l’offre de débat.
RPP – Une liste « gilets jaunes » aux européennes est en voie de constitution. Quel est votre regard sur cette initiative ?
Priscillia Ludosky – Je ne suis pas favorable à la constitution d’une liste pour les élections européennes, je ne cesse de le dire. Pour moi, c’est contreproductif pour le mouvement, sa crédibilité et son efficacité.
Chacun fait ce qu’il veut et peut à titre personnel s’engager en dehors du cadre du mouvement, je peux le comprendre.
Mais se mobiliser au nom du mouvement me paraît usurper un esprit, un label, une démarche qui n’ont pas pour objectif de s’inscrire dans un cadre électoral avec le risque d’être instrumentalisés.
RPP – Pour en revenir aux violences qui ont émaillé les mobilisations, jugez-vous qu’elles sont d’abord le fait d’éléments extérieurs ou qu’elles ont constitué aussi pour un certain nombre de « gilets jaunes » un moyen de se faire entendre ? Par ailleurs concernant les réponses policières estimez-vous qu’elles étaient proportionnées et donc légitimes ?
Priscillia Ludosky – Lors des manifestations des gens d’horizons très divers se sont mobilisés. Notre force a été d’agréger des sensibilités différentes. Certaines personnes, qui ne portent aucun intérêt au mouvement, se sont introduites dans les mobilisations dans le seul but de casser, mais il s’agit d’une infime minorité.
Il existe aussi des gens qui défendent sincèrement nos objectifs et qui considèrent que rien ne peut être obtenu de manière pacifique ou douce. L’intransigeance et les mots des dirigeants ont pu les heurter, les blesser, les révolter. Mais l’immense majorité considère que le pacifisme est le maître mot, notre maître mot.
Le gouvernement, qui n’a pas intérêt à ce que le mouvement prenne de l’ampleur, a d’emblée instauré un climat hostile. Des ordres ont pu être donnés (témoignages à l’appui) de laisser progresser les personnes nuisibles dans les manifestations afin que la situation s’envenime, ce qui d’une part est irresponsable, inadmissible et d’autre part dangereux.
Cette tactique participe à déconsidérer les « gilets jaunes », à alimenter les médias en sensationnel et à manipuler l’opinion publique.
Bon nombre de « réponses policières » sont inappropriées et n’ont pas de bases légales solides (nasses, tirs au visage – utilisation du Flash-Ball –, passages à tabac, arrestations et fouilles aléatoires, retrait forcé du gilet jaune…). Des actions en justice sont d’ailleurs en cours à ce sujet. Le maintien de l’ordre public ne saurait justifier des mesures exorbitantes.
RPP – Prônez-vous une convergence des mobilisations désormais avec des appareils plus classiques de revendications, les syndicats notamment ?
Priscillia Ludosky – Je ne suis jamais allée à la rencontre des syndicats car je me méfie de leurs intentions. Mes appréhensions se sont vérifiées car à certaines occasions ils sont venus perturber des manifestations « gilets jaunes » en prenant la tête des cortèges avec leurs banderoles.
Que dans le cadre d’une éventuelle grève générale les « gilets jaunes » défilent pour les citoyens d’un coté et les salariés et syndicats de différents corps de métiers défilent pour leurs intérêts pourquoi pas.
La convergence, si elle venait à se produire, doit s’élaborer sur des bases claires et éviter les confusions.
Après tout un salarié en grève milite pour plus de pouvoir d’achat et de meilleures conditions de travail et le « gilet jaune » défend également son pouvoir d’achat, donc cela fait sens. Nous devons néanmoins éviter les risques de récupération tant sur le plan syndical que politique.
RPP – Après de longues semaines d’engagement, quels enseignements en retirez-vous sur un plan personnel ?
Priscillia Ludosky – Il s’agit d’une expérience enrichissante, intense, nécessaire mais au détriment d’une vie personnelle et professionnelle mise un peu à l’écart.
J’ai rencontré beaucoup de bienveillance des uns et des autres, mais je me suis également heurtée à des attaques brutales via les réseaux sociaux.
Il convient aussi de relever des tentatives de censure sur Facebook, entre autres, et des mesures de surveillance inquiétantes (portable sur écoute) par les RT/RG…
Propos recueillis par Arnaud Benedetti