Faut-il vraiment s’en étonner ? L’accélération soudaine de Bruno Retailleau, qui se porte candidat à la présidence des Républicains, survient au bon moment. Comme on sait, en politique, mieux vaut avoir le sens du timing. Et, en ce début février, le contexte lui est, de fait, particulièrement favorable sur le plan électoral comme sur le plan personnel. Tout récemment, la droite LR a gagné haut la main les élections législatives partielles de Villeneuve-Saint-Georges (contre LFI) et de Boulogne-Billancourt (contre Horizons d’Edouard Philippe). De quoi se dire que la droite classique est de retour et qu’un espace, qu’il faudra s’employer à élargir, existe entre la macronie déclinante et le Rassemblement national.
Sur le plan personnel, le ministre de l’Intérieur a une sacrée cote dans l’opinion et sa popularité ne fait que croître depuis sa nomination il y a à peine deux mois. D’après le dernier sondage OpinionWay réalisé fin janvier, il apparaît comme le mieux placé pour accéder à la tête du parti. Chez les électeurs de droite, il recueille l’approbation de 37 % des sondés, soit deux fois plus que Laurent Wauquiez crédité de 15 %. Enfin et surtout, son score est à peine moindre chez les sympathisants LR : 32 % contre 17 % pour Wauquiez.
Certes, les sympathisants ne sont pas des militants encartés qui voteront lors du congrès. Mais les militants sont eux aussi sensibles à l’opinion… L’opinion, c’est le pari de Retailleau qui entend rassembler les « gaullistes » d’une part et les « patriotes », autrement dit les électeurs du Rassemblement national d’autre part, contre « les déconstructeurs d’extrême-gauche ».
L’annonce du ministre de l’Intérieur n’est pas le fruit d’un coup de tête. L’ex-sénateur de Vendée est un travailleur de long terme qui creuse discrètement son sillon depuis longtemps. En parcourant les fédérations, en entretenant les réseaux fillonistes au travers de Force républicaine, le parti de François Fillon qu’il a récupéré, et en soignant les militants comme il l’a encore fait à la mi-janvier en participant à une soirée des Jeunes LR organisée sur une péniche à Paris.
Sa popularité croissante, l’ambition affichée la semaine dernière par Gérald Darmanin, macroniste ex-LR rallié à Edouard Philippe, de fonder une Droite populaire et d’incarner une « rupture de l’intérieur » à l’instar du Nicolas Sarkozy de 2007, ainsi que la certitude de voir Laurent Wauquiez se lancer très prochainement dans la course à l’Elysée, ont fait le reste.
Il n’était plus temps d’hésiter. Surtout quand on sait que le gouvernement Bayrou n’est pas à l’abri d’une censure ; surtout quand on sait qu’une nouvelle dissolution est possible à la fin de l’été prochain ; surtout enfin quand on n’est pas certain d’avoir les moyens de mener à bien la politique de fermeté sur la sécurité et sur l’immigration à laquelle on croit. Tenir les rênes du parti est donc non seulement la garantie de rester dans le jeu, mais le meilleur moyen d’en être le candidat naturel à la prochaine élection présidentielle.
En prenant ainsi l’initiative, avant la réunion du parti destinée à organiser sa refondation et fixer les modalités du choix d’un candidat à la prochaine présidentielle, Retailleau oblige Wauquiez à rompre avec ses hésitations et à fixer enfin une date pour le congrès. Il faut « donner sans tarder une incarnation à notre mouvement », écrit-il dans sa lettre aux militants. Il impose son tempo et place en somme Wauquiez en situation de challenger. « L’avenir appartient à ceux qui le prennent », écrit-il encore dans une allusion à peine voilée à la procrastination de son concurrent. Si le président du groupe LR de l’Assemblée nationale voulait se porter candidat, ce serait donc désormais contre lui…
Lequel des deux sera perçu comme le diviseur ? Pour Retailleau, la réponse ne semble guère faire de doute.
Carole Barjon
Editorialiste