Patrick Martin-Genier, essayiste, spécialiste des questions européennes et internationales, revient sur l’initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus.
Lorsque, lundi 18 mai, le président français et la chancelière allemande décident de s’exprimer par visioconférence devant la presse, les médias européens s’attendent à une décision historique relative à un fonds de relance pour l’Europe afin de sortir de la crise économique engendrée par le coronavirus. De fait, la décision de doter ce fonds d’un montant de 500 milliards d’euros est saluée comme telle. Dès le soir même, l’Autriche prenait toutefois la tête d’un groupe de pays frondeurs en s’opposant aux deux dirigeants.
A y regarder de plus près, cette annonce ne pouvait hélas que compliquer une situation bien fragile et compliquée. Les deux dirigeants savaient que plusieurs Etats étaient opposés à l’idée de « coronabonds », c’est-à-dire la mutualisation européenne de la dette. Il s’agit très clairement de l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas et le Danemark. Lors du dernier Conseil européen, les chefs d’Etat, bien incapables de se mettre d’accord sur une quelconque décision liée à ce fonds de relance, avaient renvoyé à la Commission le soin de formuler une proposition relative à ce fonds.
Un fonds « gigantesque » selon Thierry Breton…
Hélas, la Commission européenne fut d’emblée pour le moins embarrassée par ce cadeau empoisonné. Depuis un mois, elle tente de donner forme à ce fonds qui ne devrait pas mutualiser la dette toute en la mutualisant un peu quand même d’une façon différente. Mais plus les jours passaient plus l’embarras de la Commission était palpable. Thierry Breton, commissaire français, annonçait lors d’une visite à Paris au début du mois de mai, la création d’un fonds « gigantesque » qui serait doté d’un montant situé entre 1 000 et 1 500 voire 1 600 milliards. On ne peut imaginer qu’il ait formulé cette proposition ambitieuse sans en avoir préalablement parlé à Emmanuel Macron. Il avait donc l’accord du président de la République.
Toutefois, Ursula Von der Leyne, présidente de la Commission, qui montre à cette occasion que son autorité est affaiblie, ne s’est elle-même pas exprimée. Alors que les autorités de la Commission avaient été mises au courant d’une intervention conjointe d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, l’embarras était évident à la veille de cette intervention par visioconférence. Margrethe Vestager, la puissante vice-présidente exécutive de la Commission européenne, refusait ainsi, la veille de la rencontre Merkel-Macron, d’indiquer quelque chiffre que ce soit à la presse qui lui demandait une indication sur le montant dont serait doté de fonds de relance. On comprend mieux pourquoi aujourd’hui.
…Finalement ramené à 500 milliards
En effet, le lendemain, le chiffre annoncé par le président français et la chancelière allemande n’était plus que de… 500 milliards d’euros, un fonds amputé des deux-tiers par rapport à ce qui avait été imprudemment annoncé par Thierry Breton qui allait dans le sens de la demande du président du Conseil Guiseppe Conte.
Que s’est-il passé ? Le président de la République a sans doute voulu pousser au maximum son avantage.
Avec Angela Merkel, il a sans doute cru que l’arrêt récent de la Cour constitutionnelle allemande lui permettrait, ainsi qu’à Angela Merkel, de pousser les feux de l’intégration budgétaire européenne.
En effet, dans cet arrêt, les juges constitutionnels mettent en doute la proportionnalité des interventions de politique monétaire décidées par la Banque centrale européenne lors des rachats de dettes publiques en 2015 à l’occasion de la crise de la dette souveraine grecque. La cour de Karlsruhe prenait aussi en défaut le contrôle exercé par la Cour de justice de l’Union européenne sur les interventions de la Banque centrale.
Angela Merkel en a tiré la conclusion – sans doute un peu hâtive – que face à la tentative de paralyser l’action monétaire de la BCE, il convenait de renforcer la politique budgétaire de l’Union européenne. Saisissant cette occasion inespérée, elle rebondissait alors en rejoignant Emmanuel Macron sur la nécessité de doter le fonds de relance d’un budget important sans aller toutefois jusqu’à la somme pharaonique de 1 500 milliards d’euros.
La France et l’Allemagne, des sauveurs désavoués ?
L’occasion était donc inespérée pour la France comme pour l’Allemagne d’apparaître comme les sauveurs de l’Europe.
Hélas, cet espoir a été douché dans les heures qui ont suivi. Sébastian Kurz, chancelier autrichien, prenait son téléphone le soir même en appelant les Premiers ministres suédois, néerlandais et danois pour se concerter. Sur son compte Twitter, Sebastian Kurz écrivait que sa position n’avait pas changée et qu’il était toujours contre des sommes d’argent destinées à être versées sans condition, privilégiant des prêts assortis de conditions précises.
Dans les jours qui suivirent, les quatre « frugaux » faisaient savoir qu’ils s’opposaient à la proposition franco-allemande.
Paolo Gentiloni, commissaire italien, faisait quant à lui savoir à la presse italienne que la proposition française n’était qu’un point de départ en accord d’ailleurs avec Guiseppe Conte et qu’au final, « arrivera à 1 000 milliards d’euros ».
Mais même au sein du camp politique d’Angela Merkel, un député de la CDU faisait valoir les réticences au sein du Bundestag. Pour lui, il ne saurait être question que les coronabonds qui ont été refusés très clairement reviennent « par la fenêtre ». En d’autres termes, ce fonds présente la menace persistante d’une mutualisation des dettes sans le dire ouvertement.
Une Commission européenne divisée
Cette possibilité serait aussi clivante au sein même de la Commission européenne, le collège n’étant pas sur la même longueur d’onde et, pour ne citer que certains d’entre eux, la présidente de la commission européenne Ursula Von der Leyne décidément bien silencieuse, ses deux vice-présidents exécutifs Margrethe Vestager et Valdis Dombroski, enfin Thierry Breton. Valdis Dombroskis a parlé de prêts assortis de « réformes structurelles », ce dont ne peut toujours pas entendre parler l’Italie. Au final il faudra attendre la fin du mois de mai pour que la Commission dévoile sa proposition. Mais encore une fois, l’exercice risque d’être difficile.
En formulant une proposition conjointe à la presse, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont adopté la stratégie du mégaphone.
Conscients que leurs propositions se heurteraient à de nombreuses réticences, ils ont fait le choix délibéré de prendre à partie l’opinion publique au risque de braquer encore plus leurs partenaires européens.
S’il est vrai que rien ne peut se faire en Europe sans un accord entre les deux pays, le seul couple franco-allemand, au demeurant affaibli, ne peut à lui seul entraîner l’adhésion des 25 autres Etats de l’Union européenne. La méthode a sans doute été, une fois de plus, maladroite.
Une différence de discours entre Emmanuel Macron et Angela Merkel
Emmanuel Macron a adopté un langage de communicant et s’est clairement imposé comme un si ce n’est comme le sauveur de l’Europe. Angela Merkel, quant à elle, a eu un profil plus discret et modeste, technique et comptable, consciente sans doute de l’audace de la manœuvre. Elle sait au fond d’elle-même que la décision des juges constitutionnels allemands intervenue au début du mois de mai, qui soulignait le rôle crucial du Parlement allemand dans toute avancée significative sur l’approfondissement de la construction européenne, notamment sur le plan budgétaire, l’incite à la plus grande prudence pour la suite.
Elle a ainsi été plus réservée sur les modalités de versement des sommes d’argent aux pays tels que l’Italie, exprimant à plusieurs reprises la nécessité que ces sommes soient remboursées. Il faudra sans doute attendre le prochain Conseil européen pour voir si d’une telle confusion peut sortir une proposition acceptable pour tous.
Il est clair aujourd’hui, que l’Union européenne est la croisée des chemins. Larvé depuis quelques années, le conflit interne éclate aujourd’hui au grand jour, sans gêne. Il faudra en tenir compte pour la suite de la « construction européenne ».
Patrick Martin-Genier
Essayiste, spécialiste des questions européennes et internationales