À l’aube de ses 20 ans et dans un paysage audiovisuel foisonnant et en mutation constante, Public Sénat cultive plus que jamais sa différence en adoptant un nouveau logo, une nouvelle signature « Des questions à toutes vos réponses » et de nouveaux rendez-vous. Dans un contexte de défiance politique croissante, la chaîne renforce également son identité basée sur trois piliers : le parlementaire, les territoires et la citoyenneté. Partageant de nombreux traits communs dans leur ligne éditoriale respective Public Sénat et la Revue Politique et Parlementaire viennent de signer un partenariat. Rencontre avec Emmanuel Kessler, son président.
Revue Politique et Parlementaire – Pouvez-vous nous préciser votre positionnement éditorial et vos objectifs en cette rentrée 2019 ?
Emmanuel Kessler – La saison 2019/2020 qui commence est cruciale pour Public Sénat et son développement. Le positionnement de la chaîne a été retravaillé afin d’atteindre un public plus large, mais aussi de mieux faire ressortir notre singularité. Deux éléments de contexte nous encouragent à continuer d’évoluer. Le premier concerne notre place dans le paysage audiovisuel. Il y a de plus en plus de chaînes, dont beaucoup de chaînes d’information, et nous, chaîne parlementaire, nous devons affirmer notre différence. Le deuxième élément est le contexte politique : une chaîne qui a pour mission de renforcer, voire de renouer, le lien entre le politique et les citoyens s’avère plus que jamais nécessaire. J’ajoute que Public Sénat va fêter au printemps 2020 son vingtième anniversaire. C’est le moment de se réinventer.
Nous nous affirmons donc désormais comme « la chaîne qui questionne ». Sur tous les sujets – politiques, économiques, sociétaux – la vérité se construit dans la confrontation des idées, des opinions, des données. Or souvent, dans la logique de « l’info continue », le temps du débat est expédié et l’on a tendance à résumer les problèmes à quelques tweets ou formules, à clore les sujets avec du « prêt-à-penser ». L’un des ressorts du populisme, que nous avons vocation à combattre si on veut préserver notre démocratie représentative, c’est de croire qu’il y a des solutions simples à tous les problèmes. Nous avons au contraire vocation à rétablir une sorte de « pédagogie de la complexité », en étant la chaîne du temps long, du débat qui confronte les points de vue et donne au citoyen toutes les clefs pour comprendre la société et le monde qui l’entourent. D’où notre nouvelle signature, un peu malicieuse : « Des questions à toutes vos réponses ».
RPP – Comment cela se traduit-il concrètement ?
Emmanuel Kessler – Prenons deux exemples : si l’on traite un sujet crucial comme l’écologie, on s’aperçoit que les réponses ne sont en réalité jamais binaires, alors qu’on a d’abord tendance à présenter les solutions de façon péremptoire. On l’a vu, par exemple, avec les débats sur la voiture électrique ou le 100 % bio dans les cantines. Prend-on en compte, en termes de bilan carbone, le cycle de vie complet d’un véhicule et de ses composants, sans parler de la provenance de l’énergie électrique ? Est-on capable de produire suffisamment d’aliments « bio » dans de bonnes conditions, sans importer à l’excès ? C’est toute cette complexité que nous voulons mettre en avant. Dès qu’on a une réponse, il faut donc toujours penser à la question qui suit.
RPP – Est-ce un changement de ligne éditoriale pour Public Sénat ?
Emmanuel Kessler – Non, c’est plutôt une approche, une ligne de conduite, que nous déclinerons dans ce qui demeure les trois piliers de la chaîne. Le premier est l’actualité parlementaire et singulièrement celle du Sénat. Celui-ci s’est imposé comme l’assemblée qui exerce son pouvoir de contrôle, d’enquête sur l’action de l’exécutif. On l’a vu sur l’affaire Benalla, mais également à travers ses multiples missions d’information, ses commissions d’enquête et les questions au gouvernement que nous allons mettre plus spécifiquement en avant, désormais tous les mercredis après-midi. L’activité du Sénat est une activité de questionnement, d’interpellation du gouvernement à côté, bien sûr, de l’examen des textes législatifs sur lesquels il apporte sa valeur ajoutée en termes d’amendements puisqu’il faut rappeler que 70 % des amendements votés par le Sénat sont retenus dans les textes finaux.
Le deuxième pilier, ce sont les territoires. Notre vocation est de faire le lien entre les enjeux nationaux et la manière dont ils sont perçus au niveau local et, inversement, d’essayer de voir comment les acteurs dans les territoires sont une source d’initiative et d’inspiration qui peut irriguer l’ensemble des actions menées partout dans le pays.
Le troisième pilier est la citoyenneté avec une façon exigeante d’aborder les questions de société, dans nos documentaires par exemple. Par ailleurs – c’est une leçon que nous avons tirée de la crise des « gilets jaunes » et du grand débat national –, nous donnons davantage la parole à des citoyens dans des émissions spécifiques.
RPP – Si je comprends bien la philosophie générale qui vous anime pour cette rentrée, c’est de favoriser une meilleure appropriation par les téléspectateurs et les citoyens de la complexité du monde tel qu’il est aujourd’hui, mais aussi de réinscrire l’information dans une temporalité plus épaisse et plus longue. Et cela correspond, d’une certaine façon, au rôle du Sénat qui, comparativement à l’Assemblée nationale, s’inscrit dans une temporalité un peu plus longue.
Emmanuel Kessler – C’est exactement cela. Nous partageons le canal parlementaire avec LCP Assemblée nationale. Mais Public Sénat a cette spécificité du temps long qui est aussi effectivement irriguée par le fait que notre chaîne est l’émanation d’une chambre qui aborde les sujets avec une tonalité qui lui est propre, sans être par principe dans le clivage partisan. C’est la nature même du système institutionnel qui veut cela et c’est bien car cela donne son sens au bicamérisme.
Par ailleurs, on constate une sensibilité accrue du public en général pour les enjeux relatifs à nos territoires. Le Sénat est la chambre qui les représente. Il est donc en phase avec les préoccupations concrètes des Français. La question de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes, l’un des détonateurs de la crise des « gilets jaunes », a été d’emblée perçue au Sénat comme posant problème. Nous avons vu tout de suite, à Public Sénat, que les vidéos sur cette affaire étaient très regardées. Il y avait là un sujet de sensibilité extrême car, justement, la réalité est complexe. D’un côté il est évidemment nécessaire, et tout le monde est d’accord, de diminuer la mortalité et le nombre d’accidents sur les routes, mais de l’autre cela fait ressurgir l’enjeu de l’enclavement d’un certain nombre de territoires et de la mobilité.
RPP – Comment mettez-vous en œuvre ces trois piliers – Sénat, territoires et citoyenneté – dans votre programmation ?
Emmanuel Kessler – Tous les matins du lundi au vendredi, nous diffusons, en partenariat avec la presse quotidienne régionale et des télévisions locales, un nouveau rendez-vous : « Bonjour chez vous ! ». D’une durée d’une heure trente, il est animé par Oriane Mancini. Il comprend l’interview du « sénateur du jour », suivi de l’interview politique d’un leader politique national, toujours avec la présence d’un journaliste de la presse régionale. La dernière partie, « Le club des territoires », nous permet de voir comment les sujets d’actualité sont vécus par les Français au quotidien, avec de nombreux duplex en direct des bureaux locaux de la presse régionale.
Sur l’aspect parlementaire, nous lançons « Allons plus loin », de 16 h 30 à 18 h 30 l’après-midi, et à 22 h le soir. Cette émission, présentée par Rebecca Fitoussi, fait intervenir de très nombreux sénateurs, sur les textes de loi en discussion mais aussi en mettant à contribution leur expertise sur les grands sujets d’actualité.
Concernant la citoyenneté, nous développons le rendez-vous hebdomadaire « Questions aux sénateurs » en collaboration avec le portail numérique Accropolis, qui s’adresse aux jeunes via la plateforme Twitch. C’est la première fois qu’une plateforme de jeux vidéo abrite une émission politique. Par ailleurs, un nouveau rendez-vous mensuel, « Dialogue citoyen », permettra chaque mois à neuf citoyens de faire face à six sénateurs pour traiter de grands enjeux, notamment ceux qui vont être mis en avant au moment des élections municipales comme la mobilité, l’emploi, l’accès au service public, la culture.
Enfin, nous renforçons nos partenariats avec des grandes associations d’élus locaux. Si l’on veut recréer du lien entre les citoyens et le politique, il est important de montrer ce que font les élus, comment ils agissent au quotidien.
RPP – Comment faites-vous l’articulation avec le net ?
Emmanuel Kessler – L’une des évolutions majeures de Public Sénat, depuis quelques années, c’est que ce n’est plus seulement une chaîne de télévision, mais un média global.
Nous devons donc être présents sur tous les supports avec des formats nouveaux qui permettent d’atteindre des publics qui ne regardent pas ou plus la télévision. D’où la création de « Questions aux sénateurs » par exemple. Depuis un an, nous avons également beaucoup développé notre chaîne YouTube. Nous créons des formats spécifiques pour Facebook ou Instagram. Nous commençons à développer des podcasts.
Il est crucial pour nous d’investir toutes les nouvelles plateformes. La télévision reste un media fédérateur, je crois à son avenir, mais elle n’est plus seule et il faut investir de nouveaux espaces pour toucher tous les publics.
RPP – Quels sont aujourd’hui vos publics et quels sont ceux que vous souhaitez conquérir ?
Emmanuel Kessler – Notre objectif est de remplir notre mission civique et citoyenne et, pour réussir, il ne faut oublier personne. Comme d’autres chaînes, notre public immédiat est plutôt urbain, plutôt « senior ». Mais le digital nous a permis de le rajeunir puisque le tiers de notre audience sur Internet se fait avec les moins de 35 ans. C’est encourageant.
Il nous faut élargir notre audience globalement auprès des jeunes, des femmes et des non urbains. Sur ce dernier public, nous avons déjà un avantage par rapport à d’autres chaînes puisque nous avons des rendez-vous spécifiques avec des magazines comme « Manger c’est voter » dans lequel Périco Légasse fait visiter un département à un sénateur, qui met en avant le patrimoine agricole et culinaire des territoires.
Enfin, nous avons revu notre identité visuelle et sonore, avec par exemple notre nouveau logo, plus en mouvement, tout cela afin de rendre plus chaleureuse, plus affective, notre relation avec nos publics. C’est aussi une façon d’étendre notre audience.
RPP – Quels sont les grands éléments de programmation en matière de documentaires ?
Emmanuel Kessler – Public Sénat produit ou coproduit une trentaine de documentaires par an et en diffuse une cinquantaine. Notre programmation se veut à la fois exigeante et « grand public », pour mettre en avant les films qui questionnent la société et provoquent le débat, qu’ils soient historiques, politiques, ou socio-économiques. L’un des éléments forts de notre rentrée, est un documentaire produit 100 % par Public Sénat dans le cadre d’un partenariat avec les Archives nationales, sur les débuts du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Si l’on observe les deux premières années de ce septennat, on remarque qu’il s’agit d’un cycle de réformes totalement inédit et que Valéry Giscard d’Estaing incarne un positionnement politique nouveau : un président jeune qui veut rassembler deux Français sur trois et qui conduit des réformes majeures sur le plan institutionnel comme sur celui de la société. Cette énergie n’est pas sans faire écho avec celle d’un certain… Emmanuel Macron. Nos documentaires illustrent vraiment « la patte Public Sénat ».
RPP – Ce que je trouve intéressant c’est que vous réintégrer la dimension historique dans la compréhension de l’actualité politique. L’un de vos axes c’est l’histoire pour mieux comprendre le présent et faire en sorte que les citoyens téléspectateurs se l’approprient.
Emmanuel Kessler – C’est effectivement l’un de nos axes, mais ce n’est pas le seul. Nous préparons pour début 2020, en coproduction, un documentaire sur Albert Camus dans le cadre du soixantième anniversaire de sa disparition. Le documentaire est un genre majeur pour prendre ses distances avec le flot de l’information immédiate et donner de la profondeur de champ à la réflexion.
RPP – Quel est votre positionnement par rapport à LCP Assemblée nationale ?
Emmanuel Kessler – Nous entretenons un bon dialogue avec LCP Assemblée nationale. Il y a deux chaînes sur le canal 13, c’est le reflet du bicamérisme, et chacune a sa couleur. Ce que l’on vise c’est la complémentarité. Public Sénat est peut-être un peu moins dans la confrontation partisane et un peu plus dans le débat d’idées. Nous avons des offres documentaires qui se complètent, et surtout des temps de programmation qui ne sont pas les mêmes. La « pause » documentaire, sur Public Sénat, marque le week-end, qui désormais s’ouvre dès le vendredi soir à 22 h, notre « prime-time ». Nous avons aussi des émissions communes, comme « Audition Publique », tous les lundis, animée par Francis Lettelier, où un sénateur et un député interpellent un invité politique, « Parlement hebdo », également diffusé sur France 3, ou encore « Europe Hebdo ».
RPP – Avez-vous prévu des formats d’émission sur les élections municipales ?
Emmanuel Kessler – L’année 2020 est l’année de nos 20 ans, mais également celle des municipales. Nous allons les couvrir avec des rendez-vous spécifiques. Nous lançons un magazine mensuel « Sur ma place » qui sera tourné sur des places de petites villes et villages et nous réfléchissons avec tous nos partenaires, dont LCP-AN, à d’autres rendez-vous spécifiques, qui débuteront en janvier.
RPP – Quel est l’intérêt pour Public Sénat d’un partenariat avec une revue comme la Revue Politique et Parlementaire ?
Emmanuel Kessler – Public Sénat est, comme je vous l’ai dit, un média du temps long, qui questionne, se nourrit de la parole d’experts maîtrisant leur sujet, souligne l’importance du Parlement comme facteur de tempérance et élément clef du fonctionnement démocratique. Ce sont des traits communs qui nous unissent avec une revue comme la Revue Politique et Parlementaire. Nous parlons au milieu politique mais aussi au grand public avec exigence et clarté. Nos lignes éditoriales, à bien des égards, se recoupent.
Emmanuel Kessler
Président de Public Sénat
(Propos recueillis par Arnaud Benedetti)