Pour la première fois depuis de nombreuses années, le couple exécutif « police-justice » est en phase. Et probablement même en concurrence, ce qui pousse chacun des ministres, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, à pousser le curseur un peu plus loin pour apparaître davantage offensif, et surtout à la hauteur des attentes des Français en matière de sécurité et de maîtrise de l’immigration. Parviendront-ils pour autant à doubler le RN par la droite sur ces thèmes régaliens désormais centraux ?
Pour répondre à cette question, il est d’usage de s’en remettre aux baromètres politiques. Le 11 janvier, l’enquête de satisfaction de l’institut Ipsos pour La Tribune Dimanche plaçait en tête, au sein du gouvernement, Retailleau à 35 % et Darmanin à 33 %, loin devant Dati, Valls et Lecornu, respectivement à 18 %, 18 % et 14 %. Sauf que, plongés dans un contexte plus général en prévision de 2027, le ministre de l’Intérieur chute à la 4e place, et le garde des Sceaux à la 6e. Qui fait la course en tête ? Marine Le Pen, suivie de près par Jordan Bardella. La question est donc : Pourquoi, malgré leur détermination évidente, n’y arrivent-il pas ? La réponse, en un mot : Pesanteur. Ils sont freinés par la pesanteur politique et idéologique du bloc central.
Le bloc central est empêché de différentes manières, mais notamment par son corpus idéologique dit « humaniste », que les Français ont désormais requalifié en « laxiste ». Par exemple, lorsque François Bayrou, interviewé par Darius Rochebin sur LCI, ose mentionner un « sentiment de submersion migratoire » de la part des Français – qui rappelle le « sentiment d’insécurité » évoqué par Dupond-Moretti –, la présidente de l’Assemblée nationale s’en indigne dès le lendemain matin sur les ondes de BFMTV. Ambivalence du « en même temps » : Un petit pas en avant ; deux grands pas en arrière. Pendant ce temps, le RN, qui ne s’encombre pas des sentiments honteux de la bourgeoisie cosmopolite, affirme qu’il y a bel et bien submersion migratoire – ce que semblent penser également les Français si l’on en croit toutes les études d’opinion récentes. Dès lors, comment rivaliser ? Par un référendum sur l’immigration, comme demandé par Bruno Retailleau ? Car il permettrait au ministre de l’Intérieur d’agir véritablement sans être retoqué sans cesse, par les juges, par le Conseil d’Etat, par le Conseil Constitutionnel, par l’Europe… Exclu, répond le Premier ministre !
Parfois je me dis qu’ils doivent être quelques-uns en ce moment, au centre-droit, à rêver durant la nuit de l’efficacité agressive de Donald Trump tout en le condamnant le jour sur les plateaux télévisés. Car de l’autre côté de l’Atlantique, en 24h à peine, Donald Trump a tordu le bras du président colombien, qui a accepté « sans restriction » le renvoi de « tous les étrangers illégaux ». Chez nous, l’expulsion d’un unique ressortissant algérien appelant à la haine, le 9 janvier dernier, a été retoquée par Alger. Résultat : les policiers français ont dû reprendre leur indésirable et rentrer à Paris illico. Humiliation !, une fois de plus…
Le président de la République, en acceptant de nommer ces deux personnalités à ces postes, espérait damer le pion au RN et à ses alliés. Mais comment le duo Retailleau-Darmanin pourrait-il parvenir à convaincre les Français que la coalition présidentielle dispose de solutions à leurs problèmes pour 2027, alors qu’ils sont actuellement en exercice au sein des ministères régaliens les plus puissants de la République et qu’ils trébuchent sur un influenceur algérien ? Que feront-ils face aux 400 000 clandestins estimés qui circulent dans nos rues, et face à tous ceux qui continuent d’arriver ?
L’impuissance et l’inefficacité en matière d’immigration, et de sécurité, de la part de ceux qui sont les plus combatifs et les mieux intentionnés au sein du bloc central remet en cause davantage que la personnalité de Gérald Darmanin ou de Bruno Retailleau, lesquels conservent malgré tout l’estime des Français. C’est tout un corpus idéologique et politique – celui de la démocratie libérale – qui vacille. Loin de freiner l’ascension du RN, le chant du cygne des deux ténors des places Vendôme et Beauvau annonce peut-être leur arrivée imminente, ainsi que la renaissance d’une autre conception de la politique, résolument radicale.
Frédéric Saint Clair
Politiste, auteur de L’extrême droite expliquée à Marie-Chantal (Editions de la Nouvelle Librairie)
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