Le martyre de l’Ukraine doit cesser ! La résistance héroïque du peuple ukrainien fait l’admiration de tous. Toutefois, il est aussi unanimement admis que l’OTAN n’interviendra jamais en Ukraine ni au sol ni dans les airs (les appels répétés du Président Zelensky pour une zone d’exclusion aérienne resteront vains. Même la mise à disposition des MIG29 Polonais via les Américains a été refusée par ceux-ci). Comme le disait un ancien militaire avec tristesse : « L’OTAN est prêt à se battre en Ukraine jusqu’au dernier Ukrainien ».
Enfin, Vladimir Poutine devient de plus en plus difficile à déchiffrer et semble accroître ses exigences chaque jour. D’ailleurs, Hélène Carrère d’Encausse, éminente spécialiste de l’URSS puis de la Russie, a livré le 23 février 2022 une brillante analyse de la Russie et de V. Poutine au lendemain de sa reconnaissance des deux entités séparatistes ukrainienne de Louhansk et Donetsk1. Toutefois, elle refusait même d’imaginer que la Russie pourrait envahir l’Ukraine et un jour bombarder Kiev ou Kharkov ! Ce qui arriva le lendemain.
Pour aller au-delà des pétitions de principe morales qui sont stériles ou des discours creux2, il faut évaluer lucidement la situation et comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à la situation présente. Ces analyses permettront alors de déterminer quel cheminement pourrait être proposé à la Russie pour bâtir une désescalade puis une paix durable.
I- Fondamentaux historiques de la Russie
De nombreux articles ont été écrits sur l’histoire russe et sur la période depuis la chute de l’URSS. L’un des plus complets a été écrit par le général Lalanne Berdouticq, ancien directeur de stage à l’IHEDN3.
Essayons de lister quelques aspects fondamentaux :
– La proximité historique depuis le IXème siècle entre la Russie et l’Ukraine puisque le berceau de la Russie se situe alors à Kiev. Le problème est que 1200 ans après les Russes considèrent souvent les Ukrainiens comme faisant partie du peuple russe, mais pas les Ukrainiens qui se voient indépendants et l’ont manifesté parfois de façon violente comme pendant la seconde guerre mondiale, où une partie de la population ukrainienne a collaboré avec les nazis.
– Historiquement, l’avancée vers le Sud et l’accès aux mers chaudes a été un leitmotiv de la stratégie russe. Ceci a occasionné une confrontation durable avec l’Empire Ottoman et le khan de Crimée mais a aussi poussé à l’invasion de l’Afghanistan.
– De même, l’avancée vers l’Est et la conquête de la Sibérie et de l’Asie Centrale rythment la stratégie russe du XVIIIème et du XIXème siècles.
– La Russie est donc un Empire expansionniste qui voit dans la profondeur géographique un antidote aux invasions pour un pays sans défense naturelle (ce fut efficace contre Napoléon et contre Hitler).
– Cette volonté expansionniste s’est encore manifestée lors du partage de la Pologne en 1939 et après la victoire de 1945 avec la mainmise sur l’Europe de l’Est.
– Il ne faut pas oublier la place de l’Eglise Orthodoxe et la gouvernance du pays en faveur d’une oligarchie souvent autoritaire sinon despotique.
Cette situation, qui a permis de grandes « victoires » et le développement de l’Empire, sera aussi la cause de l’effondrement de l’URSS en partie parce que les Russes n’ont pas pu suivre la course aux armements lancée par R. Reagan. Le système politique russe ne pouvait générer une motivation chez les gens ou un dynamisme économique suffisant pour se maintenir en haut de l’échelle mondiale ou pour lutter contre la surextension de l’empire.
L’Occident a eu de la chance que l’URSS soit alors gouvernée par un homme éclairé et de grande valeur comme M. Gorbatchev. Celui-ci a accepté de démembrer l’empire pacifiquement, ce qui lui a valu une très belle image en Occident mais a généré la colère de beaucoup de Russes après coup.
En effet, les dirigeants américains ont promis verbalement à Monsieur Gorbatchev de ne pas étendre l’OTAN à l’Est et de le soutenir économiquement.
L’Occident a profité de la faiblesse de la Russie pour étendre l’OTAN et l’UE à l’Est, parfois jusqu’à la frontière russe. De plus, le soutien économique s’est manifesté sous la forme d’envoi de consultants ultralibéraux qui ont démoli l’économie russe sans la reconstruire. Ils ont alors permis la mainmise sur les restes de l’économie russe d’une nouvelle oligarchie qui se maintient encore au pouvoir. Cette période « libérale/démocratique » promue par l’Occident est pour les Russes synonyme d’appauvrissement généralisé, de corruption et de mépris de la Russie.
A partir de 2000, V .Poutine a patiemment reconstruit la Russie dans les limites du possible créé par la période précédente. Ses premiers pas sur la scène internationale ont été amicaux vis-à-vis des USA (rencontre avec GW. Bush, réaction suite aux attentats du 11 septembre…). Toutefois, il a souvent été remercié par le mépris de l’Occident et l’avancée inexorable vers l’Est de l’OTAN et de l’Union Européenne. Le « coup de grâce » a été donné lors des « révolutions de couleur » dans l’arrière-cour de la Russie voire sur ce qui était considéré comme son territoire avec l’Ukraine. V.Poutine a fait évoluer sa stratégie voire s’est « autoradicalisé »4. Il a alors redonné leur fierté aux Russes en modernisant l’armée, en jouant sur le nationalisme et en s’appuyant sur une Eglise Orthodoxe très conservatrice. Une partie de ce travail a été fait en réécrivant l’histoire (mais il ne fut pas le premier chef d’Etat à agir ainsi) et au prix d’un musèlement progressif des voix dissidentes.
Sur le plan économique, la Russie s’est développée avec une amélioration du pouvoir d’achat de nombreux Russes. Cependant, la Russie de 2022 a encore des faiblesses importantes : espérance de vie et natalité faibles, alcoolisme, inégalités très fortes avec des services publics de mauvaise qualité en dehors de quelques zones privilégiées, productivité faible et addiction à la rente liée aux ressources naturelles.
Finalement, V. Poutine a réussi à redonner à la Russie une place sur l’échiquier international. Cette situation a valu à V. Poutine une certaine popularité qui gêne une partie des Occidentaux qui veulent continuer à marginaliser la Russie5 et à lui dénier le droit d’appartenir aux peuples européens voire occidentaux.
II- L’engrenage fatal en Ukraine
Depuis 10 ans, les USA se désengagent du Moyen-Orient et l’OTAN a quitté piteusement l’Afghanistan. En effet, les USA sont de plus en plus concernés par la concurrence avec la Chine et par la situation en Asie. Les budgets militaires des Européens sont restés faibles voire ont baissé.
Ceci a conduit V. Poutine à tester régulièrement les réactions de l’Occident sans rencontrer de vraies résistances : Géorgie en 2008 (après l’agression du président géorgien de l’époque pendant la trêve olympique), annexion de la Crimée en 2014, Syrie en 2015, soutien aux séparatistes ukrainiens…
Cette absence de réaction a conduit V. Poutine à toujours pousser ses pions plus loin. Alors que les Européens pensaient encore pouvoir négocier, V.
Poutine a décidé de mettre en oeuvre un plan mûri depuis plusieurs années pour reconquérir l’Ukraine en vue de la transformer en état tampon, glacis protégeant la Russie.
V. Poutine a mobilisé de moyens très importants dans son offensive contre l’Ukraine : 180.000 soldats (soit l’équivalent numérique de l’armée de terre Française), cagnotte de 600 milliards de US$ pour défendre son économie….
Malgré cela, cette offensive patine au bout de 15 jours de ce qui est présenté aux Russes comme une opération spéciale visant à libérer le peuple ukrainien martyrisés par une clique de nazis et de communistes corrompus à la solde de l’Occident.
Le bilan est maigre :
– Une avancée significative au Sud malgré la résistance de Marioupol,
– La conquête d’une bande de quelques dizaines de kilomètres au Nord et à l’Est sans prise d’une ville significative,
– Sur le plan international, la Russie est soutenue par la Chine (mais comme la corde soutient le pendu).
En revanche, les aspects négatifs sont colossaux. Cette offensive a :
– ressuscité l’OTAN — même la Turquie très rebelle récemment et encline au flirt avec la Russie a rapidement fermé les détroits aux navires de guerre Russes,
– resoudé l’UE qui était la proie de forces centrifuges (Hongrie, Pologne),
– rapproché l’Europe des USA souvent sur des bases russophobes,
– terni l’image de la Russie dans les milieux russophiles,
– poussé l’Allemagne à rejeter son pacifisme passé et à augmenter fortement ses dépenses militaires avec un gouvernement SPD-Verts,
– fait du patchwork ukrainien une nation unie contre l’envahisseur (c’est en partie le résultat de bombardements sévères de villes russophones voire lié à la volonté de certains oligarques pro-russes de ne pas passer sous la coupe de V. Poutine) ; en outre, V. Zelensky, un ancien comédien qui était souvent critiqué, a acquis en 15 jours une stature d’homme d’Etat international,
– montré les limites des capacités militaires conventionnelles de la Russie ; la mention rapide de la mise en alerte de toutes les forces de dissuasion russes est destinée à faire peur aux adversaires mais c’est aussi un aveu de faiblesse,
– généré des sanctions économiques qui ravageront rapidement l’économie russe et qui poussent à l’exil des Russes de haut niveau.
Que s’est-il passé ? V. Poutine a-t-il mal évalué les reculs antérieurs de l’OTAN ? S’est-il aveuglé ou a-t-il été victime de phénomènes de cour, lui qui a éliminé toute opposition voire toute contradiction ? Ou bien a-t-il, concernant l’armée ukrainienne, oublié Thucydide qui écrivait « Peu importe la taille du rempart, ce qui compte c’est la volonté de le défendre » ?
En admettant que, dans quelques mois, la Russie parvienne à une victoire militaire totale, il lui faudra alors gagner la paix.
Le scénario tchétchène d’installer un dictateur sanguinaire n’est pas viable pour un état de 500 à 600.000km² avec une population de plus de 40 millions d’habitants. Les sommes d’argent nécessaires pour reconstruire l’Ukraine et pour s’assurer un minimum de collaboration de la population sont certainement au-dessus des moyens actuels de la Russie.
Malgré sa posture de Tsar tout-puissant, V. Poutine est fragilisé, ce qui peut le rendre encore plus dangereux si l’Occident ne lui propose pas une sortie honorable de ce conflit. En effet, il ne faut pas faire trop rapidement le parallèle avec les accords de Munich et les phrases d’alors sur la guerre et le déshonneur. C’est quand on est fort qu’il faut savoir faire des concessions et éviter d’humilier son adversaire (faire l’inverse de ce que l’Occident a fait dans les années 1990).
III- Quelques effets collatéraux
Cette attitude est d’autant plus cruciale que chaque jour des centaines d’Ukrainiens souffrent et meurent et que cette crise aura rapidement des effets collatéraux catastrophiques.
En effet :
– Le réarmement généralisé (les Chinois qui ne sont pas du tout concernés ni menacés par cette crise ont annoncé une forte augmentation de leurs dépenses militaires) va détourner des centaines voire quelques milliers de milliards de $ de la tâche majeure commune à toute l’humanité : la transition écologique.
– La Russie et l’Ukraine sont d’importants exportateurs de céréales. La guerre va générer une forte hausse des prix voire des pénuries. Plusieurs pays (dont par exemple l’Egypte) verront leur population souffrir fortement de cette situation (plusieurs pays n’ont que quelques mois de stock). Ceci les déstabilisera et fera le jeu de l’islamisme radical et du salafisme.
Le seul effet positif, lié à l’augmentation du prix du pétrole, est la reprise des négociations sur le nucléaire iranien par les USA. Cette négociation, paradoxalement, nécessitera un minimum de dialogue entre les USA et la Russie.
IV- Quelle sortie de crise ?
La souffrance du peuple Ukrainien, les risques collatéraux listés ci-dessus, le risque d’un dérapage incontrôlé… imposent d’essayer d’aller vite.
Ceci entraîne qu’une victoire militaire totale de la Russie sera évitée. Ce scénario implique une négociation serrée qui doit être préparée par :
– Une analyse des options pour la Russie
– La détermination de ce que veut la Russie
– Une attitude constructive et une position sur ces demandes si possible unanime de la part des Occidentaux
– Un projet pour le développement futur de la Russie
– Un projet pour l’Ukraine
IV-a L’alternative stratégique pour la Russie
Certains rêvent d’une Russie éventuellement élargie qui fonctionnerait en autarcie. Les sanctions économiques depuis 2014 ont conforté ces personnes car elles ont permis un fort développement de l’agriculture en substitution des importations passées. Cette solution semble viable grâce à l’étendue de la Russie et à sa richesse en matières premières mais elle ne l’est pas à terme car elle provoquera un affaiblissement graduel de la Russie (sauf à trouver un Tsar qui se mue en « Grand Inquisiteur » ?).
La véritable alternative stratégique est donc :
– Un partenariat équilibré avec l’Union Européenne
– Devenir le vassal de la Chine
Le partenariat équilibré avec l’Europe semble une folle utopie alors que le canon gronde à nos frontières. En outre, ce scénario dans le passé a rencontré l’opposition des USA et la défiance de plusieurs pays Européens russophobes car ils ont eu à souffrir de l’empire soviétique. Toutefois, à l’heure actuelle, ce scénario a l’avantage pour les USA de décrocher la Russie de l’orbite chinoise et de consolider l’Europe. Enfin, les Russes sont essentiellement un peuple Européen qui aspire, tout en gardant son identité, à faire partie de l’Europe.
Le scénario chinois est très déséquilibré car les Chinois sont beaucoup plus nombreux et beaucoup plus puissants économiquement. A terme, ils coloniseront la Sibérie dont la Russie perdra le contrôle réel. Actuellement, la Russie n’a plus qu’un seul domaine où elle surpasse la Chine, c’est le domaine militaire, mais cette suprématie sera de courte durée et d’un usage très délicat. Enfin, la Russie sera instrumentalisée pour servir de bélier contre l’Occident : il faut donc alors s’attendre à des périodes de fortes tensions en Europe.
IV-b Que veut la Russie ?
Il est difficile de savoir réellement ce que veut V. Poutine qui fait une force de la difficulté qu’ont ses adversaires à deviner ses pensées ou sa stratégie. Il est aussi possible que ses exigences ne soient pas figées et évoluent de façon pragmatique au gré des évènements.
Selon deux journaux de qualité (Le Monde et Le Soir), V. Poutine aurait quatre exigences principales :
– Un statut neutre et dénucléarisé pour l’Ukraine
– Sa démilitarisation et sa dénazification
– La reconnaissance internationale de l’annexion de la Crimée par la Russie
– La souveraineté des « républiques » de Donetsk et Louhansk
Plus évidemment la levée des sanctions en cas d’accord.
IV-c Une attitude constructive
L’attitude actuelle des Occidentaux peut être résumée en :
– La Russie est un agresseur qui viole le droit international et enfreint la morale de la « communauté internationale » notamment en n’étant pas une démocratie.
– La Russie va beaucoup souffrir des sanctions économiques, comme l’a rappelé E. Macron récemment lors d’un entretien à V. Poutine6.
Cette attitude est totalement contreproductive et reflète la vision de ceux qui veulent anéantir la Russie en en faisant un paria ou un Etat de second rang (ce contre quoi V. Poutine se bat depuis 10/15 ans). En effet :
– La Russie n’a malheureusement pas le monopole du viol du droit international : la guerre de 2003 en Irak fondée sur des documents truqués était totalement illégitime au regard du droit international. GW Bush ou T. Blair qui l’ont menée n’ont fait l’objet d’aucune sanction. De même, pour les spécialistes, l’intervention de l’OTAN contre la Serbie et au Kosovo n’avait pas de fondement juridique solide.
– La Russie n’est pas un Etat démocratique et pratique l’assassinat de ses opposants. Ceci est détestable7 mais nous parlons et coopérons régulièrement avec des Etats qui sont tout sauf des démocraties. En outre, la France, la Grande-Bretagne ou les USA n’ont pas hésité par le passé à déstabiliser voire assassiner des leaders démocratiquement élus mais qui leur déplaisaient.
– Enfin, le peuple russe a vécu beaucoup de périodes très difficiles (dont la dernière sous l’ère Eltsine en partie de la faute des Occidentaux). Il en a donc l’habitude et, alors, a souvent tendance à se rassembler derrière son chef. Ceci sera sans doute encore plus vrai car l’information en Russie est totalement verrouillée. D’ailleurs, un certain nombre d’experts occidentaux estiment une partie des sanctions contreproductives.
Il faut donc avoir face à V. Poutine une attitude de négociation sur des points objectifs sans menace ni aucune connotation morale.
Il faut négocier avec lui en le respectant comme représentant d’un grand peuple sans lui prêter d’arrière-pensée sournoise. Toutefois, il faudra rester ferme sur certains points en jouant aussi sur les rapports de force et en faisant des propositions avec un cheminement et des jalons qui permettent de valider sa bonne foi.
IV-d Quelles propositions de l’Occident face aux exigences de V. Poutine ?
Il s’agit d’analyser les exigences de V. Poutine pour déterminer ce qui est raisonnablement acceptable notamment face aux problèmes et souffrances actuels.
Analysons les exigences de V. Poutine :
– La communauté internationale reconnaît l’annexion de la Crimée. Celle-ci a été annexée depuis 2014 et personne ne va prendre les armes contre la Russie à ce sujet. En outre, des réalités objectives rendent la Crimée stratégique et emblématique pour les Russes : l’arrivée de la Russie en Crimée sous Catherine II fut l’aboutissement d’un long processus d’extension vers le Sud, la base militaire de Sébastopol est stratégique, la Crimée n’appartient à l’Ukraine que depuis 1954 quand Kroutchev, un Ukrainien, la lui a donnée.
– La reconnaissance de l’indépendance ou au moins de l’autonomie des deux « républiques » de Donetsk et Louhansk. C’est une atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine mais ces deux entités (même si on prend comme limite non la ligne de front actuelle mais leur délimitation administrative) ne représentent qu’une fraction limitée du territoire Ukrainien et moins de 10% de sa population. Plus de 10.000 personnes sont mortes depuis 10 ans dans des affrontements stériles.
Certains oligarques de ces républiques ne seront pas forcément enchantés de passer sous la coupe de la Russie et de V. Poutine. En revanche, les couches populaires ont un niveau de vie inférieur à celui de leurs homologues en Russie, notamment les retraités, ce qui génère un véritable soutien populaire au rapprochement avec la Russie. Celui-ci aura un coût significatif pour la Russie si elle tient ses promesses.
– Un statut neutre et dénucléarisé. Dans les années 1990, l’Ukraine, sous la pression des Occidentaux, a accepté de transférer son arsenal nucléaire à la Russie, qui lui a alors garanti ses frontières. Sa dénucléarisation actuelle ne pose pas de problème ; en fait, la Russie veut que l’OTAN s’engage à ne pas implanter d’armes nucléaires sur le sol ukrainien. La neutralité implique d’ailleurs que l’Ukraine reste indépendante de la Russie comme de l’UE/OTAN. L’Ukraine pourrait alors jouer, de façon profitable, le rôle de pont entre l’UE et la Russie.
– Une Ukraine démilitarisée. Ce point est beaucoup plus délicat : en effet, si l’Ukraine avait gardé sur son sol un arsenal nucléaire, la Russie ne l’aurait jamais attaquée ! Le Costa Rica est un Etat sans armée qui vise surtout le bonheur de ses habitants8 et qui est un modèle écologique mais il est impossible de proposer ce modèle à l’Ukraine après ce qu’elle vit actuellement. Le problème majeur serait de fournir à l’Ukraine assez de garanties de protection en cas d’invasion par un autre pays (surtout si ce pays est la Russie !). En outre, des sujets épineux comme la libre circulation des navires dans la mer d’Azov ou le transit des personnes ou des biens entre la Crimée et les « républiques » de Donetsk ou de Louhansk sont à traiter.
Il est à noter que, récemment, ce point n’est plus régulièrement mentionné ce qui pourrait être un signal positif de la part de la Russie.
– La dénazification de l’Ukraine. Elle procède de la rhétorique de V. Poutine qui fait référence à la collaboration de certains nationalistes ukrainiens avec les nazis. Actuellement, l’Ukraine n’est pas un pays nazi (une partie de la famille de V. Zelensky a été exterminée pendant la seconde guerre mondiale !). Certes, quelques groupes nazis pourraient être dissous et d’autres étroitement contrôlés. D’autre part, si V . Poutine entend par dénazification la possibilité de nommer un gouvernement fantoche à sa botte pour mettre l’Ukraine sous tutelle, ce sera Niet !
Ces analyses montrent que les exigences de V. Poutine seront difficiles à accepter par le peuple Ukrainien qui résiste héroïquement. Toutefois, elles n’impliquent réellement que des concessions qui permettent de préserver l’essentiel9 si l’exigence de la démilitarisation de l’Ukraine est abandonnée par la Russie lors de la négociation.
Une négociation devrait être engagée rapidement sur ces bases avec la Russie, notamment pour qu’elle n’augmente pas ses exigences en lien avec une éventuelle avancée militaire.
En contrepartie, la Russie :
– Respectera un cessez-le-feu immédiat et se retirera rapidement de l’Ukraine
– S’engagera à ne pas soutenir directement ou indirectement tout mouvement séparatiste et à préserver l’intégrité territoriale de la nouvelle Ukraine
– S’engage à ne pas envahir la Moldavie (voire à évacuer ses troupes de Transnistrie) ni la Géorgie
– Voire retire ses troupes du Bélarus que l’OTAN et l’UE s’engagent à ne pas agresser ni déstabiliser
– Verra les sanctions levées
Enfin, il faudra faire comprendre à la Russie que l’Occident accepte ces conditions parce qu’il est fort et uni et que toute agression contre un membre de l’OTAN entraînera une riposte déterminée. Tout en respectant les codes de communication militaire, l’OTAN pourrait déployer des troupes additionnelles en nombre raisonnable dans les Etats Baltes jusqu’en Roumanie. V. Poutine devra comprendre que la performance de son armée en Ukraine montre qu’il n’est pas de taille à rivaliser contre l’OTAN.
IV-e Un projet de codéveloppement avec la Russie
Il est évident que la sécurité de la Russie a été instrumentalisée dans la crise Ukrainienne. Toutefois, les arrière-pensées occidentales ne sont pas toujours bienveillantes envers la Russie. Une grande discussion sur la sécurité en Europe serait très utile pour éliminer certains malentendus ou, au moins, pour permettre à chacun d’expliciter ses positions.
Le deuxième volet serait économique. La Russie dispose d’un énorme potentiel totalement sous-utilisé. Si V. Poutine veut faire le bonheur de son peuple, le codéveloppement économique avec l’Europe sera beaucoup plus fécond que la fierté fondée sur le nationalisme ou sur la conquête d’un territoire représentant 3% de la superficie du pays.
Enfin, la Russie a une grande culture et de grands artistes.
C’est un peuple Européen qui a beaucoup plus à gagner à une cohabitation pacifique avec l’Europe que dans une alliance déséquilibrée avec la Chine.
IV-f Un projet pour l’Ukraine
Le peuple ukrainien a consenti de très lourds sacrifices, mais il doit comprendre que son héroïsme sera vain face à la puissance militaire russe et que l’aide de l’OTAN restera limitée.
Des relations meilleures entre la Russie et l’Europe contribueront à la sécurité de l’Ukraine.
Sur le plan économique, une aide massive de l’Europe pour la reconstruction et le développement de l’Ukraine doit être mise en place. Si la Russie a peur que cela ne fasse trop pencher l’Ukraine vers l’Europe, elle peut aussi contribuer financièrement à la reconstruction et au développement de l’Ukraine.
V- Conclusions
La guerre en Ukraine est horrible mais elle aura rapidement des effets collatéraux encore plus négatifs. Quasiment tout le monde a intérêt à ce que cette guerre s’arrête le plus tôt possible. Il faut aussi limiter au maximum les programmes d’armement qu’elle va générer et qui rendront notre monde plus dangereux.
Une analyse objective des exigences russes formulées actuellement montre qu’elles ne comportent quasiment pas d’éléments totalement bloquants. Il faut donc que les Ukrainiens, avec ou sans la participation des Occidentaux, engagent des négociations rapidement et de bonne foi en laissant de côté les arrière-pensées et les jugements moraux. Ces négociations, aussi difficiles soient-elles pour les Ukrainiens qui ne sont pas à l’abri de provocations de certains Russes, leur permettront de sauver l’essentiel.
La négociation sera facilitée par la proposition de projets de codéveloppement entre l’Europe et la Russie et entre l’Europe et l’Ukraine. Ceux-ci participeront à l’amélioration de la sécurité en Europe.
Enfin, même si de tels organismes existent déjà, il serait bon de développer des centres d’analyse et de prévention des conflits, lanceurs d’alerte quand des situations conflictuelles s’enveniment.
Michel Cabirol
Président du Comité de liaison des Cercles Condorcet
- Comprendre le monde S5#24 – Hélène Carrère d’Encausse – “Que veut Poutine ?” – YouTube. ↩
- Claude MALHURET : Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat – Engagement de la France au Sahel (independants-senat.fr). Suite à des éléments d’analyse que l’on pourrait accepter sur la Mali, Claude Malhuret, ancien gauchiste converti au libéralisme et au capitalisme financier, se lance dans une tirade paranoïaque et émotionnelle sur la Russie et V.Poutine qui ne peut qu’augmenter l’angoisse et qui vise à empêcher toute réflexion équilibrée et posée. ↩
- Guerre en Ukraine. L’analyse du Général Lalanne-Berdouticq (breizh-info.com). ↩
- Cf l’Article de P. Smolar dans le Monde début mars 2022. Il est à noter que RT Erdogan a suivi un chemin similaire après avoir été déçu par l’UE. ↩
- On peut se demander si certains articles récents dans la presse occidentale sur la santé mentale de V. Poutine ne procèdent pas de ce déni envers la Russie. ↩
- Il avait quand même recadré B. Le Maire pour ses propos irresponsables sur la volonté de déclarer la guerre économique à la Russie et de la mettre à genoux. ↩
- Le constat, qui suit, n’est pas contradictoire avec le profond respect dont ne devons faire preuve pour tous ceux qui manifestent contre l’invasion de l’Ukraine ou qui luttent pour la démocratie. ↩
- Même si la corruption et le chômage sont encore des problèmes majeurs. ↩
- Il ne faut pas transformer la résistance héroïque en suicide. ↩