En France, l’influence économique de l’État était et reste forte, la présente crise de la Covid-19 le confirme. Sur le long terme, les partenariats public-privé ont constitué un moyen de concilier la fonction sociale des services publics et des travaux publics, tout en limitant leurs coûts pour les citoyens1.
Les XIXe et XXe siècles offrent un certain nombre d’exemples de l’utilisation du système de concession dans les services publics, notamment dans les secteurs des transports, de l’énergie et de l’eau. Au cours du XIXe siècle, les chemins de fer, d’abord le réseau principal, soutenu par des intérêts nationaux, puis les autres lignes, défendues par des intérêts locaux, ont été construits avec le soutien d’importants groupes financiers. Plus tard, les mines de charbon, le gaz et l’électricité ont été exploités avec des contributions de grands groupes financiers selon le même modèle. Malgré la nationalisation des chemins de fer (1937), des mines de charbon (1944 et 1946) et de l’électricité et du gaz (1946), le système de concession est resté en vigueur. Il a toujours été utilisé pour le traitement et la distribution de l’eau, et l’est resté pour le gaz et l’électricité même lorsque ce secteur a été entièrement nationalisé.
La nécessité de développer, puis de moderniser les réseaux autoroutiers français (à partir de 1969) et de construire des ouvrages publics coûteux (comme l’Eurotunnel ou le Stade de France), de nombreux services urbains, comme les parkings souterrains, ou des bâtiments administratifs, comme les prisons et les universités, a vu le retour de la concession, combiné avec les pratiques anglo-saxonnes, notamment les BOT (Build Operate Transfer) et les PPP (Public-Private Partnerships)2. En outre, le modèle français de concession a contribué de manière significative au développement international du capitalisme français tout au long du XIXe siècle, comme le montre la construction de la Compagnie du Canal de Suez. D’autres grandes concessions ont été cruciales pour le développement de l’Empire français et de ses colonies. Après la Seconde Guerre mondiale, la concession est restée un système concurrentiel, fournissant le cadre de l’essor ultérieur de groupes multinationaux français, en particulier à partir des années 19903, tels que EDF, GDF-Suez, Veolia Environnement, Vinci et Bouygues.
Ce système à la fois juridique, financier et de gestion a stimulé un « capitalisme de réseau » et permis la participation du capital privé au développement de grands projets d’infrastructure.
Cela a donné aux entreprises françaises un avantage lorsqu’elles se sont internationalisées, plus particulièrement à partir des années 1990. L’article explique d’abord les origines et la signification du système de concession avant d’explorer comment il a facilité l’essor des grands groupes français spécialisés dans la construction et l’exploitation des infrastructures.
Le système français de concession
Le système de concession en France s’est caractérisé par un certain nombre de spécificités, notamment du point de vue juridique4. Dans la période récente, le système de concession a connu un renouveau. Cette nouvelle forme de concession est appelée « délégation de service public ». Elle n’exclut cependant pas le recours aux « contrats de partenariat ».
Concession de services publics et de travaux publics
Il existe deux groupes de concessions dans le modèle français : la concession de services publics et la concession de travaux publics5.
Services publics
Dans le cas français, la difficulté la plus importante vient de l’existence d’une branche spécifique du droit, le droit administratif. Selon ce dernier, il existe deux définitions de l’utilité publique. D’un point de vue matériel, l’utilité publique correspond à un ensemble de moyens humains et matériels mis en place pour réaliser une tâche administrative. D’un point de vue juridictionnel, les services publics se réfèrent à une activité d’intérêt général gérée ou contrôlée par l’administration publique, mais associée à un régime qui relève totalement ou partiellement du droit privé. En conséquence, une entité privée peut fournir des services publics. Depuis le début du XXe siècle, la jurisprudence administrative française a permis que les services publics soient gérés par une entité privée. Il existe quatre grandes façons de gérer les services publics : les louer à une entité qui n’y investit pas, mais les gère simplement ; établir un contrat avec une entité qui reçoit un paiement pour les services ; la gestion directe par l’administration elle-même ou par un agent ; la concession. Parmi ces quatre options, les deux dernières sont les plus courantes. Dans le cas de l’administration directe, les services publics ne sont pas financés par un budget spécifique et ne sont pas gérés dans un but lucratif. Dans les deux derniers cas, l’administration est responsable de la couverture des déficits éventuels.
Dans le cadre du système de concession, une entité publique confie à une entité privée, le concessionnaire, la gestion des services publics avec rémunération, selon un contrat public. Ce contrat définit les spécifications légales et contractuelles. D’un point de vue matériel, le contrat de concession comprend deux documents : une convention, qui explique les aspects généraux du service ; un cahier des charges, qui donne des détails sur l’organisation et le fonctionnement du service. Les services publics sous le régime de la concession restent dans le domaine public. À l’époque contemporaine, une concession est généralement accordée par le biais d’appels d’offres ouverts ou fermés mais, au milieu des années 1950, le système le plus courant était celui de l’adjudication. Néanmoins, en cas de besoin urgent ou en raison de difficultés techniques, l’administration pouvait procéder de gré à gré, par le biais d’un appel d’offres. Dès lors, le concessionnaire peut obtenir une indemnisation si l’administration concédante décide unilatéralement de modifier l’exécution du contrat, ou, si cela est impossible, un nouveau contrat peut être négocié. La concession prend fin avec la résiliation du contrat. La justice administrative française n’accepte pas le renouvellement par tacite reconduction. Mais la concession peut se terminer avant la fin du terme. L’administration concédante peut la racheter par déchéance si le concessionnaire ne respecte pas les règles statutaires ou contractuelles, si l’intérêt général disparaît ou si cette décision est prise par la justice administrative. Il s’agit de grands principes, mais susceptibles d’évoluer et de s’adapter, sous le triple effet des dispositions législatives et réglementaires introduites à l’initiative de l’État, de la jurisprudence et des aléas de la conjoncture, comme le montre l’exemple des concessions autoroutières (vide infra).
Travaux publics
L’administration française dispose de différentes méthodes d’exécution des travaux publics. Dans le cas de la gestion directe, l’administration réalise les travaux en utilisant sa propre main-d’œuvre et ses propres matériaux. Une deuxième méthode consiste à faire appel à un entrepreneur, via un contrat de travaux publics : l’entrepreneur exécute alors les travaux moyennant le paiement d’une rémunération fixe. Une troisième voie est la concession : un contrat de concession implique qu’une entité privée exécutera les travaux publics, tels que la construction, ou la fourniture d’équipements, à charge pour elle de se rémunérer par l’exploitation de l’ouvrage public.
Une vieille tradition qui conduit à des pratiques complexes
La tradition des concessions remonte à environ deux millénaires. Elle s’est développée pendant l’Ancien Régime, et a atteint son apogée au XIXe siècle6. Pendant la période romaine, le droit de la commande publique est devenu la base des contrats de concession. Après une période de déclin, la redécouverte du droit romain a permis un renouveau des pratiques concessionnaires. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les concessions ont été utilisées pour faciliter la construction de canaux et, plus tard, de ponts. Au lendemain de la Révolution française, l’État a refusé de définir la concession par la loi. Par conséquent, sous le Premier Empire français, la Restauration, la Monarchie de Juillet et le Second Empire, le régime de concession n’a été défini que par la jurisprudence du Conseil d’État. Face à la règle dominante de la libre entreprise, le Conseil d’État a établi la notion de service public, qui a joué un rôle essentiel dans le développement des canaux, des chemins de fer, du transport maritime) et du télégraphe et, plus tard, de l’électricité, du pétrole et de l’aéronautique.
Le degré élevé de complexité des problèmes a conduit à l’émergence de solutions tout aussi complexes. Une des raisons en est le développement de nouveaux réseaux et services au niveau national et local et, en même temps, l’acquisition de nouvelles compétences par les départements et les communes, selon les lois de 1871 et 1884. Au cours des années 1880, dans toute l’Europe occidentale en général, et en particulier en France, le mouvement du socialisme municipal a émergé. Avec la Première Guerre mondiale et le début d’une inflation forte et chronique, l’attitude de l’État (et, dans une certaine mesure, des départements et des communes), évolue en faveur de l’administration directe et de la constitution d’entreprises publiques, comme la SNCF (1937), puis EDF et GDF, ou, parfois, d’un modèle mixte (CNR, 1921).
À la fin des années 1930, la concession présente des solutions intéressantes pour résorber les déficits des budgets publics.
En conséquence, le système de concession s’est développé dans deux secteurs dominants : les travaux publics et les services publics.
L’exemple des concessions autoroutières
Au milieu des années 1954, le retard de la France en matière d’autoroutes était flagrant. C’est pourquoi la loi du 18 avril 1955 a autorisé l’État à créer des sociétés concessionnaires pour la construction et l’exploitation d’infrastructures autoroutières7. Il s’agissait de sociétés d’économie mixte ou sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (SEMCA). Le 12 mai 1970, un décret a modifié le statut des autoroutes, qui permettrait de les concéder à des sociétés privées, d’assurer la garantie des emprunts contractés dans le but de les construire et d’alléger les contraintes pesant sur les SEMCA. Néanmoins, entre 1974 et 1982, les deux chocs pétroliers et la contraction du trafic qui en résulta conduisirent les sociétés privées au seuil de la faillite (à l’exception notable de Cofiroute)8. En effet, dans le souci d’éviter toute dérive monétaire, les pouvoirs publics avaient strictement réglementé l’évolution des tarifs autoroutiers. Ceux-ci n’étant pas indexés sur l’évolution du coût de la vie, l’État s’est trouvé contraint d’assumer une partie des risques financiers des sociétés concessionnaires.
Même si un désengagement s’est produit à partir du milieu des années 1980, à ces obligations directement assumées par l’État, sont venues s’ajouter d’autres qui découlent du principe de continuité du service public. Parce que l’autorité de tutelle a la responsabilité d’empêcher toute faillite du système autoroutier, l’État, avec l’appui de la Caisse des dépôts et consignations, a dû racheter les concessions privées, alors confrontées à de graves difficultés financières, et instaurer, en 1982, un mécanisme de solidarité financière, au niveau national, entre les SEMCA, à travers Autoroutes de France (ADF). Dans le but de relancer la politique autoroutière, l’État a cherché à renforcer l’assise financière de ces SEMCA, grâce à l’entrée d’ADF dans leur capital9. Cette dotation en fonds propres a permis d’engager un processus de restructuration. Il a abouti, entre 1999 et 2000, à la création de trois grands groupes régionaux : Autoroutes du Sud de la France (ASF), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APPR) et Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF)10.
Cette restructuration autorise leur privatisation, juste au moment où les autoroutes devenaient rentables : vente de 49 % du capital d’ASF en 2002, privatisation partielle d’APPR en 2004, vente en 2006 du solde de la participation de l’État dans ASF, APPR et SANEF, passées respectivement dans le giron de Vinci, Eiffage et Albertis. Cette privatisation préserve les droits de l’État, habilité à reprendre la concession à son terme11. En 2016, 78 % du réseau autoroutier français était concédé, 22 % restant la propriété directe de l’État. Même si un rapport sénatorial de 2019 a dénoncé une progression des péages très supérieure à l’inflation12, il est clair que l’état du réseau concédé est bien meilleur que celui du réseau non concédé13. Contraints à se rembourser de leurs investissements sur la durée de la concession, les concessionnaires privés ont non seulement assuré leur équilibre financier, mais aussi largement investi tant dans l’aménagement (10 milliards d’euros de 2007 à 2015) que dans l’extension (6 milliards entre les mêmes dates)14. De plus, les gains pour le contribuable ont été significatifs, grâce à une réduction des coûts de construction (- 14 % de 2005 à 2016) et d’exploitation (- 29 % au cours de la même période)15.
Premier secteur privilégié : les travaux publics16
Au cours du XIXe siècle, la concession de travaux publics était très courante. En fait, l’administration préférait ne pas exécuter directement les plus gros investissements de base. Cela est devenu particulièrement évident avec l’échec du plan Freycinet, après lequel la concession a été largement adoptée17. Néanmoins, comme le concessionnaire devait construire, puis exploiter les ouvrages publics, les concessions de travaux publics étaient de plus en plus liées à celles de services publics, bien qu’une distinction ait subsisté entre les deux concepts. Au cours de la première partie du XXe siècle, la concession de service public en est venue à absorber peu à peu celle de travaux publics.
La concession : un moyen efficace d’optimiser les dépenses publiques18
La concession de travaux publics a été relancée après la Seconde Guerre mondiale. Avec la loi du 18 avril 1955 par exemple, l’Étata concédé la construction et l’exploitation des autoroutes à des organismes publics et à des entreprises qui étaient financés par un mélange de capitaux publics et privés, qui seraient autorisés à percevoir des péages. Suite à la loi du 12 mai 1970, l’État a autorisé des entreprises privées à bénéficier de concessions d’autoroutes. Les mêmes solutions ont été adoptées pour la construction du pont de Tancarville sur la Seine (loi du 17 mai 1951), et pour le creusement du tunnel sous le Mont-Blanc entre 1965 et 1971. L’administration choisit un concessionnaire basé soit en France, soit dans un autre État membre de la Communauté européenne, mais le concessionnaire doit appliquer les règles définies par l’administration française (comme les tarifs à payer par les usagers). En contrepartie, le concessionnaire a droit à une compensation lorsque ces règles ne permettent pas d’obtenir un résultat financier positif de la concession. Le concessionnaire a d’autres droits, notamment celui d’exproprier et de bénéficier du privilège d’exploitation. En revanche, l’administration concédante peut exercer un droit de contrôle, mais pas de gérer directement le service. Elle a le pouvoir d’imposer un changement unilatéral et une action disciplinaire (saisie, voire confiscation) au concessionnaire.
Plus récemment, la concession de travaux publics a été adoptée pour la réalisation de nombreux grands travaux publics, tant en France qu’à l’étranger.
Parmi les projets réalisés à l’étranger, on peut citer la construction de deux ponts sur le fleuve Humber au Royaume-Uni, le pont de la Confédération au Canada et le Vasco de Gama sur le Tage. En France, cette méthode a été utilisée pour la construction du Stade de France à Saint-Denis et du viaduc de Millau. Ainsi, la concession constitue un moyen efficace d’optimiser les dépenses publiques, notamment pour les services publics urbains, tout en constituant un instrument utile pour le développement des pays émergents.
La concession comme instrument de croissance dans les pays développés et en développement
Cette concession est le résultat d’une vieille tradition de travaux publics français à l’étranger, notamment entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle19. Sous le Second Empire, les Rothschild et les Pereire se sont affrontés pour obtenir les plus grandes concessions de réseaux ferroviaires. Sous le régime de la concession, Ferdinand de Lesseps a creusé le canal de Suez, de 1854 à 1869. Le système de la concession a été utilisé pour fournir des équipements à l’Empire colonial français. Les entrepreneurs français, comme la Société de Construction des Batignolles à Tunis ou Hildevert Hersent à Bizerte ou Dakar, y ont construit des ports et des chemins de fer. Plus tard, au début du XXe siècle, les entrepreneurs français se sont fortement internationalisés grâce au système des concessions.
Un tournant important s’est produit en 1902 avec la concession à H. Hersent et Henri Schneider du port de Rosario, principal exportateur du blé de la Pampa argentine vers l’Europe. À partir de cette date, en Amérique du Sud, la plupart des infrastructures portuaires sont construites sous le régime de la concession par des entrepreneurs français. C’est aussi le cas en Chine pour les chemins de fer (souvent en coopération avec leurs homologues belges), ainsi qu’en Russie, pour les ports, les chemins de fer et l’électricité.
C’est encore le cas en Europe occidentale. Un bon exemple est la concession du port de Lisbonne aux frères Hersent, Jean et Georges, de 1899 à 1921. Des entrepreneurs français conduisent alors de grands projets à l’étranger, à l’instar des Grands Travaux de Marseille, de la Société Générale d’Entreprises et des frères Fougerolle dans tout l’empire russe et ottoman. Le bassin méditerranéen devient une zone de développement privilégiée pour les concessionnaires français, notamment l’Égypte, la Syrie et la Grèce. La Société des Chemins de Fer helléniques, concessionnaire de la ligne ferroviaire du Pirée à Salonique, joue ainsi un rôle décisif pendant la Première Guerre mondiale au profit des pays alliés. Dans ce cas, comme souvent, le régime de la concession a bénéficié aux pays en développement.
Deux leaders mondiaux français contemporains : Vinci et Bouygues
Retrouvant leur dynamisme du début du siècle, les entreprises françaises se sont imposées progressivement des années 1950 aux années 1980, comme des leaders mondiaux dans le secteur du génie civil et de la construction20. Cette situation s’est maintenue jusqu’en 2009, lorsque deux entreprises chinoises, China Railways Construction et China Railways Group, sont devenues les deux premiers acteurs sur le marché mondial21. Bouygues s’était imposé comme le leader mondial en 1987, après sa fusion avec SCREG ; en 2004, Vinci a succédé à Bouygues en tant que numéro un. En 2009, Vinci se classe encore troisième, Bouygues quatrième. En 2017, Vinci demeure cinquième, derrière quatre géants chinois, et Bouygues, huitième, juste derrière l’Espagnol ACS, septième, le numéro 6 étant chinois lui aussi.
Vinci
Le groupe Vinci est le résultat de la fusion des deux plus prestigieuses entreprises françaises de génie civil : la Société Générale d’Entreprises (SGE), créée en 1899, et la Société des Grands Travaux de Marseille (GTM), fondée en 189122. Après la Première Guerre mondiale, les deux entreprises ont été souvent rivales, mais aussi, fréquemment, partenaires. En dépit de la spécificité de leurs modèles de croissance respectifs, elles ont convergé en matière de gouvernance d’entreprise, de structure du capital et de gestion des ressources humaines. Cela a facilité leur fusion, en 2000, donnant naissance, à l’initiative de SGE, à un leader mondial, Vinci.
En 1945, SGE est l’une des principales entreprises de génie civil en France et la société mère de la quatrième plus importante compagnie d’électricité française. La nationalisation de l’industrie électrique, en 1946, prive l’entreprise de ses filiales les plus prospères. La SGE relève le défi et, combinant croissance interne et croissance externe, s’impose, entre 1946 et 1966, comme le leader français de la construction et le troisième acteur de la CEE. Devenue filiale de la Compagnie Générale d’Électricité de 1967 à 1983, puis de Saint-Gobain, entre 1983 et 1987, SGE se renforce grâce à une succession de fusions, avec Sainrapt et Brice (1979), SOBEA, la plus importante filiale de Saint-Gobain dans le secteur de la construction (1986), puis Campenon Bernard, le leader mondial du béton précontraint (1988), complétée par un certain nombre d’opérations de rachat. En 1999, le nouveau groupe SGE s’impose comme un leader européen dans le domaine de la construction et du génie civil, avec des positions fortes en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Europe de l’Est, notamment grâce à de grands ouvrages exécutés en concession (pont Vasco de Gama sur le Tage).
GTM a été le leader français dans le secteur de la construction entre 1907 et 1939. En 1945, la société apparaît en moins bonne position que SGE, en raison de sa collaboration avec des entreprises allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré son alliance avec la Compagnie Française Thomson-Houston, GTM ne bénéficie pas des mêmes atouts que SGE dans le secteur de l’énergie électrique. Cependant GTM apporte une contribution majeure à la reconstruction de la France de l’après-guerre. Plus orientée vers l’exportation que SGE, la Société des GTM réalise une spectaculaire percée à l’étranger, notamment en Argentine, au Brésil et au Canada. Elle développe avec succès son activité de béton précontraint, s’impose dans le secteur de l’énergie nucléaire et dans les installations off-shore, avec la création par GTM et Entrepose d’une importante filiale commune, Entrepose pour les Travaux Publics et Maritimes (ETPM). Transformée en holding en 1968, GTM joue un rôle pionnier dans le domaine des concessions de parkings souterrains et de concessions autoroutières, et fonde Cofiroute, grâce à une alliance avec l’Entreprise Jean Lefebvre, numéro trois français des travaux routiers. En 1981, face au second choc pétrolier, GTM et Entrepose fusionnent en une nouvelle société : GTM Entrepose.
En 1986, GTM Entrepose passe sous le contrôle de Dumez, l’un de ses principaux concurrents. Premier exportateur français dans le secteur du génie civil, Dumez fusionne ensuite, en 1990, avec la Lyonnaise des Eaux, pour former la Lyonnaise des Eaux-Dumez. Par la suite, GTM-Entrepose devient une filiale du nouveau groupe. En raison de la diversification chaotique du groupe Dumez et de ses pertes consécutives, GTM retrouve rapidement son indépendance. En 1993, Dumez devient même une filiale de GTM Entrepose, puis du Groupe GTM (1998). Se désengageant alors de ses activités immobilières et pétrolières, GTM affirme son leadership dans l’exploitation de concessions : parkings souterrains, routes et autoroutes, grands ouvrages d’art (pont de Rion Antirion ) et aéroports (Pékin).
L’un des enjeux majeurs de la fusion SGE-GTM réside dans la séparation des deux sociétés mères : la Compagnie Générale des Eaux (alors Vivendi), pour SGE, et Suez Lyonnaise des Eaux, pour GTM. C’est un succès : à partir de 2001, le groupe Vinci internationalise son capital. Sans abandonner le secteur de la construction, le groupe se renforce dans le secteur des concessions : parkings souterrains, autoroutes, ports et aéroports (Chine, Mexique), mais aussi des ouvrages publics (Stade de France, ponts sur la Humber et de la Confédération, etc.). Consolidé par des opérations de croissance externe réussies (Solétanche, Taylor Woodrow Construction, Entrepose Contracting, Cégelec et, en 2006, Autoroutes du Sud de la France), le groupe emploie, en 2018, quelque 211 000 personnes dans plus d’une centaine de pays (tandis que Bouygues en emploie 129 000 dans 93 pays). Aujourd’hui, Vinci finance, conçoit, construit et gère des installations. En 2018, les concessions constituaient le secteur d’activité le plus rentable de Vinci : 68,6 % de son résultat opérationnel et 72 % de son EBITDA pour 16,2 % de son chiffre d’affaires. En 2018, les concessions d’activités ont été principalement réalisées en France (80 % des recettes), avec une activité non négligeable au Portugal (11 %) et aux Amériques (4 %). Sur cette base, Vinci a réalisé un taux de profit opérationnel de 11,5 % en 2018, ce qui est supérieur à celui de Bouygues, son plus important concurrent national (qui fait 8,6 %).
Bouygues23
En 2018, le ratio EBITDA/chiffre d’affaires de Bouygues a atteint 8,8 % contre 15,9 % pour Vinci. Le groupe Bouygues est resté un groupe rentable, malgré la poursuite d’une stratégie très différente. En termes de contribution par domaine d’activité, la performancede Bouygues diffère de celle du groupe Vinci : les services publics (TF1, Bouygues Telecom) représentaient, en 2018, 21,4 % du chiffre d’affaires pour 41,5 % des résultats d’exploitation. Cela n’a pas toujours été le cas. Fin 2003, les services publics représentaient 11,2 % du chiffre d’affaires de Bouygues et 10,5 % dans le cas du groupe Vinci.
C’était la conséquence du rachat du groupe SAUR en 1983. En se diversifiant, la stratégie de Francis Bouygues a été de s’assurer des revenus réguliers et stables. En 1983, il a échoué dans sa tentative d’obtenir une participation majoritaire dans la Lyonnaise des Eaux, puis dans la Générale des Eaux. Après ces deux échecs, Bouygues a concentré son intérêt sur la Société d’Aménagement Urbain et Rural (SAUR), spécialisée dans la production, le traitement et la distribution d’eau potable, qui fournit des services d’exploitation et de gestion des services publics aux municipalités. Fondée en 1933, la SAUR a connu un développement important au cours des années 1960 (Nîmes, Côte d’Ivoire). Dans les années 1970, elle poursuit son expansion africaine (Congo, Guinée, Mali, Sénégal et Zaïre). En 1982, SAUR s’implante au Canada. En 1983, SAUR constitue le troisième groupe français du secteur de l’eau et de l’assainissement urbain, après la Compagnie Générale des Eaux (numéro un) et la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage, avec une croissance plus rapide que ses deux principaux concurrents au cours des années 1980.
Son entrée dans le groupe Bouygues marque le début d’une phase de croissance rapide, au détriment de ses deux principaux concurrents français. Elle a développé des activités d’ingénierie et obtenu de nouveaux contrats avec des municipalités françaises. Elle diversifie son activité en France : création de Coved (assainissement), de Stereau (traitement de l’eau). Elle a obtenu des contrats de construction pour un nombre important d’usines. À l’étranger, plusieurs filiales ont été créées : Sodeca (Guinée), Gestagna (Espagne), Ecovert, puis SAUR UK (Royaume-Uni) et SNG (Pologne). Grâce à SAUR, Bouygues hérite aussi de l’Entreprise de Travaux d’Équipements Électriques. Néanmoins, la diversification la plus spectaculaire concerne le domaine des télécommunications.
Au cours des années 1993-1998, SAUR connaît une croissance rapide. De 10 % des ventes de Bouygues en 1993, sa part passe à près de 15 % entre 1995 et 1998. Cette évolution résulte en partie d’une fusion avec la Cise, l’un de ses concurrents, cédé par le groupe Saint Gobain en 1995. Mais, à partir de 1999, les ventes de SAUR chutent. Face à la concurrence de Veolia Environnement et de la Lyonnaise des Eaux, Bouygues renonce à poursuivre ses activités sur les marchés de l’eau et de l’assainissement. Surtout, il lui faut investir massivement dans la nouvelle filiale de télécommunications, Bouygues Telecom. En conséquence, en février 2005, Bouygues vend ses actions de SAUR à PAI partners. Bouygues n’est plus en concurrence avec Suez Environnement, Veolia Environnement ou Vinci dans le secteur des services publics.
Second secteur privilégié : les services publics
Dans la tradition française, il existe depuis longtemps un lien fort entre les travaux publics et les services d’utilité publique et, par conséquent, entre les deux formes de concession24. L’expérience de Bouygues n’a pas fait exception à la règle : GTM, Société de Construction des Batignolles et SGE ont été intéressées, à des époques différentes, par l’obtention de concessions d’eau. En fait, la concession des services publics constituait un instrument important de l’aménagement urbain.
Les services publics comme instrument d’aménagement urbain
Au sein des grandes branches des services publics urbains, on observe trois grandes tendances en matière de gestion : prépondérance des opérateurs privés dans le domaine de l’eau et des déchets urbains, prépondérance des opérateurs publics dans les réseaux d’énergie et situation plus complexe dans les transports urbains25.
Quatre branches dominantes
Les services publics urbains sont divisés en quatre grandes branches : réseaux de distribution d’énergie ; distribution et collecte d’eau ; collecte, traitement et valorisation des déchets ; services de transport et de stationnement. Au cours de la période récente, ces services se sont développés à des rythmes inégaux en raison des besoins et des demandes des citoyens. Les déchets urbains ont constitué, au cours de la période récente, la plus dynamique des quatre branches. En revanche, la valeur ajoutée y a augmenté plus lentement que les ventes. En termes de ventes uniquement, la branche la plus importante reste la distribution d’énergie, devant la distribution d’eau et les transports collectifs. La faiblesse des charges d’amortissement (dans l’eau et les déchets urbains) et les éventuels gains de productivité du travail (dans les déchets urbains) ou, du moins, leur stabilité (dans la distribution d’eau) ont favorisé un intérêt constant de la part des entreprises privées pour ces deux branches.
Eau et déchets urbains : deux branches attrayantes pour les capitaux privés
La distribution de l’eau constitue le cas le plus réussi du modèle français de capitalisme concessionnaire, avec les exemples de la Compagnie Générale des Eaux et de la Lyonnaise des Eaux. En ce qui concerne le traitement et la distribution de l’eau, la domination privée est, depuis longtemps évidente. Mais, à partir de 1997, le poids relatif des opérateurs privés a aussi augmenté dans le domaine de l’épuration et du filtrage. L’eau constitue un bon exemple d’oligopole étroit : environ 70 % du marché est contrôlé par les trois groupes les plus importants : près de 40 % par Veolia Eau, filiale du groupe Veolia Environnement ; un peu plus de 20 % par la Lyonnaise des Eaux France, filiale de Suez-Ondéo, une grande succursale de Suez Environnement ; environ 10 % par SAUR France, filiale de SAUR. La position des opérateurs publics est restée stable et significative, représentant près d’un tiers du marché. Les déchets urbains constituaient une deuxième branche attractive pour les investisseurs privés, qui dominent complètement dans le traitement et la valorisation, même dans les secteurs où l’activité des opérateurs publics est en augmentation. Les opérateurs privés y sont en général des filiales de trois grands groupes de distribution d’eau : Veolia Propreté, filiale de Veolia Environnement, SITA, filiale de Suez Environnement et Coved, filiale de SAUR.
Deux modèles historiques : Générale des Eaux et Lyonnaise des Eaux
La concurrence entre Veolia Environnement et Suez Environnement traduit l’opposition de deux modèles historiques de développement26.
Générale des Eaux : un leader dans les services publics de l’eau
La Compagnie Générale des Eaux a été fondée sous le Second Empire le 24 décembre 1853. Sa fondation est en partie financée par les apports de capitaux français et britanniques autour du comte Henri Siméon (1803-1874), ancien préfet et directeur général au ministère français des Finances. Soutenue par la Haute Banque et la Banque de France, la société a deux objectifs : irriguer les campagnes françaises et approvisionner les villes en eau. Les directeurs de Siméon et de la Générale des Eaux souhaitent obtenir la concession de la distribution d’eau de Paris, avec un statut d’entreprise publique. Pour cette raison, ils font inscrire la société à la Bourse de Paris en 1854 comme entreprise nationale et internationale.
Il s’avère impossible d’obtenir une concession à Paris. Ce n’est qu’en 1860 qu’un statut de gestion du service public de l’eau est créé. En contrepartie, la Compagnie Générale des Eaux acquiert, en 1853 et 1854, de nombreuses concessions importantes dans la banlieue de Paris, à Nantes et, surtout, à Lyon. En raison de ses bons résultats, en 1867, l’État autorise la Compagnie à développer ses activités en banlieue parisienne. Sous le Second Empire, l’entreprise s’installe dans le Sud-est de la France. En 1879, le successeur du comte Siméon, Sir Edward Blount (1830-1900), banquier catholique britannique, crée une deuxième société publique, la Compagnie Générale des Eaux pour l’Étranger. La CGEE se développe rapidement, obtenant de nombreuses concessions étrangères (Venise 1880, Constantinople 1883, et Porto, 1883). En 1884, la CGE diversifie ses compétences vers le traitement des eaux usées. En 1889, la société ouvre un laboratoire central à Paris. Le résultat le plus important de ce laboratoire est le remplacement du chlore par l’ozone gazeux dans la filtration et la stérilisation de l’eau.
Malgré les difficultés de la Première Guerre mondiale, CGE se relance entre les deux guerres, grâce à une coopération locale avec la Lyonnaise des Eaux, à l’acquisition de nouvelles concessions en Champagne, dans le Nord et en Normandie, et à la création de deux filiales spécialisées dans les travaux publics. Ainsi, la société est bien positionnée pour résister au contexte économique difficile des années 1930 et de la Seconde Guerre mondiale. La direction reste prudente et même conservatrice. Deux dirigeants principaux se sont succédé : Georges Huvelin (1907-1976), directeur général en 1952, puis président en 1972, et son successeur, Guy Dejouany (1901-2011).
Sous leur direction respective, la Générale des Eaux devient un groupe puissant. À partir de 1956, la CGE prend une participation dans le capital d’un grand entrepreneur français, Campenon Bernard. En 1966, la Générale des Eaux devient le deuxième actionnaire le plus important après la Banque de l’Union Parisienne, puis Paribas. C’est le début d’une conquête de leadership dans le secteur de la construction entre cette entreprise et Bouygues. La Générale des Eaux s’intéresse aussi à la distribution d’énergie (rachat de la Compagnie Générale des Chauffe en 1967, puis création de Dalkia en 1998), aux déchets urbains (création d’Onyx en 1989 par la fusion d’un groupe de sociétés spécialisées) et à la conquête des marchés étrangers (rachat d’US Filter aux États-Unis et de FCC en Espagne, respectivement en 1990 et 1998).
À partir de 1984, la Générale des Eaux se diversifie dans la télévision (Canal+ 1984), puis dans les télécommunications (SFR 1998). En 1996, Jean-Marie Messier succède à Guy Dejouany en tant que PDG. Il veut constituer un leader mondial des médias et de la communication. Ainsi, la Compagnie Générale des Eaux devient Vivendi (1998). Malgré l’acquisition de Havas (1998) et une alliance avec Mannesmann contre Vodafone (1999), la nouvelle stratégie se traduit par une succession d’échecs. La société entre en concurrence avec la Lyonnaise des Eaux et Suez (1997) pour le rachat du groupe canadien Seagram afin de contrôler Universal (2000). Puis, Vivendi fusionne avec Seagram et Canal Plus (2000). Ces activités constituent une diversification excessive et dangereuse. En 2002, le nouveau groupe Vivendi Universal annonce des pertes énormes (13,6 milliards d’euros).
Une nouvelle histoire commence avec l’indépendance de Vinci et de Vivendi Environnement. À partir de 1999, Vivendi fusionne toutes ses activités liées aux services environnementaux : Vivendi Water, Onyx (assainissement), Dalkia (services énergétiques) et Connex (transports collectifs). La nouvelle société, Vivendi Environnement, est cotée à la Bourse de Paris (juillet 2000), puis au NYSE (octobre 2001). La même année, en 2000, Vivendi Environnement conclut une alliance avec EDF. Rapidement, l’entreprise a acquis son indépendance financière, devenant Veolia Environnement à partir de 2003.
Lyonnaise des Eaux : un groupe mondial de services d’énergie et de développement durable
Fondée à l’initiative du Crédit Lyonnais, en février 1880, la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage (SLEE) devient rapidement le premier rival de la Générale des Eaux. La SLEE obtient bon nombre de concessions importantes en France, dont celles de Toulon (1884), Dunkerque (1892) et Bordeaux (1906), mais aussi à l’étranger, notamment en Espagne (Société des Eaux de Barcelone, 1892) et au Maroc (Société Marocaine de Gaz et d’Électricité, 1914). Dans le même temps, la Lyonnaise des Eaux joue un rôle majeur dans le développement de l’industrie gazière et dans le processus d’électrification du territoire français. Sous la direction d’Albert Petsche (1860-1933), puis d’Ernest Mercier (1878-1955), la SLEE alterne croissance interne et externe : dans le secteur du gaz, fusions avec la Compagnie Française du Centre et du Midi (1914), l’Union des Gaz (1929) et la Compagnie Gazière Européenne (1935) ; et dans le secteur de l’électricité, constitution de l’Union d’Électricité (1919), de l’Union Financière pour l’Industrie et l’Électricité (UNIE, 1930) et de l’Union Électrique de l’Outre-mer (UNELCO, 1935).
La nationalisation des industries du gaz et de l’électricité en France oblige l’entreprise à réviser sa stratégie. Devenue Société Lyonnaise des Eaux, elle se diversifie dans d’autres secteurs, tels que les travaux électriques (Forclum 1947, Trindel 1972), l’équipement des pipelines (COFOR, 1957), les travaux routiers (Cochery, 1947) et la construction (Maisons Phénix, 1961). Toujours bien implantée sur le marché de la distribution d’eau, grâce au laboratoire central du Pecq (1933), en Île-de-France, la Lyonnaise des Eaux prend le contrôle, en 1972, de Degrémont, leader mondial de l’ingénierie du traitement de l’eau, et participe à la SITA, société en charge du traitement des déchets urbains. Entre 1967 et 1974, le Crédit Lyonnais cède le contrôle de la Lyonnaise des Eaux à la Compagnie de Suez, dont il devient le principal actionnaire. En 1980, Jérôme Monod (1930-2016) accède aux fonctions de président-directeur général de la Lyonnaise des Eaux. Ancien directeur général de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et secrétaire général du RPR, Monod adopte une stratégie efficace qui consiste à réduire les participations dans les activités cycliques (construction et immobilier avec GTM et Dumez) et à développer les activités de services : communication (création de M6, chaîne de télévision) et environnement (rachat d’Elyo, 1994).
En 1997, Monod convainc Gérard Mestrallet, PDG de la Compagnie Financière de Suez, de fusionner leurs deux groupes. Se constitue ainsi le deuxième groupe français le plus important de l’époque. En conséquence, Suez réalise d’importantes cessions dans la construction (Vinci), la télévision (TPS 2002, Paris Première 2003, M6 2004) et les télécommunications (Noos). Le groupe renforce ses positions stratégiques dans le secteur de l’environnement, notamment par le rachat de SITA (1998), l’acquisition de United Water (États-Unis, 1999), la création de Suez Environnement après une fusion entre Degrémont, Ondéo et SITA, et une offre publique d’achat d’Agbar (Espagne, 2008). Les plus grands succès sont obtenus dans le secteur de l’énergie avec le rachat d’Electrabel (Suez-Tractebel 2003) et, surtout, la fusion de Suez-GDF, principal concurrent d’EDF dans le secteur énergétique européen.
« L’essor des entreprises urbaines et d’un marché des infrastructures »
La montée de puissantes sociétés urbaines spécialisées dans les infrastructures et les services publics, constitue une caractéristique majeure de notre époque27. Elle résulte de la place croissante des villes dans le capitalisme contemporain et du développement de réseaux techniques complexes. Le système juridique français stimule le « capitalisme de réseau », basé sur la participation de capitaux privés dans le développement de grands projets d’infrastructures. Cela a donné un avantage particulier aux entreprises françaises lorsqu’elles se sont internationalisées, plus particulièrement à partir des années 1990.
Il est possible d’identifier sept grands types d’acteurs dans les infrastructures urbaines : les opérateurs d’eau (généralement publics), les opérateurs de traitement des déchets (également, principalement publics), l’électricité, l’ingénierie, les constructeurs, les producteurs de biens d’équipement et, surtout, les grands groupes multi-services tels que RWE et E.ON en Allemagne, Enel en Italie, Mitsui et Mitsubishi au Japon ou Cheung Kong Holdings en Chine (Hong Kong).
La France a produit quatre groupes importants dans cette dernière catégorie : Bouygues, Vinci, Veolia Environnement et GDF-Suez.
Comme leurs concurrents mondiaux, ces entreprises françaises concluent des contrats à long terme, condition nécessaire pour obtenir des bénéfices suffisants. Malgré des défaillances évidentes, par exemple, dans les réseaux de communication, la compétitivité mondiale de ces groupes français résulte d’une longue tradition d’intérêt de la part des ingénieurs pour les systèmes de réseaux (Ponts et Chaussées, Centrale Paris), les questions relatives à l’énergie (Mines), mais aussi de l’intervention de banques françaises comme Suez ou Paribas. La constitution de Suez en offre un bon exemple, car résultant du rachat de la Société Générale de Belgique (1988), de la fusion Suez-Lyonnaise des Eaux (1997), puis de la fusion de GDF-Suez.
Dominique Barjot
Professeur émérite d’histoire économique moderne et contemporaine
Université Paris Sorbonne
Académie des Sciences d’Outre-Mer
- Dominique Barjot, “Public utilities and private initiative: The French concession model in historical perspective”, Business History Society, vol. 53, n°5, August 2011, p. 782-800. ↩
- Xavier Bezançon, 2000 ans d’histoire du partenariat public-privé pour la réalisation des équipements et services collectifs, Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, 2004. ↩
- Dominique Barjot, Les travaux publics de France : un siècle d’entrepreneurs et d’entreprises. 1883-1992, Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, 1993. ↩
- Dominique Barjot, “Public utilities and private initiative: the French concession model in historical perspective”, in Cardoso de Matos (Anna), Pinheiro (Magda), História, Património e Infraestruturas do Caminho de Ferro : Vosões dio Passado e Perspevitas do Futuro, Lisboa, CEHC IUL, Cidehus, 2014, p. 17-44. ↩
- Xavier Bezançon, Les services publics en France, vol. 1 – Les services publics en France du Moyen-Âge à la Révolution ; vol. 2 – Les services publics en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale, Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, 2004. ↩
- Xavier Bezançon, Essai sur les contrats de travaux et de services publics ; contribution à l’histoire administrative de la délégation de mission publique, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1999. ↩
- Bruno George, « Histoire de la concession autoroutière en France. Structure financière », Revue d’économie financière, hors-série 1991, Caisse des dépôts et consignations, p. 212-213. ↩
- Bruno George, « Histoire de la concession autoroutière en France. Structure financière », op. cit., p. 219-220.. ↩
- Hervé Mariton, Rapport d’information déposé en application de l’article 146 du Règlement par la Commission des finances, de l’économie générale et du plan, sur la valorisation du patrimoine autoroutier, n° 2047, Assemblée nationale, 22 juin 2005,
p. 13-14. ↩ - Hervé Mariton, Rapport d’information sur la valorisation du patrimoine autoroutier, op. cit., p. 12-18. ↩
- La Concession d’autoroutes, une mission de service public, AFSA, 2016. ↩
- Guillaume Gontard, Rapport n° 336 (2018-2019) au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, Sénat, 20 février 2019, http://www.senat.fr/rap/l18-336/l18-336_mono.html. ↩
- Au-delà du TRI. Le modèle vertueux des concessions d’autoroutes, Monitor Deloitte, mars 2017, https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/fr/Documents/strategy/deloitte_concessions-autoroutes.pdf, p. 6. ↩
- Ibidem, p. 9. ↩
- Ibid, p. 15. ↩
- Dominique Barjot, La Grande Entreprise Française de Travaux Publics (1883-1974), Paris, Economica, 2006. ↩
- Engagé en 1879, le Plan Freycinet est un grand programme de travaux publics visant à relancer l’économie française par la dépense publique (chemins de fer d’intérêt secondaire, canaux et ports). Bon exemple de relance keynésienne par l’investissement, il est abandonné dès 1883, en raison de l’endettement excessif de l’État. Son arrêt coïncide avec le début d’une crise économique mondiale. Il est généralement admis que son arrêt brutal déclenche la crise, crise qu’il a sans doute préparé en mettant en cause l’équilibre budgétaire, en provoquant un krach bancaire de grande ampleur et la confiance des marchés internationaux. Sur ce plan, voir notamment Dominique Barjot, L’Économie française au XIXe siècle, Paris, Nathan, 1995, p.100-104. ↩
- Claude Martinand (dir.), L’expérience française du financement privé des équipements publics, Paris, Economica, 1993. ↩
- Dominique Barjot, Sylvain Petitet et Denis Varaschin (dir.), « La concession, outil de développement », Entreprises et Histoire, 31, 2002. ↩
- Dominique Barjot (ed.), “The Construction Industry in the 20th Century: an International Interfirm Comparison”, Revue Française d’histoire économique – The French Economic History Review, n°1, 2014. ↩
- Dominique Barjot, “Why was the world construction industry dominated by European leaders?” The development of the largest European firms from the late 19th to the early 21st centuries”, Construction History International Journal of the Construction History Society, vol. 28, n°3, 2013, p. 89-114. ↩
- Dominique Barjot, La trace des bâtisseurs : histoire du Groupe Vinci, Paris, Vinci, 2003. ↩
- Dominique Barjot, Bouygues. Les ressorts d’un destin entrepreneurial, Paris, Economica, 2013. ↩
- Xavier Bezançon, Les services publics en France…, op. cit. ↩
- Dominique Barjot et Marie-françoise Berneron-Couvenhes (dir..), « Concession et optimisation des investissements publics », Entreprises et Histoire, 38, 2005. ↩
- LDominique Barjot, “Public utilities and private initiative: The French concession model in historical perspective”, Business History Society, op. cit. ↩
- Dominique Lorrain (dir.), « Les grands groupes et la ville », Entreprises et Histoire, 30, 2002. ↩