Lors de sa visite à l’OCDE, Teodoro Ribera, ministre des Affaires étrangères chilien, a accordé une interview à la Revue Politique et Parlementaire. L’homme politique est revenu sur les crises dans le monde, notamment sur les objectifs du Chili dans les prochains mois. Interview exclusive.
Revue Politique et Parlementaire – Quel regard portez-vous sur les crises dans le monde, notamment en Amérique du Sud ?
Teodoro Ribera – Il y a un mécontentement social dans le monde, c’est évident. Dans chaque pays, il y a différentes causes. Dans certains pays, c’est dû au fait qu’il n’y a pas assez de participation citoyenne ou parce qu’il n’y pas un vrai modèle de démocratie. Dans d’autres, c’est probablement parce que le développement économique n’est pas suffisant pour stabiliser la situation sociale. Dans le cas du Chili, c’est une crise de la postmodernité. Il y a un groupe de personnes qui se manifestent sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas de leader ou d’orateurs qui convoquent les manifestations. Il y a de multiples facteurs pour expliquer une crise, mais il n’existe pas une seule explication. Les crises dans le monde sont difficiles à anticiper. Aucune autorité politique n’aurait imaginer qu’il y aurait une crise sociale au Chili. Nous ne connaissons pas de crise politique. Le système législatif et judiciaire continue de fonctionner sans aucun problème. Bien que le Chili ait la meilleure croissance économique d’Amérique latine et le meilleur indicateur concernant le niveau de vie, ce n’est pas suffisant pour éviter une crise sociale.
Nous devons améliorer le quotidien des citoyens.
Nous en sommes conscients.
RPP – En France, il y a également une crise avec les « gilets jaunes » et les grèves contre la réforme des retraites. Au regard des différentes crises, peut-on parler d’une volonté de changement ?
Teodoro Ribera – Si on regarde bien, cette crise de la postmodernité n’a pas une seule explication. Au Chili, la nouvelle génération a le meilleur bilan socio-économique de l’histoire, cependant il y a des peurs concernant l’avenir, notamment sur les retraites. Le gouvernement applique les réformes du programme présidentiel et cela peut déplaire à certaines personnes. Une partie de la population a peur du changement et c’est légitime. Certains voient leurs revenus baissés ou leurs retraites diminuer, il y a des inquiétudes. L’Etat et les entreprises vont être obligés de changer d’attitude et de se montrer rassurant avec la population. Au Chili, il y a une demande de respect de la dignité humaine.
RPP – Quels sont les objectifs du Chili en 2020 à l’international ?
Teodoro Ribera – Notre pays a ses structures intactes.
Le Chili est très attractif pour les investissements étrangers.
C’est un pays très ouvert d’esprit. Nous faisons partie de l’Organisation mondiale du commerce. Dans cette mondialisation, nous devons consolider nos marchés et en découvrir de nouveaux. Nous sommes en train de renouveler notre traité stratégique avec l’Union européenne. Nous examinons également de nouvelles alliances en Asie comme en Europe. Par exemple, les Émirats Arabes Unis sont intéressés par les produits agricoles. L’agriculture est une atout de notre pays. Pour 2020, notre premier objectif est de continuer avec le multilatéralime effectif, où nous avons une vision similaire à celle de l’Allemagne et de la France. Le deuxième objectif est de promouvoir toutes les organisations qui défendent les valeurs fondamentales des droits humains.
RPP – Quels sont les intérêts communs avec la France ?
Teodoro Ribera – Nous avons différents intérêts communs avec la France, notamment l’environnement. Nous avons une frontière ouverte sur l’Oceanie avec la nouvelle Polynésie. Cette dernière pourrait avoir une meilleure ouverture sur le marché sud-américain. Le développement scientifique est également un intérêt commun, surtout concernant les recherches sur l’Antarctique. Même si le Chili ne produit que 0,25 % de la pollution mondiale, ça nous affecte aussi. Je pense qu’il est important de défendre les Accords de Paris et de trouver de nouveaux partenaires. Il faut sensibiliser les pays qui polluent le plus. En fait, je crois que la France et le Chili ont plus qu’une relation conjoncturelle en commun, ils ont une vision stratégique commune.
RPP – Certains économistes parlent d’une crise économique mondiale dans les prochaines années. Est-ce un avis que vous partagez ?
Teodoro Ribera – Je pense que le commerce international, c’est un commerce commun. Nous devons réussir à conserver un commerce juste sans utiliser la force. Il y a plusieurs enjeux : garder la liberté et la sécurité en préservant nos avancées. Notre époque connaît des changements technologiques, culturels et environnementaux. Autrefois, le premier objectif des jeunes mariés, c’était de s’acheter une voiture. Aujourd’hui, la population préfère acheter un vélo ou louer. Le changement climatique entraîne un véritable changement culturel. Nous devons nous adapter à ces changements en se respectant mutuellement. En Amérique latine, il y a différents regards idéologiques et nous devons en tenir compte. Par exemple, concernant l’environnement, certains gouvernements sont négationnistes. Il faut réussir à les convaincre qu’il s’agit d’un défi commun. Nos industries vont également être impactées par le changement climatique.
Propos recueillis par Guillaume Asskari
Journaliste et producteur spécialisé sur l’Amerique latine