Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
La société de créativité, vendredi 3 avril
Pour la France et l’Europe renouer avec un leadership qui ressemble à nos imaginaires
La créativité est le fil de suture d’une société en plaie à vif.
Traditionnellement, et avec raison, c’est vers le sens et la culture que l’on se tourne dans les périodes où les sociétés doivent combattre dos au mur. Sans doute, sommes nous dans de telles circonstances. Chacun découvre, avec le coronavirus, la présence d’un ennemi invisible dont on peine à discerner les champs de bataille futurs auxquels il nous destine. Dans l’urgence et l’incompréhension, la santé mais, aussi, le sentiment de précarité financière ou matérielle s’impose dans un maelstrom anxiogène.
Pour rester dans la ligne éditoriale de Terra Incognita, c’est vers des zones plus optimistes qu’il faut se projeter.
L’adaptation et l’inventivité, dont fait preuve la société, autorisent ce saut dans l’inconnu. L’imagination au pouvoir, de 1968, a fait place à l’ingéniosité au pouvoir. Celle-ci touche aussi bien les petits actes de la vie courante que la hardiesse de transformation d’organisations que l’on pensait, pour être francs, engoncées dans des relations marquées par l’inertie et l’immobilisme.
L’hôpital prouve sa réactivité, l’éducation nationale tente de s’inventer une souplesse inédite, le télétravail, réputé complexe dans sa mise en place, s’impose, sans retour en arrière possible, les industriels mutent leur appareil de production, les échanges sociaux se montrent plus enclins à la solidarité…
La créativité apparaît pour ce qu’elle peut et doit être. Elle est le plus petit dénominateur commun sur lequel peuvent se fonder les espérances collectives.
C’est ce dont on a besoin pour s’autoriser à repenser un universalisme plutôt que de panser une mondialisation caractérisée par les excès de la globalisation libérale.
La promotion de la créativité dans une société est essentielle. Elle influe sur la qualité des relations que chaque citoyen entretient avec la réalité tout autant que sa propre aspiration à vivre et à exister. La créativité a un aspect universel. Elle caractérise la pulsion de vie. Elle est partout un joker individuel et collectif, par gros temps comme en réponse locale au mal-être et aux crises de confiance envers les représentations traditionnelles, en particulier politiques.
La créativité doit être un axe dur de la transformation pour concevoir la société d’Après.
La créativité touche toutes les générations, l’industrie comme l’art ou la recherche, l’artisanat comme l’agriculture, toutes les formes de territoires. Elle suggère fierté, nouveaux possibles et, donc, espérance, confiance en soi et en la société, dépassement des clivages sociaux. Elle permet de répondre au malaise profond exprimé par les « gilets jaunes » : se sentir vus et considérés.
La créativité est un ciment social. Elle peut être aussi un facteur de production discriminant qui permette de reconstruire une industrie mariant compétitivité et nouvelles aspirations.
Il faut être prudents et ne pas faire de la créativité une fuite dans un imaginaire individualiste, décalé de la réalité et tentant de se soustraire à toute autorité ou référence.
Là encore, en faisant montre de prudence, on peut affirmer que les technologies du numérique et des algorithmes offrent une opportunité décisive au rôle de la créativité. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater le champ qu’ouvrent les applications pour smart phone ou d’écouter les experts du numérique quantique prédire que nous ne connaissons pas 10 % des nouveaux usages qui vont émerger dans les vingt ans.
C’est un projet politique, autour de la créativité, qu’il faut envisager.
Il doit permettre de nouer une reconquête de confiance individuelle et un rôle fédérateur d’un Etat bienveillant, la décentralisation et un pacte social des proximités avec une espérance universaliste.
Ces thématiques autour de la créativité sont, aussi, au cœur des réflexions dans l’entreprise ou dans les syndicats mais sans « chapeau » politique pour en donner la puissance et la cohérence.
Avouons que cette ambition nécessite aussi une profonde rupture de mode de réflexion et de fonctionnement pour les organisations politiques ou de représentation qui ont caractérisé les dernières périodes.
Mais c’est un pari qu’il faudrait faire dans l’instabilité ambiante.
Je propose d’initier, en symétrie du pacte de responsabilité climatique, un revenu contributif de créativité. Le symbolique et la responsabilité d’un côté, l’imaginaire et l’espérance dans une vision inspirée de l’avenir de l’autre.
Mais là où le premier est un soutien direct, le second est un facilitateur et un accompagnement à l’instar de ce qui a été souvent fait pour les start up.
Je tenterai de préciser les choses dans un prochain article.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste