Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Une société de créativité pour une rupture de gauche, samedi 9 mai
La gauche social-démocrate doit, quel qu’en soit le risque de n’être pas sûre de répondre aux urgences de calendrier, et, pour commencer, son existence dans la présidentielle de 2022, écrire une rupture idéologique.
Dans mon article précédent (8 mai, Synchronicité, autorité et identité), j’ai insisté sur la nécessité d’apporter des réponses, à cette société fragile, sur l’autorité et l’identité. Une réponse sur l’identité qui fasse que les mots de tous les jours soient en harmonie avec les mots de toujours. La gauche a besoin de nourrir le désir d’humanisme, réel dans la société et même quand il est proche d’une facilité régressive militante. On ne souligne pas assez combien la résistance des Français à la dérive populiste est admirable. Pour autant la gauche ne doit pas s’illusionner. Si elle se contente d’épouser une forme de réalisme de l’opinion, elle décevra ses “gardiens du temple” et n’obtiendra aucun crédit réel chez les libéraux. Il lui faut, donc, trouver son terrain en adéquation avec les attentes masquées.
L’identité ne peut pas se constituer, seulement, par référence au passé (même si, à cet endroit, la gauche peut revendiquer des sources puissantes). Elle doit être l’actualisation de cette fierté, dans une espérance face au futur. C’est historiquement sa mission pour que la fierté identitaire ne soit ni “ressentimentale” (l’ancêtre repère) ni, a fortiori fondée sur le renfermement et l’exclusion (bouc émissaire).
C’est la seule vision pertinente du progressisme, pour la période contemporaine. “Du possible, sinon j’étouffe” écrivait Gilles Deleuze en faisant référence au mouvement de Mai 68 que Pierre Vianson-Ponté, dans Le Monde, avait pressenti dans sa formule “la France s’ennuie”.
Ce combat pour le futur est le plus efficace pour contrer le repli des populismes.
L’escamotage du rêve, du futur, sape les fondations du lien social dans une société.
Nous sommes au cœur des questions d’identification, d’individuation et donc de représentation. Le sujet central de la transmission est celui de la place du curseur entre un passé pacifié et un avenir mobilisateur. Les bornes, à ne pas atteindre, sont le repli identitaire tout autant qu’un “no future” anxiogène.
On le sait, la culture est le meilleur rempart.
Aujourd’hui cette protection, pour faire cohésion, prend une forme : la créativité. Elle est partout, un joker individuel comme une réponse locale au mal-être et à la crise de confiance dans les représentations traditionnelles, en particulier politiques.
On la voit à l’œuvre, au quotidien, face à la pandémie.
La créativité est le bon outil pour recoudre notre société. La créativité est, d’emblée, universelle, elle touche : toutes les générations (des seniors (silver économie) aux jeunes (applications numériques), l’industrie (innovation) comme l’art par définition, la recherche, toutes les formes de territoires (énergies locales, inventivité de solutions), les nouvelles formes de management ou de formation.
La créativité est déterminante pour la révolution écologique.
Elle suggère : fierté personnelle et collective, Nouveaux possibles et donc espérance, confiance, en soi et en la société, dépassement des clivages sociaux, appropriation des technologies, pacification de la question de l’identité.
L’exception culturelle avait protégé l’accès à la culture, l’exception créative replace le désir et le talent de chacun au cœur d’une société cohésive.
Mais il faut aussi pointer les risques d’une créativité portée au pinacle sans précaution. Elle peut être le compagnon de route d’un imaginaire individualiste de fuite en avant ou d’un projet collectif de repli comme tente de le mettre en exergue, sous le vocable de localisme, le Rassemblement national. Cette forme de créativité s’autorise d’elle-même et se soustrait à toute autorité ou référence.
La créativité ne doit pas être une opportunité de “fuite imaginaire” mais au contraire, la réinscription dans une relation de repères acceptés, une autorité bienveillante. Les compagnons, les sportifs, les artistes… les exemples sont nombreux et démonstratifs d’un lien naturel entre la créativité individuelle et l’acceptation d’une autorité qui correspond à la thématique qu’elle s’est donnée et à ses exigences légitimes.
Il faut rechercher, plutôt que des réflexes de replis communautaires qui imposent le conformisme, le choix de la création et d’une recherche réciproque susceptibles de fonder un imaginaire collectif et la réaffirmation d’une confiance individuelle.
“L’essentiel de la création n’est pas découverte mais constitution du nouveau : l’art ne découvre pas, il constitue ; et le rapport de ce qu’il constitue avec le réel… n’est en tout cas pas un rapport de vérification” (Castoriadis “L’Institution imaginaire de la société”).
C’est donc un projet politique, pour la social-démocratie moderne, qu’il faut envisager. Elle doit permettre de nouer la reconquête de confiance individuelle et un rôle fédérateur d’un Etat bienveillant, la décentralisation et un pacte social des proximités, avec une espérance universaliste.
Responsabilité et créativité peuvent, ensemble, constituer le socle de la réparation idéologique à laquelle la gauche doit s’attacher si elle veut redevenir un projet politique consistant.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste