Les territoires de montagne, ruraux, voient les habitudes touristiques modifiées. Le retour à des valeurs d’authenticité et à la nature les rendent plus attractifs pour un tourisme vert qui a conquis de plus en plus d’urbains en quête de grands espaces vierges.
Les paysages tant prisés des citadins sont le résultat de siècles d’une tradition agricole qui a lentement dessiné nos territoires. D’un côté des forêts, de l’autre des pâtures, ici des terres en jachère, là d’autres en culture. Quatre saisons qui offrent des variations de couleurs, de textures, de températures propices à toutes les envies, tous les goûts, tous les loisirs. Et, au milieu de tout cela, l’humain qui aime et respecte la nature, qui le nourrit.
Or, depuis quelques années, les équilibres précaires sont menacés.
Ces menaces pèsent autant sur le monde agricole que sur le tourisme, directement dépendant de la préservation de nos paysages.
Le prix du foncier tend à flamber, ce qui a pour première conséquence de rendre difficile l’installation de jeunes agriculteurs, qui sont les garants de l’entretien des parcelles, de la lutte contre une forêt qui progresse, souvent mal gérée par des propriétaires privés, peu conscients des enjeux du déboisement anarchique, de l’importance des essences replantées. En effet, entre le prix du matériel et celui des bêtes, les jeunes ont tendance à se tourner vers la location de terres, plutôt que l’achat. Or, cette location est de plus en plus compliquée, du fait de la difficulté à expulser les mauvais payeurs, auxquels la loi garantit la priorité de reprise en cas de vente… Pour quelques malhonnêtes, c’est toute une génération qui paye les frais, ne peut plus s’installer. Ce sont bientôt nos campagnes, nos montagnes, qui peineront à voir s’installer de nouveaux exploitants, quand la génération actuelle aura déserté. Des territoires entiers perdront ce qui dessine leur visage, leurs particularités.
Cette pression sur le foncier est autant provoquée par la spéculation à la vente que par des opérateurs privés, prêts à payer très cher les terres agricoles, pour y implanter des centrales photovoltaïques ou des éoliennes qui, non seulement, attaquent la qualité des sols de façon irrémédiable, réduisent le foncier agricole disponible par leurs larges emprises, saccagent des vallées entières, à de simples fins de production d’énergies subventionnées par l’Etat, auquel elles revendent leur énergie. On pourra au passage critiquer les matériaux de provenance de ces deux méthodes de production d’énergie… D’origine, principalement chinoise, ce qui soumet aussi notre indépendance énergétique à la fourniture des dits matériaux.
Il ne s’agit pas de dire que la France doit stopper toute diversification de ses ressources énergétiques, mais bien qu’elle doit réfléchir au bon équilibre entre implantations d’infrastructures dégradant les paysages et équilibres économiques locaux basés sur des modèles de préservation des perspectives.
Par exemple, le Cantal est victime d’une attaque massive des ces opérateurs, qui cherchent à s’implanter sur tous les cols de montagne, quitte à transformer notre territoire en champ de marguerites métalliques, ou de centrales solaires horizontales, alors même que nous produisons déjà une énergie des moins chères, par le biais de nos nombreux barrages hydrauliques. Il y a là une absurdité totale et un manque de cohérence de la part de certains élus qui répondent positivement à ces sollicitations, souvent pour de simples raisons de gestion budgétaire à court terme : les emprises rapportent à ceux qui les accueillent sur leur sol… Quand elles coûtent très cher à toute la vallée qui vit de la pleine nature, qui est l’un de ses principaux arguments de vente touristique, sans évoquer la montée des prix du foncier qui les accompagne. Parfois, ce sont même des propriétaires terriens qui voient là l’opportunité de s’enrichir sur le dos de la bête, et qui habitent souvent loin de l’endroit où ils acceptent de telles aberrations, dont ils ne voudraient pas chez eux.
Nous nous devons de revenir à davantage de raison et favoriser le développement de solutions nouvelles de production d’énergie, mais surtout nous amenant à une autosuffisance hors de toute forme de dépendance matérielle.
Il nous faut aussi réfléchir à un modèle moins énergivore. Car il ne s’agit pas de produire toujours plus, mais de gérer durablement notre consommation.
Ainsi, les modèles de développement du paysage doivent prendre en compte la rénovation du bâti existant, fait de vieilles pierres, dans les centres-bourgs historiques parfois abandonnés des familles qui en ont la propriété, plutôt que favoriser la bétonisation des périphéries, par des lotissements offrant de faibles performances énergétiques et dégradant la perméabilité des sols, catastrophe à l’échelle de départements souffrant de sécheresse été après été, faute de remplissage convenable des nappes phréatiques. C’est aussi cela que viennent chercher les touristes avides d’histoire, de dépaysement : le retour à des racines dont nos centres-bourgs sont les témoins.
Car cette manne financière touristique doit être pleinement exploitée, valorisée dans les politiques locales, qui en mesurent mal l’intérêt. Il est, en fait, double : d’un côté, une offre de revenu de complément non négligeable pour les agriculteurs eux-mêmes, dès lors qu’ils savent valoriser leur production et leur patrimoine, par des hébergements, tables d’hôtes, ouverture de leurs sites d’exploitation à la visite. De l’autre, une source de revenu pour les communes qu’il faut accompagner pour impulser une politique de rénovation des hôtels et restaurants laissés à l’abandon par leurs propriétaires, faute de moyens pour les mettre aux normes, afin de créer une offre élargie de logements saisonniers.
Ce virage que certains ont déjà pris, s’il est bien négocié, permet un retour des exploitations agricoles à une taille familiale, et donc joue en faveur de la qualité de nos produits et de nos exploitants qui ne rêvent que d’élever le niveau de la qualité plutôt que de la quantité. Car il leur faut vivre de leur travail, ce qui ne peut leur être assuré que par un prix de vente acceptable de leurs produits. Une élévation du niveau d’exigence des AOP peut leur garantir, à l’image de ce que les Savoyards ont su faire avec leur IGP emmental, qui leur garantit un prix du lait bien supérieur à la moyenne nationale. On doit pouvoir en faire de même dans des régions telles que le Cantal, qui a la grande chance de posséder cinq spécialités fromagères protégées, mais dont la qualité n’est pas stable, faute d’exigences suffisantes, et d’une mainmise de certains industriels qui dégradent l’image des produits.
Il en est de même de la filière viande, qui doit pouvoir garantir non seulement la provenance de la viande, mais aussi ses modes d’élevages, parfois sous-traités à l’étranger, aux normes alimentaires différentes des nôtres. Cette qualité doit pouvoir être certifiée par un étiquetage garantissant l’élevage français, l’abatage respectant le bien-être animal, sans la violence qui accompagne la confessionnalisation des pratiques, sans les transports qui déshydratent la bête, en proposant l’usage d’abattoirs mobiles et un retour à de petites structures locales.
C’est à ce prix que nos produits, déjà reconnus pour être parmi les meilleurs au monde, seront définitivement protégés et donneront l’envie à tous de venir découvrir ceux qui sont capables de nous les fournir.
Car, au-delà de l’air pur, c’est l’éveil tout entier des sens que l’on vient chercher dans nos terroirs. La nourriture en fait partie, elle fait même partie intégrante de la culture locale recherchée par les visiteurs. Aidons les paysans à tendre vers cette excellence, qui est la base essentielle du développement d’un tourisme vert dont nous avons tous besoin.
Laurence Taillade
Présidente du Parti Républicain Solidariste
Essayiste auteur de Etre une femme en 2020 et L’urgence laïque, Editions Michalon