Gardons-nous de jouer aux Cassandre de retour et essayons d’oublier les mises en garde que les uns et les autres avons émises au cours de ces dernières années, constatant la dégradation continue et grave de notre démocratie. Ceux qui ont osé alerter leurs concitoyens n’étaient pas écoutés, quand ils n’étaient pas moqués, voire méprisés.
Dès l’instant que le plus grand nombre des thuriféraires avoués ou tus trouvaient plus d’intérêts personnels que d’inconvénients à supporter le régime en place – dans tous les sens du terme -, il n’y a rien eu à faire pour dresser « un barrage », pour édifier un « cordon sanitaire », contre les dégâts provoqués par la dégradation dans le fonctionnement des institutions républicaines due aux actes de ses principaux responsables. Et ces « responsables » se rencontraient tout autant dans la pseudo majorité parlementaire que dans les non moins pseudos oppositions.
Chacun, dans le cercle étroit de ces dirigeants nationaux, visait le ou les objectifs qui lui semblaient les plus à même de satisfaire son ambition, au détriment évident de l’intérêt général.
Il est inutile et vain de dresser l’inventaire de ces comportements tellement ils ont foisonné, de la droite à la gauche. Survolons seulement quelques uns des thèmes esquissés et, aussi vite, négligés. Comme après tous les scrutins législatifs des dernières dizaines d’années, des voix s’élevaient pour en dénoncer les travers et réclamaient – voire promettaient – haut et fort l’indispensable réforme du système électoral ; que nenni !
La présidentialisation à outrance alliée au viol quotidien de la Constitution par des Présidents successifs qui débordent de leurs compétences et qu’il aurait fallu entraver ; que nenni ! La participation active et créative à l’écriture des changements à opérer dans les instances de l’ONU et européennes; que nenni ! La nécessaire refonte d’une fiscalité nationale et locale totalement déconnectée des réalités économiques et sociales contemporaines ; que nenni ! La tout aussi indispensable réforme de l’organisation territoriale du pays, sur des bases démocratiques en phase avec la vie des français et non pas avec les intérêts de la classe politique et administrative ; que nenni ! L’élaboration d’une politique environnementale qui ne soit pas inspirée par les lobbies qui sont parvenus à faire croire que les éoliennes, les pompes à chaleur et les voitures électriques
constituaient la panacée à l’évolution du climat ; que nenni ! Etc, etc, etc. N’en jetez plus, la coupe
est pleine et, d’ailleurs, elle déborde…
Elle déborde depuis que la sinistre dissolution de l’Assemblée, faisant suite à des élections européennes qui n’ont fait que confirmer ce qui était prévisible, a eu l’effet d’un coup de pied dans une fourmilière. Les mêmes qui proclamaient que le résultat attendu du scrutin européen, forcément défavorable au pouvoir en place, n’aurait bien sûr aucune conséquence nationale, sont ceux qui ont désagrégé le fragile édifice politique français qui n’avait pas besoin de cela pour s’écrouler. Dans l’urgence et la précipitation, les citoyens ont alors assisté au bouleversement improductif et, finalement, quasiment inutile du rapport des forces politiques. Leurs votes se sont ainsi éparpillés comme une volée de moineaux et les analystes mettront des années à en comprendre la réalité, si tant est qu’ils soient tentés d’y procéder réellement.
Voter pour quoi ? Voter pour qui ? Voter contre quoi et qui ? À quel tour ? Les plus vieux se sont souvenus d’un de leurs slogans préférés de mai 1968 : « Élections, piège à cons », car là, s’en fut un et des plus efficaces.
Il suffit d’errer dans les décombres des suites du scrutin, notamment dans l’Assemblée nationale, pour constater l’étendue des dégâts dont l’issue gouvernementale n’est pas encore écrite…à quand le recours à l’article 16 de la Constitution pour « sauver » ce qui devra l’être ? S’il ne fallait ne retenir qu’une ruine parmi toutes celles qui se sont accumulées en quelques jours, ne serait-ce pas le déni – y compris physique par le refus de saluer un représentant élu de la nation à la tribune même de l’Assemblée -, de reconnaître à plus de 10 millions de citoyens, les droits parlementaires les plus élémentaires ?
Comme Voltaire a su défendre ceux dont il ne partageait pas toutes les idées, c’est des opposants à l’extrême droite qu’auraient dû venir les gestes symboliques de l’apaisement civique, première étape sur le long chemin de la refondation d’une République moribonde. Hélas, ce fut l’inverse !
Sinistre présage…On l’a déjà dénoncé sur le site de la présente revue, si un parti politique professe des idées contraires à celles qui inspirent notre République, alors il faut avoir le vrai courage de l’interdire et non pas de s’en servir pour se faire élire. Sinon, ce parti a les mêmes droits et devoirs que tous les autres. Un point, c’est tout. Une solution s’offrait pourtant aux députés opposants qui ont participé à la pantomime des « élections » aux postes de responsables de l’Assemblée. À défaut d’être en mesure d’y faire adopter l’indispensable programme de politique générale susceptible de recueillir une majorité de circonstance, ces députés drapés dans une dignité de façade auraient du écrire un texte dans lequel ils auraient collationné les principes essentiels d’après lesquels doivent fonctionner les institutions républicaines ; puis ils auraient soumis ce texte à l’approbation de tous les députés et, alors, les citoyens auraient pu vérifier si, oui ou non, tel ou tel parti en partage les objectifs.
Alors et seulement si l’accord en avait été refusé par certains, ceux-ci auraient pu être écartés des responsabilités républicaines, puisqu’ils en auraient refusé les principes. Mais il n’en a rien été.
Décidément, tout cela ne fait que renforcer la crainte du pire ou du meilleur, comme on le ressentait déjà en 1787, quand se séparèrent les membres de l’assemblée des notables convoquée vainement par un Louis XVI dépassé par l’évolution politique de son époque – tiens, tiens ! – et qui fut résumée par le tout récemment nommé chef du conseil royal des finances, par ailleurs archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne :
« Du sein d’un désordre passager, naîtront des institutions utiles qui en répareront le malheur et le
feront oublier. »
Hugues CLEPKENS