Vladimir Poutine a rencontré le président de la République de Biélorussie, Alexandre Loukachenko, au Kremlin le vendredi 11 mars 2022. Dans la cadre de cette rencontre, les deux dirigeants ont convenu d’un échange mutuel de matériel, la Russie livrant des équipements militaires ultra-modernes et le Bélarusse livrant en contrepartie des équipement agricoles performants. Au-delà de ces accords, l’échange entre les deux dirigeants constitue un Document d’Histoire pour l’éclairage qu’il apporte sur le début du conflit actuel.
V. Poutine : Cher Alexandre Grigorievich !
Merci d’être venu. Nous avons des réunions régulières, nous échangeons des informations par téléphone, nous ajustons nos actions [communes].
Tout d’abord, avant de commencer à parler en substance, je voudrais vous féliciter pour le succès du référendum, qui a abouti à la modification de la Constitution. Je sais que le taux de participation est très élevé et que le soutien des citoyens du Belarus est également très solide.
А. Lukashenko : Plus que lors de l’élection présidentielle, d’ailleurs, d’un pour cent et demi.
V. Poutine : Très bien. Je pense que ce processus politique que vous avez initié, le dialogue que vous avez avec la population, est extrêmement important pour que la situation soit stable et durable. Et ce n’est que lorsque la situation est stable et durable que nous pouvons parler de développement économique.
À cet égard, je tiens à souligner que l’année dernière, nous avons augmenté notre chiffre d’affaires commercial de plus d’un tiers, plus de 34 %, maintenant que les résultats définitifs sont connus, cela devient évident.
Dans l’ensemble, la situation évolue positivement. Il y a, bien sûr, des problèmes liés aux événements d’aujourd’hui, à certaines restrictions, à certaines sanctions, etc. Mais comme vous et moi l’avons dit précédemment, des tentatives de limiter et de restreindre notre développement ont toujours été faites, et le sont encore – et maintenant, bien sûr, à plus grande échelle, ce qui est évident. Je suis sûr que nous allons surmonter ces difficultés et, au contraire, nous allons acquérir plus de compétences, plus de possibilités de nous sentir indépendants, autonomes, pour finalement en bénéficier, comme ce fut le cas les années précédentes.
Je vous informerai bien sûr de la situation sur l’axe ukrainien et, surtout, sur le déroulement des négociations, qui ont lieu désormais sur une base quasi quotidienne. Il y a quelques développements positifs, comme m’en ont informé nos négociateurs. Je vais parler de tout cela plus en détail.
А. Lukashenko : Vladimir Vladimirovich, en effet, nous sommes en contact permanent avec vous. Comme nous l’avions pressenti, les temps seront difficiles. Mais je vous l’ai dit plus d’une fois au téléphone : la Fédération de Russie, et nous encore plus, sommes perpétuellement sous sanctions. Aujourd’hui, elles sont plus étendues, mais nous nous sommes déjà habitués, je suis désolé, à de telles saloperies de l’Occident. Pourquoi des saloperies ? Parce que tout cela est illégitime, comme ils aiment à le dire, tout cela est illégal, en violation de tous les accords et traités internationaux auxquels ils ont adhéré et auxquels nous avons adhéré, pour certains [traités]. Donc, une fois de plus, pour la troisième fois : c’est juste une saloperie, de mon point de vue. J’en ai déjà assez, vous en avez « assez » [aussi].
Pourquoi je dis cela ? En arrivant à votre bureau, et les journalistes [me]criaient de loin : « Allons-nous survivre aux sanctions ou non ? » Ecoutez, la question ne se pose pas en ces termes aujourd’hui. Aujourd’hui, les sanctions sont [en fait] un moment d’opportunités pour nous. Je suis de l’Union Soviétique, vous êtes [aussi] de l’époque soviétique, vous le savez bien – nous étions toujours sous sanctions et nous vivions et nous nous développions normalement à l’époque. C’est juste qu’en raison de la situation actuelle, pas même des sanctions, c’est juste que peu de temps s’est écoulé [depuis les événement], notre peuple s’interroge. Mais heureusement plus le temps passe et plus les gens comprennent. Ce n’est pas nous qui les avons attaqués, ce n’est pas nous qui avons attaqué préventivement car les forces armées ukrainiennes ont commencé à tirer [les premières sur le territoire russe] alors que vous et moi étions chez vous encore deux jours avant.
V. Poutine : Malheureusement.
А. Lukashenko : Oui, vous et moi étions assis dans l’hélicoptère, [nous étions] constamment informés [de la situation]. Ce sont eux ont [alors] commencé. Et je vais vous montrer d’où l’attaque pour ce qui concerne la Biélorussie a été préparée. Et si six heures avant l’opération, il n’y avait pas eu de frappe préventive sur [leurs] positions – ces quatre positions que je vais vous montrer sur la carte que j’ai amenée. Ils auraient attaqué nos troupes, du Belarus et de la Russie, qui étaient alors en exercice. Nous n’avons donc pas commencé cette guerre, nous avons la conscience tranquille.
C’est une bonne chose d’y avoir été. Des armes biologiques, les plus grandes centrales nucléaires – et eux [les Ukrainiens] étaient prêts à tout faire sauter. Maintenant, on voit ce qui se passe à Tchernobyl, vous m’avez demandé d’y apporter de l’électricité…
V. Poutine : Merci.
А. Lukachenko : …et eux ils s’en foutent, vous comprenez, ils s’en foutent. Peu leur importe, quoi qu’il arrive, ils s’en moquent et le mettrons [sur notre dos]. Nous avons été obligés d’apporter l’électricité comme je l’avais promis, à la centrale [nucléaire] de Tchernobyl, mais en recourant à la force
V. Poutine : Je sais, merci.
А. Lukachenko : Tel est leur but. Par conséquent, les gens commencent lentement à comprendre ce qu’il en est et qui se cache derrière cette « vérité ». Si nous n’avions pas agi 24 heures avant – croyez-moi, en quelques jours, nous aurions bu la tasse avec d’énormes pertes.
Une fois encore : ils ne se sont pas seulement préparés à frapper au Donbass, ils se sont mis en ligne alignés pour frapper en Biélorussie. Et aujourd’hui – je l’ai dit hier, Vladimir Vladimirovitch – ces mercenaires étrangers marchent le long de la frontière biélorusse en direction de la centrale de Tchernobyl. Trois moments. Ils veulent couper les routes [d’approvisionnement] des troupes russes, les poignarder dans le dos, comme je l’ai dit, c’est la première chose. Deuxièmement, ils veulent frapper les positions des troupes encore positionnées des exercices biélorusses et russes. Et ils ne perdent pas espoir de nous entraîner [les Bélarusses] directement dans ce massacre afin que nous dégarnissions le secteur occidental, [dont nous nous occupons] comme convenu avec vous. Ce ne sont pas des simplets. Et que veulent-ils réellement faire avec Tchernobyl, nous avons encore à le deviner avec vous.
Il n’est donc pas nécessaire de nous trouver des excuses.
V. Poutine : Personne ne cherche d’excuses.
А. Lukachenko : Oui, vous certainement pas. Mais Je vois comment nos gens et comment certains de vos gens se comportent. « Vous voyez bien, ils n’ont pas fait ce qu’il fallait » – disent-ils. Eux, ils auraient bu la tasse encore plus qu’au milieu du siècle dernier, quand les fascistes nous ont attaqués.
C’est donc un moment d’opportunités. Si vous et moi prenons le bon chemin, croyez-moi, dans six mois, à la fin de l’année, les gens auront oublié ce qui s’est passé, en termes d’économie. Et ne dites pas : « Survivrons-nous ou pas aux sanctions ». Ecoutez, nous leur avons survécu de toutes les manières. Nous devons reconstruire notre économie. Nous pouvons nous passer d’eux [l’Occident], nous avons tout ce dont nous avons besoin pour vivre et travailler normalement.
J’ai une proposition à vous faire. Nous avons toujours aidé nos alliés : nous avons aidé les Kazakhs, tout le monde. Vous avez ouvert le marché pour certains, je ne les nommerai pas, mais ils continuent de se sentir offensés. Nous devons donc nous rassembler au sein de l’OTSC, de la Communauté économique eurasienne, nous devons nous mettre ensemble. Après tout, tout le monde dit que nous devons être ensemble. Alors réunissons-nous!. Et croyez-moi, en rajoutant ces marchés, dans un mois, nous aurons oublié que nous somme sous sanctions. C’est pourquoi je pense à l’OTSC et la Communauté économique eurasienne. Je fais une proposition, j’ai le droit de faire une proposition…
V. Poutine : Bien sûr.
А. Lukachenko : Je pense que vous allez me soutenir. Nous devrions nous réunir à Moscou, nous asseoir à la table des négociations et nous mettre d’accord : nous vous vendons ceci, vous nous vendez cela, et nous allons construire notre politique économique commune.
C’est pourquoi je suis venu à Moscou aujourd’hui l’esprit tranquille, confiant dans le fait que nous ferons mieux que ce que nous avons fait depuis l’effondrement de l’Union soviétique et même en Union soviétique. La situation n’est pas telle que nous devrions « transpirer [à grosses gouttes] » et nous inquiéter de certains événements. Le temps est tout simplement essentiel, les grandes choses se voient de loin.
V. Poutine : Alexandre Grigorievitch, vous avez tout à fait raison, l’Union soviétique a effectivement vécu tout le temps sous les sanctions, s’est développée et a obtenu d’énormes succès. Je l’ai dit hier : même après 1990, il y avait des sanctions contre la Russie, qui existait depuis l’époque de l’Union soviétique, et puis elles sont devenues nouvelles, plus récentes. Il s’agit de la liste dite du Cocom, concernant des restrictions dans le domaine de la haute technologie. Tout cela était, et est toujours [d’actualité].
Et maintenant, on assiste à une frappe massive sur l’économie. Mais la pratique de ces dernières années a montré que là où les Occidentaux nous ont imposé des restrictions, nous avons acquis de nouvelles compétences et restauré les anciennes à un nouveau niveau technologique. Et tout cela fonctionne. Nous sommes certainement devenus plus forts dans ce sens, vous avez raison. C’est l’occasion, pour ainsi dire, d’avancer vers le renforcement de notre souveraineté technologique et économique.
C’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui, alors parlons-en plus en détail.
Traduction Gaël-Georges Moullec