La tentative d’assassinat à l’encontre de Donald Trump peut être analysée comme le stade ultime d’une violence politique qui s’est déchaînée dans un premier temps au sein du système médiatique américain puis dans un second temps dans la sphère judiciaire afin d’éviter une seconde mandature du candidat. Comment l’expliquer ? La première hypothèse est que cette violence témoigne de la crise des institutions américaines, la seconde hypothèse est que cette tentative d’assassinat est liée à la fragilité d’un système financier menacé par la structuration d’une sphère géoéconomique alternative au dollar, la troisième hypothèse est que le tireur isolé s’est senti investi d’une mission visant à éliminer une personnalité menaçant – en raison de son potentiel créatif – l’essence même des institutions américaines.
La crise des institutions américaines contemporaines peut être comparée à celle de la république romaine au IIe siècle av. J-C avant l’épisode des guerres civiles. En 133 av. J-C, Tiberius Gracchus, personnalité éminemment disruptive, fut élu au tribunat de la Plèbe. Issu de la noblesse plébéienne, Tiberius Gracchus se caractérisa par la radicalité de ses réformes. Selon Valère-Maxime, « il avait l’habitude de répéter devant tout le monde qu’une fois le Sénat liquidé, tout le pouvoir devrait aller à la plèbe »[1]. Mettant en cause la perpétuelle infidélité comme l’inutilité militaire des esclaves, il se heurta aux grands propriétaires et osa entreprendre quelque chose d’énorme nous narre Florus[2]. Sa loi agraire prévoyait en effet une redistribution de terres d’une telle ampleur qu’elle affaiblirait définitivement l’autorité du Sénat.
Tiberius Gracchus eut contre lui les principaux faiseurs d’opinion, notamment le grand prêtre Scipio Nasica, qui fomenta une émeute à son encontre en 133 av. J.-C. Or les présages étaient défavorables à Tiberius : « Au petit matin chez lui, il prit les auspices. Leur réponse fut tout à fait sinistre. Sortant de chez lui il se blessa le pied au point de se fracturer un doigt. Ensuite trois corbeaux firent entendre un chant de mauvais augure à son encontre »[3]. Mais mystérieusement, quelques signes visibles l’engagèrent à poursuivre, notamment les graffiti lisibles dans les portiques et sur les murs des maisons[4]. Bannie des enceintes officielles, notamment du Sénat, la parole populaire, gravée sur les murs, l’encourageait à ne pas céder. Sa campagne fut haute en couleurs puisqu’il mélangea le sublime à la bassesse[5].
Il lutta constamment contre les manipulations de ses paroles : quelque temps avant son assassinat, il leva la main à la hauteur de la tête pour signifier que sa vie était en danger. Mais ses opposants se précipitèrent au Sénat prétendant que Tiberius réclamait une couronne puisqu’il avait fait ce geste[6]. Afin de contrer le populisme des Gracques, le Sénat acheta l’autre tribun de la plèbe, Octavius puis donna tout pouvoir aux citoyens d’assassiner Tibére. Cette fin tragique n’empêcha pas l’épisode des Gracques d’agir comme un catalyseur sur l’effondrement de la république et surtout d’enclencher le cycle des guerres civiles.
Certes, l’Amérique de 2024 n’est pas la république du IIe siècle avant J.-C., une chose est certaine toutefois : quel que soit le résultat des élections présidentielles, la campagne politique de Trump ébranlera durablement la vie politique européenne.
La seconde hypothèse est que la violence politique américaine s’explique par la fragilité d’un système financier déstabilisé par le rapprochement monétaire actuel entre l’Inde, la Chine et la Russie. En effet, derrière les assassinats ou tentatives d’assassinat des présidents américains apparaissent souvent des enjeux financiers. Ces tentatives d’élimination renvoient à la nature même des États-Unis qui représentent la première puissance géo-financière mondiale puissance, dotée d’un habillage politique. Malgré les apparences, le Président n’est pas forcément l’homme qui dispose des véritables leviers du pouvoir aux États-Unis. L’on se souvient à cet égard d’Abraham Lincoln, qui avait réussi à se doter d’une puissance financière indépendante de la Cité de Londres afin de financer la guerre de Sécession mais également celle de John Kennedy qui s’était attaqué à la puissance de la FED. Comme on le sait, ces deux présidents furent assassinés. Depuis la grande dérégulation de l’économie des années 1990, la maison blanche s’est soigneusement gardée de mettre en cause la politique de la FED, devenue excessivement indépendante à son égard. Alan Greenspan, gouverneur de la FED avait longtemps maintenu des taux extrêmement bas pour faciliter la reprise économique, au risque d’alimenter des « bulles » spéculatives et le déséquilibre des comptes extérieurs des États-Unis. La FED craint aujourd’hui une mise sous tutelle de la maison blanche. Au cours des derniers mois, des journaux comme le Washington Post où le Wall Street Journal, se sont inquiétés des projets de la seconde présidence de Donald Trump à l’encontre de la réserve fédérale.
Les conseillers de Trump ont en effet plusieurs projets visant à limiter l’indépendance de la FED. C’est le nouveau président américain qui nommera le président de la FED en 2026. Or l’équipe de Trump désire remplacer Jérôme Powell. La présidence souhaiterait limiter la capacité de la FED de fixer les taux d’intérêt de manière indépendante.
La troisième hypothèse est que le tireur isolé s’est investi lui-même d’un rôle d’élimination d’un créateur-disruptif afin de protéger un système bureaucratique existant. Il faut se souvenir que les organisations humaines, qu’il s’agisse d’entreprises, d’États ou de civilisations, sont mues par des minorités créatrices dotées de suffisamment d’imagination pour surmonter les obstacles. Ces personnalités sont constamment menacées comme l’écrit Arnold Toynbee :
« Si le génie créateur échoue à amener dans son milieu, le changement accompli en lui-même, sa création lui sera fatale. Il sera sorti de l’engrenage et, en perdant son pouvoir d’action, il perdra le goût de vivre, en admettant même que ses anciens compagnons ne le précipitent pas à la mort, tels les membres anormaux de la ruche, du troupeau ou de la meute, toujours voués au massacre, par la troupe qui se meut selon l’ordre social statique des animaux ou insectes grégaires. D’un autre côté, si notre génie réussit à surmonter l’inertie où l’hostilité agissante de ses anciens compagnons et transforme triomphalement son milieu social en un nouvel ordre en harmonie avec sa personne transfigurée, il rend, par suite, la vie intolérable autour de lui aux hommes et femmes pétris d’argile commune, à moins que ceux-ci ne parviennent à leur tour à s’adapter au nouveau milieu social qui leur est imposé par la volonté créatrice impérieuse du génie triomphant (…) De sorte que le créateur, quand il apparaît, se trouve toujours débordé par le surnombre de la masse inerte et stérile même s’il a la bonne fortune de jouir de la collaboration de quelques esprits de valeur. Tout acte de création sociale est l’œuvre, soit de personnalités, soit, tout au plus de minorités créatrices. Dans tout progrès, la majorité des membres d’une société reste à l’arrière »[7]
Beaucoup d’analystes s’étonnent de l’imprévisibilité de M. Trump. Étonnons-nous de leur étonnement. Les temps de transition ramènent naturellement au pouvoir des hommes puisant leur pouvoir dans leur imprévisibilité. Ceux qui prétendent que nous entrons dans une période d’incertitude manient par conséquent sans le savoir une langue morte. Car l’imprévisibilité est intimement liée à la vie et aux arts.
Le Roi Saul ou l’Empereur Xerxès – qui se caractérisaient par leur imprévisibilité légendaire auraient-ils pu régner si leurs conseillers avaient pu anticiper leurs décisions ?
Aurions-nous oublié que Louis XI, l’homme aux brusques changements d’humeur et à l’habileté consommée, n’annonçait jamais une visite à ses vassaux – et que cette imprévisibilité était souvent savamment mise en scène. Nixon, qui faisait preuve d’un grand goût pour le secret, déclara un jour à Kissinger : « C’est une bonne chose que les soviétiques me croient frappé de crises de folie. Ils se conduiront d’autant plus prudemment à mon égard ». En réalité, la seule façon d’éviter d’être traité comme une simple chose par autrui consiste à se rendre imprévisible.
A ce stade de l’enquête il est très difficile de déterminer si c’est plutôt le stade de délitement des institutions américaines, la fragilité de sa monnaie ou bien la simple personnalité de Donald Trump qui ont généré la violence ultime du 13 juillet.
Toujours est-il que le candidat américain en sort renforcé. L’Arabie Saoudite, qui finance sa campagne, ne peut que s’en réjouir.
Le ministère saoudien des Affaires étrangères a déclaré le 14 juillet, dans un communiqué : « L’Arabie saoudite exprime sa condamnation et sa dénonciation de la tentative d’atteinte à la vie de l’ancien président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, et sa totale solidarité avec les États-Unis d’Amérique ». Alors que le président américain avait été incapable de prendre le pouvoir lors de sa première mandature, il est vraisemblable qu’il dispose désormais de la masse critique de hauts fonctionnaires, ce qui déclenche l’ire de ses adversaires.
Thomas Flichy de La Neuville
[1] Valère-Maxime, III, 2, 17.
[2] Florus, III, XV
[3] Valère-Maxime, I, IV, 2
[4] Plut. Tib. Gracc. 8.
[5] Velleius Paterculus, II, II
[6] Plutarque, Tiberius Gracchus, 19.2
[7] A. Toynbee, L’histoire, Paris, 1954, p. 240