4 août 2020. 2750 tonnes de nitrate d’ammonium explosent au port de Beyrouth. L’onde de choc a détruit Beyrouth et ses banlieues et a même atteint les côtes chypriotes. Le souffle généré par cette explosion a tué plus de 200 personnes et a laissé plus de 6000 blessés et une population toujours sous choc post-traumatique.
Peu après 18h, un 4 août tranquille à Beyrouth, des déflagrations générées par un incendie dans l’entrepôt numéro 12 secouent le port. Le bruit entendu est celui de feux d’artifice et d’armes militaires, d’après les dernières révélations de l’enquête du FBI. Le nuage s’épaissit, rougit et une première explosion impressionnante détonne. Les pompiers de Beyrouth, déjà présents sur les lieux, essaient de contenir les flammes qui semblent surgir de l’enfer. Quelques secondes après, la seconde explosion, une des plus importantes dans l’histoire mondiale, fauche leurs vies ainsi que celles de 200 beyrouthins. Les vidéos filmées et retransmises massivement sur les réseaux sociaux et les chaînes d’infos internationales étaient le dernier témoignage de certaines victimes de l’horreur qu’ils ont vécue en ce jour fatidique. Au lendemain du drame, les Libanais en colère sont descendus dans les rues. Des potences ont germé partout. « Il faut que cette classe politique soit exécutée », ont-ils scandé.
Le Président français, conscient de la gravité de cet événement tragique, s’est empressé d’aller à Beyrouth.
Brèche d’espoir pour un peuple aux abois gardant une fidélité sincère à l’amitié séculaire franco-libanaise. La solution se serait-elle approchée de la rive de ce pays meurtri ? Que nenni. Un an après l’explosion, l’horizon des Libanais ne cesse de s’obscurcir. La valeur de la livre libanaise vit au rythme des fluctuations capricieuses du marché noir, les jeunes émigrent à la recherche de nouveaux rivages. La fuite des cerveaux s’accélère et ingénieurs, médecins, avocats et techniciens quittent le pays. Le Liban vit une des pires crises de son histoire après la famine qui a décimé les deux-tiers des habitants du Mont-Liban à cause de l’embargo turc en 1916 et la guerre civile (1975-1990) dont la blessure béante n’a pas encore cicatrisé. Les verrous qui entravent toute solution sont multiples. Etat en faillite, alliances cyniques entre le cartel de responsables libanais et la milice du Hezbollah soupçonnée d’être responsable du stockage de la matière explosive au port de Beyrouth, justice infiltrée par les agents du pouvoir ; le tout conjugué à une indécence et une impudicité d’hommes politiques accrochés à leurs sièges.
Autopsie d’une année de malheurs
Un an après l’explosion du port de Beyrouth, le Président libanais, Michel Aoun, refuse toujours la revendication majeure de la rue libanaise et des familles des victimes, à savoir une enquête internationale. Il avait promis de révéler la vérité en moins d’une semaine. Depuis, le peuple libanais attend que justice soit rendue. Or, comment espérer l’application de la loi dans un pays où quelques semaines après le drame, des attentats ont commencé à viser des employés aux services douaniers du port et un photographe du nom de Joe Bejjani détenant des informations et des photos importantes sur l’entrepôt numéro 12 ? Des juges d’instruction enquêtant sur cette explosion ont été limogés, un journaliste et cinéaste, Lokman Slim, tué par balles pour avoir dévoilé le lien entre le nitrate d’ammonium et le Hezbollah et son allié le régime syrien qui aurait utilisé cette matière explosive, transitant à travers le port de Beyrouth, pour fabriquer les barils d’explosifs utilisés dans la guerre syrienne. Un nouveau juge d’instruction, Tarek Bitar, livre un combat invétéré contre la classe politique en réclamant la levée de l’immunité sur les députés et anciens ministres inculpés. Son initiative a été reçue par un blocage au parlement.
Pas de levée d’immunité pour ceux qui ont été complices du stockage du nitrate d’ammonium dans un des ports les plus florissants du bassin méditerranéen.
Sur un autre plan, et malgré les exigences de l’initiative française, un gouvernement ne s’est pas encore formé. Nommé par la France pour former un gouvernement de technocrates pour une sortie de la crise, le candidat Moustapha Adib s’est heurté à maintes complications. Découragé, il s’est rétracté, laissant la voie libre au magnat sunnite de plus en plus impopulaire : Saad Hariri. Faire du neuf avec de l’ancien était de mauvais augure. Après neuf mois de tractations et de propositions de différents brouillons de répartitions des portefeuilles ministériels, Hariri jette l’éponge. Et Mikati, le multimilliardaire, est chargé de former un gouvernement. Ce dernier serait accusé d’être proche des hommes d’affaires syriens et russes qui auraient fait parvenir la charge de nitrate d’ammonium au bord du MV Rhosus au port de Beyrouth. Sa nomination a sonné comme un glas. Les institutions libanaises ou ce qu’il en reste peinent à remplir leurs vocations. Le pays du cèdre de plus en plus appauvri, démuni et dont la population survit sans accès aux médicaments, aux denrées alimentaires de première nécessité, aux carburants et à l’électricité n’a pas arrêté sa descente aux enfers depuis un an.
Quelles sont les solutions concrètes pour aider les Libanais dans leur traversée du désert ?
Le Pape François, le jour de la commémoration du 4 août, rappelle une idée primordiale : la nécessité de proposer des mesures concrètes pour sauver le Liban. Le concret, hélas, est absent de l’initiative française. La France avec sa bonne volonté indéniable vient d’organiser un congrès pour aider le Liban financièrement à hauteur de 100 millions de dollars. Or, le Président Macron, en n’engageant toujours pas de sanctions contre les responsables libanais tel que promis et annoncé par son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian, ne serait-il pas en train de maintenir le pays en vie sous perfusion artificielle ? La justice est la première demande du peuple libanais. Cette justice, à défaut de mener une enquête internationale, ne viendra qu’à travers les urnes. Or, plus le pouvoir législatif reste accaparé par la même majorité, décrédibilisée dans la rue depuis le 17 octobre 2019, plus la crise perdurera. Des élections législatives anticipées permettront aux Libanais de recouvrir une vie démocratique saine, de changer la configuration au pouvoir et les équilibres de forces afin de tourner la page pénible de plus de quarante ans de népotisme, de corruption, d’armement milicien illégal et surtout d’infiltrations de notre territoire et nos institutions par des puissances étrangères régionales qui n’ont de cesse de déstabiliser et piller le pays du cèdre. La neutralité active et la transition vers un système plus décentralisé seraient les nouveaux chapitres à écrire si le peuple réussit à braver les obstacles à travers des élections équitables sous surveillance internationale.
Maya Khadra Pinot de Villechenon
Journaliste, doctorante et enseignante