Le projet de Loi de finances pour 2023 sent le péril car il est élaboré avec une forte dose d’optimisme que la conjoncture de cette année difficile ne permettra pas de confirmer. Le Haut Conseil des Finances Publiques l’indique dans son Avis du 21 Septembre courant.
En premier lieu, ce budget confirme -incidemment- que la hausse des taxes foncières va se poursuivre. Ce fait confirme l’analyse de plusieurs économistes qui avaient souligné le jeu de miroir entre la suppression de la taxe d’habitation et la hausse corrélative de la TF. Le Gouvernement est pris en flagrant délit de tromperie, si l’on reprend ses déclarations relatives aux supposés bienfaits de sa politique fiscale. Il en sera de même lors de l’exécution de ce budget 2023 qui sent la poisse.
Ce budget 2023 est en effet bizarrement élaboré, n’anticipe pas le retournement de conjoncture de 2023 et sous-estime le chiffrage exact du coût des boucliers tarifaires qu’il pérennise (énergies principalement). Pour Bruno Le Maire, ce projet est “à l’€uro près” et “équilibré“. Amateur de belles lettres, le ministre a décidément l’art de la formule. Oser dire que le PLF 2023 est “équilibré” alors que son analyse budgétaire fait ressortir un déficit de 155 Mds, soit près de 45% du montant des recettes fiscales de notre pays ( !) est une forme d’humour au deuxième degré qui omet de nous préciser que la dette flambe.
De facto, les chiffres sont stricts : la dette publique de la France s’élevait à 2901,8 Mds fin mars 2022 et a augmenté de 88,8 Mds en un trimestre. Ainsi, la dette aura crû de + 164,7 Mds en un an.
En 2023, l’Agence France Trésor compte emprunter 270 Mds (chiffre jamais atteint) contre 260 en 2021 et 2022. Avec un hiatus : près de 12% de cet appel de fonds concernera une dette indexée sur l’inflation, ce qui contribuera à alourdir la charge d’intérêts de la dette.
Sur ce point, les chiffres suscitent une inquiétude certaine. Il faut se souvenir que les intérêts de la dette s’élevaient à 38 Mds en 2021 et que le chiffre de 52 Mds a été retenu pour le PLF 2023 là où des économistes crédibles vont jusqu’à anticiper 60 Mds de charge d’intérêts.
Avec un déficit primaire programmé de 155 Mds, cela signifie que la France va dépasser les 3000 Milliards de dette d’ici 4 mois. Quand je repense à mes contributions sur plusieurs supports quand notre pays avait franchi le cap des 2000 Mds, je me raccroche à la pertinence des expertises de Jacques de Larosière (ancien Gouverneur de la Banque de France et ancien DG du FMI) qui considère que le “mur de la dette” se rapproche. Dans un autre registre, le député Olivier Marleix ne dit pas autre chose.
Si l’épisode extra-séculaire de la Covid explique une partie du dérapage, force est de constater que le président Macron alourdit la “cuenta” de ses prédécesseurs. Revenons alors à Monsieur Le Maire – qui décidément confond processus budgétaire avec Rentrée littéraire – qui a déclaré Lundi : “Le quoi qu’il en coûte serait une faute économique en période d’inflation“.
Or, il faut appliquer cette citation à l’année 2022 et regretter de devoir l’appliquer, aussi, à l’année 2023. A ce stade, la lecture de l’Avis du 21 Septembre du HCFP (Haut Conseil des Finances Publiques) est édifiante. Des personnalités usuellement pondérées pointent du doigt le chiffre euphorique (+1%) de la croissance retenu dans l’élaboration du Budget au mépris des analyses de la Banque de France (entre 0,8% et – 0,5% :donc récession), de la Barclays ou de Rexecode (0,0%).
Cette histoire de croissance à 1% est une fable qui n’est pas en cohérence avec les prévisions d’Outre-Rhin visant notre pays.
En matière de cardiologie pédiatrique, en matière de recherches opérationnelles sur l’hydrogène, la France sait se décarcasser et innover. Là, dans ce PLF 2023, un mot le caractérise : l’esprit de reconduction et l’abandon de l’esprit d’innovation.
De grandes métropoles nord-américaines et des compagnies pétrolières ont instillé la méthode du « BBZ » dans le processus d’élaboration de leurs budgets. Le Budget Base Zéro consiste à exécuter un exercice préalable à la définition du budget en effectuant une remise à zéro des postes sur lesquels il est probable que des marges de manœuvre existent.
Un exemple toujours un rien surprenant. Nos campagnes perdent des agriculteurs (validant ainsi le diagnostic ancien de l’estimé Henri Mendras : “La fin des paysans“) mais le ministère de tutelle est toujours joufflu au regard de son ratio d’efficacité. Il serait tentant d’appliquer en Juillet, soit en amont des arbitrages budgétaires de Bercy et de Matignon rendus en août, une intervention analytique de type BBZ. Un PLF de reconduction et de lassitude intellectuelle là où la crise oblige, à l’inverse, de produire un effort cognitif.
Revenons à l’Avis du HCFP :
“Pour 2023, le Haut Conseil estime que la prévision de croissance du Gouvernement (+1,0 %), supérieure à celle de la majorité des prévisionnistes, est, du fait de plusieurs hypothèses fragiles, un peu élevée. Les prévisions d’inflation (+4,2 %) et de masse salariale dans les branches marchandes (+5,0 %) sont quant à elles plausibles.
Le Haut Conseil estime que le solde public pour 2023, tout en étant affecté par la grande incertitude qui entoure les évolutions macroéconomiques et notamment les prix de l’énergie, pourrait être plus dégradé que prévu du fait de la sous-estimation de certaines dépenses.”
Je ne souscris pas à l’idée d’une prévision d’inflation 2023 limitée à 4,2%. Il me paraît évident – selon des secteurs où j’ai un peu d’expérience – que certaines dépenses sont sous-estimées. A commencer par l’évolution tendancielle du budget du ministère de l’Éducation nationale, même si j’adhère à la nécessaire revalorisation des traitements de ses personnels et enseignants.
Il faut le faire. Il faut le compter sincèrement et les 0,935 milliard d’accroissement semblent en retrait des montants requis pour que tous les enseignants perçoivent effectivement 2000 €uros de traitement à la date du 1er Septembre 2023.
“Au total, bien que s’appuyant sur des hypothèses optimistes, le Gouvernement prévoit pour 2023 une simple stabilité du déficit public effectif, une amélioration au mieux limitée du solde structurel et une quasi stabilité du ratio de dette. Le redressement des finances publiques s’annonce ainsi lent et très incertain en 2023.”
Pour effectuer une brève synthèse : il faut rappeler que nos recettes fiscales sont autour de 345 Mds, nos dépenses autour de 500 Mds d’où le déficit précité de 155 Mds d’€uros.
Quel ménage, quelle entreprise, quelle profession libérale pourrait tenir une telle équation qualifiable de risquée et de mortifère ? Oui, ce budget est aussi cosmétique que nimbé dans la poisse. Rendez-vous au PLFR avant l’été 2023 !
Les artisans et partisans de la majorité présidentielle devraient effectuer un sursaut. Pour la France et ses jeunes enfants, qui à défaut d’une rigueur à la Raymond Barre, connaîtront une austérité digne de celle de 1983.
Jean-Yves Archer
Économiste
Membre de la Société d’Economie Politique