Pour de nombreux citoyens, l’Etat et ses administrations sont responsables d’une décentralisation devenue illisible. Plusieurs association d’élus plaident, quant à elles, pour un acte III de la décentralisation. Mais la réforme qui semble se dessiner fait craindre à Benjamin Morel que le mille-feuille territorial ne devienne un kouign-amann breton au feuilleté anarchique et opaque. Explication.
La question d’un acte trois de décentralisation s’est longuement posée. Elle a agité les élus pris dans les méandres d’une loi NOTRe qui fait, depuis son adoption, l’unanimité contre elle. Durant les débats, Emmanuel Macron a semblé prendre conscience des difficultés d’organisation des collectivités et du trouble démocratique qui lui est inhérent. Les communes sont pour certaines étouffées financièrement et prises dans le filet d’intercommunalités trop grandes et peu adaptées. Comme le soulignait bien le Président, dans son débat de Saint-Brieuc, les départements sont devenus les opérateurs de l’État. Ils mènent des politiques pour lesquels ils ne sont pas décisionnaires. Les régions, trop grandes, ont centralisé dans les métropoles ce qui avait quitté Paris. Les citoyens votent, de moins en moins, aux élections locales, mais ils votent pour quoi ?
Des compétences enchevêtrées et une responsabilité peu claire témoignent d’une décentralisation, bâtie pour des élus et par des élus, à laquelle les citoyens ont cessé de s’intéresser.
Deux pistes de réforme étaient alors possibles : la construction d’une décentralisation lisible et citoyenne ; une complexification à outrance par l’intermédiaire d’un droit à la différenciation permettant aux élus locaux de s’arranger entre eux des compétences qu’ils veulent exercer. La première était de bon sens démocratique, la seconde d’opportunité politique. La première aurait permis au Roi de donner un souffle à son peuple. La seconde lui permettait de flatter ses barons. Les barons, enfin surtout un duc, semblent l’avoir emporté. Le peuple, lui, attendra encore la démocratie locale.
La première piste visait, comme Emmanuel Macron l’avait lui-même déclaré de nombreuses fois dans les débats, à lier ensemble responsabilité, financements et compétences.
À chaque niveau de collectivités devait être accordé un groupe de compétences appréciables concrètement par le citoyen.
C’est là un point essentiel si l’on veut que soit mise en jeu la responsabilité démocratique des dirigeants. Pour le citoyen, apprécier un bilan, c’est savoir concrètement qui fait quoi. Comme il ne s’agit pas de faire voter uniquement des spécialistes de droit des collectivités territoriales, ces compétences doivent être uniformes sur le territoire et s’ancrer dans le temps long. Elles doivent aller avec un financement pérenne sur lequel peuvent jouer ces collectivités. La maîtrise du taux d’un impôt fixé localement peut ainsi permettre d’assurer un lien financier entre la politique menée et son coût. Par ailleurs, la crise des « gilets jaunes » a montré la déconnexion de la démocratie locale par l’intermédiaire des intercommunalités et de régions démesurées. À plusieurs reprises, Emmanuel Macron a ainsi fait l’éloge de la commune et du département. Échelons identifiés, stables et de proximité, c’est bien eux qui auraient dû sortir vainqueurs de ce besoin de local.
Des compétences claires, un échelon proche, ces deux conditions auraient été nécessaires pour que le RIC local ne soit pas un simple effet d’annonce.
En effet, rien de nouveau en la matière. Toutefois, identifié à une clarté de la vie et des compétences locales il aurait sans doute permis de stimuler les initiatives. Couplé aux élections locales, il aurait permis de renforcer la participation. Et si certaines compétences relevant de plusieurs niveaux de collectivités semblaient impliquer une meilleure coopération, le conseiller territorial, prôné par Sébastien Lecornu, pouvait permettre d’assurer des synergies.
La seconde piste, celle qui semble avoir été retenue, fut présentée par Richard Ferrand dans les Échos le 2 avril. Elle passe avant tout par la différenciation et doit permettre dans le cadre de chaque région aux collectivités de s’organiser à la carte. Une compétence pourra ainsi appartenir à la région en PACA et au département en Occitanie, et même à l’État dans les Hauts de France. L’illisibilité démocratique absolue où, à la frontière de chaque commune, les enjeux des élections locales seront à redéfinir… Le RIC local n’est alors qu’un gadget tout comme l’idée d’une revivification de la démocratie par le bas…
À la place du millefeuille, un kouign-amann breton : au feuilleté anarchique et opaque.
Une décentralisation pour les élus qui n’a que faire du citoyen. Mais pourquoi une telle régression ? Dans le Télégramme du 8 février 2019, Richard Ferrand, plaide pour une « Assemblée de Bretagne » dans la région qu’il ambitionne de conquérir. Or celle-ci impose la fusion des quatre départements et de la région, ce qui est justement l’une des possibilités offertes par le projet envisagé. Un argument électoral de choc ? Une proposition qui devrait toutefois permettre au président de l’Assemblée de recueillir le soutien de certains élus bretons. Quelques semaines après cette tribune d’ailleurs, son principal rival, Jean-Yves le Drian, s’est senti obligé d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de son Breiz Lab.
Bref, plutôt qu’une vraie ambition démocratique pour la décentralisation, un projet de loi à destination des élus afin de satisfaire un grand baron. Qu’importe donc le grand débat. Vive le Duc de Bretagne.
Benjamin Morel
Docteur à l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay,
chargé d’enseignement à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à Science Po