Lundi à 20 heures Emmanuel Macron devait intervenir sur les chaînes de télévision pour dévoiler les mesures retenues à l’issue du grand débat. Mais l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a bouleversé le plan de communication du Président. Analyse de Jacky Isabello, fondateur de Coriolink.
Lundi 15 avril 2019 constituait sans aucun doute le premier jour du reste de la vie du président de la République. De sa vie ? Allons donc, de son expérience quinquennale assurément. Or à 18h30 presque entre chien et loup s’est mise à retentir une alarme incendie. La seule qui pouvait détraquer la machine programmée pour s’adresser au peuple français à 20h précises. Il s’agissait de l’incendie de Notre-Dame de Paris visitée chaque année par plus de 13 millions de touristes. Le plus atroce de toute l’histoire culturelle, patrimoniale et identitaire française. Et la pire entrave à la capacité de parole présidentielle qu’Emmanuel Macron avait construite comme un événement quasi-messianique. Depuis ce moment, on sent la communication du Président fébrile. Lors de la révélation de l’affaire Benalla elle avait été brinquebalante. Des causes différentes, ce terrible incendie, provoqueraient-elles des effets identiques ?
Quels que soient les désagréments, en termes de communication politique il s’agissait alors pour l’ensemble des conseillers de l’Elysée, s’ils sont encore là, de pratiquer le spinning narrative pour employer des termes chers aux anglo-saxons, c’est-à-dire permettre à l’horloge politique présidentielle de reprendre un rythme cohérent, quels que soient les soubresauts conjoncturels. Ce terme qui donna le fameux « spin doctor » a buté, dans la pratique macronienne, sur plusieurs obstacles. La flèche de Notre-Dame lorsqu’elle s’est effondrée à couvert le son de la parole présidentielle. Elle a déréglé sa capacité d’action et la bonne lisibilité de celle-ci.
Un bon début, puis de la gesticulation excessive
La crise lorsqu’elle survient voit deux types d’Hommes providentiels tenter de s’opposer à elle. Ceux qui pensent revenir à la situation antérieure, ceux-là sont dangereux. Et ceux paisibles qui traitent les effets de la crise à la méthode de Michel Dobry dans Sociologie des crises politiques, La dynamique des mobilisations multisectorielles. Prendre la situation telle qu’elle a évolué pour éviter qu’elle ne se conjugue avec d’autres paramètres aggravant celle-ci.
Dans le cas d’Emmanuel Macron l’accident de l’annulation de son discours se télescope avec l’intention de son adresse : apaiser la colère des « gilets jaunes » et rapprocher une société fragmentée en archipel selon l’expression de Jérôme Fourquet. Le Président semble très mal vivre cette situation. Sa première prise de parole, tout en sobriété, sur le terrain, entouré de ses ministres et de son épouse peut être qualifiée de bonne première manche. Or l’incendie s’est propagé hors la Cathédrale. Si la force destructrice du diable incandescent a été contenue par d’héroïques sapeurs-pompiers entre les murs de l’édifice sacré, elle n’a pas trouvé de réponse à la hauteur hors les murs de notre « Beloved Lady » (The Daily Telegraph) dans la parole du Président si ce n’est une apparition à la télévision dont la posture et les mots s’assemblaient assez mal. Nombreux sont les observateurs à s’être interrogés sur l’objet de cette seconde prise de parole.
Elle n’a fait que mettre en perspective un inconfort de l’Elysée dans la manière de conduire la suite des opérations de reconquête de l’opinion.
Il ne faudrait pas, par capillarité, qu’elle se conjugue avec l’épreuve des « gilets jaunes ». Essayons de raconter par prolepsis et analepsis (un coup de pagaie dans le futur puis dans le passé) en imaginant les ratiocinations du Président et de ses équipes.
1 – Primo : la chaleur de l’incendie a décimé l’adresse du chef de l’Etat. Il a été contraint de propager sur la scène publique les mesures qu’il comptait mettre en scène à la télévision. Il a été privé du pouvoir d’y ajouter son commentaire et sa présence charismatique. Ses annonces, l’essentiel de sa tentative de retrouver la concorde nationale, sont désormais offertes aux commentateurs, comme des céréales au rayon vrac d’un hyper marché, livrées sans emballage. L’aliment nous est accessible, or le packaging indispensable, formalisé par l’intention présidentielle, son être, sa voix, a été jeté en pâture aux médias et aux analystes de tous bords. En sémiologie on sait que les mots et les images forment le sens. L’un sans l’autre perd de sa sacralité politique.
2 – Secundo : conscient de cet effet de souffle et du fait que sa contre-attaque aux « gilets jaunes » allait faire flop s’il ne pouvait en personne prêcher la bonne parole et expliquer ses mesures, sereinement posé, sûr de sa force dans sa cathèdre élyséenne, M. Macron a décidé de faire diversion. Et pour cela, il a improvisé une prise de parole à la télévision. Pourquoi reparler de Notre-Dame et oublier la sainte règle : le silence est d’or ? Son émotion sur le parvis de la cathédrale, la sobriété de ses quelques mots suffisaient à exprimer toute la douleur du peuple français. Le symbole de ses mains dans celles de Monseigneur Chauvet, le recteur du monument en flamme, en disait plus que mille pages de discours. On le sait depuis l’image de MM Kohl et Mitterrand, cette poignée de main figée dans l’histoire le 22 septembre 1984 devant un catafalque placé à l’entrée de l’ossuaire de Douaumont, lors d’une commémoration des morts de la Première Guerre mondiale.
3 – Tertio : catastrophé par le déversement de ses saintes mesures fuyant comme du Brent par la coque d’un tanker rouillé, le Président a surjoué par excès d’empathie le « Père de la nation », l’ambitieux chef de l’Etat porteur du projet de reconstruction le plus ambitieux pour son pays. Les analogies de son propos ont humanisé la Cathédrale à l’instar de ce qu’Hugo avait su faire dans son célèbre roman. Or tout le monde n’a pas la trempe de l’exilé de Guernesey.
A comparer les « gilets jaunes » et l’accident il s’est rendu illisible.
Il a suscité chez les commentateurs mille interrogations. Aurait-il dû laisser passer quelques jours avant de reprendre la parole pour rassurer sur l’avenir de Notre-Dame et annoncer la reprise du « business as usual», sans doute. Quoi qu’il en soit, il faudra retrouver une voix et traiter l’éruption de colère en jaune, nombreux sont ceux qui le pensent.
4 – Quarto : à cette communication qui peine à retrouver de la signification, on peut malheureusement ajouter que le Président a grillé ses cartouches et la foule en flamme de nos rendez-vous saturnins ne s’est toujours pas apaisée. L’effet waouhh de mesures tant attendues a fait pschitt. Andersen, conteur de son état, aurait dit que le roi est nu. M. Macron l’est, certes, et il le sait. Il doit de surcroit trouver le moyen d’être à nouveau audible. L’exercice sera plus ardu encore qu’il ne fût lundi avant d’enregistrer son message audiovisuel, avant l’incendie ravageur.
5 – Quinto : le Maitre des horloges perd la main. Le concours Lépine des meilleures mesures pour cacher l’ab-communication qui s’éloigne, quel que soit l’intérêt du concours international pour reconstruire la flèche annoncé par le Premier ministre, n’y changera rien.
6 – Sexto : quand pourra-t-on entendre à nouveau le Président ? Et cette question en pose une autre.
Au silence sacré qui lui est imposé, le mouvement des « gilets jaunes » aura-t-il la subtilité de saisir qu’il peut en faire une opportunité politique ?
Sauront-ils faire passer un message aux citoyens parisiens ? Un message annonçant le report de leur 23e acte, comme on s’impose une période de deuil afin de manifester son respect à une métropole blessée.
7 – Septimo : dans quels délais le Président Père Noël pourra-t-il faire renaître une parole attendue ? Du besoin de recueillement du pays et de l’attitude des « gilets jaunes », scrutée par tous, dépendra le délai et la forme de sa nouvelle homélie élyséenne. Mais aussi de sa capacité à se présenter devant la nation en confessant que la hotte pleine de mesures a été distribuée par l’intermédiaire d’une dépêche très factuelle de l’Agence France Presse.
8 – Octavo : sur ce point le logiciel élyséen est sans doute en fusion. Il est impensable que le Président s’en tienne à des mesures déjà révélées, sans autre forme de commentaire. Il lui faut une autre épiphanie. Les équipes de conseillers techniques s’attèlent en ce moment à la reconstruction du portefeuille de mesures du Président. Vont-ils imaginer d’autres dispositifs, un nouveau projet de société, une nouvelle forme discursive, le scenario s’écrit pendant que vous lisez ces lignes…
En communication, le temps est infidèle : s’il se laisse dompter un bref instant par le rythme présidentiel, la leçon sera qu’il déteste voir son écoulement régenté. Quant à l’impératif présidentiel de reprendre la parole, il pourrait se concentrer sur une séquence d’hyper présidentialisation. Quel ton devra-t-il adopter ? A l’ethos et au logos qui auraient dû surgir du discours de lundi dernier, devraient succéder des accents de pathos. Son autorité et sa solennité devaient pavoiser dans un cadrage caméra taillé sur mesure pour l’événement. La voix, celle forgée durant la campagne présidentielle par l’immense baryton Jean-Philippe Lafont, avait lustré ses cuivres pour donner toute la place nécessaire aux harmonies les plus graves de son organe présidentiel. Gestes, costume, maquillage, débit du texte, tout avait été pesé au trébuchet de l’épure communicationnelle. Bref le produit devait être parfait ! Car il ne pouvait en être autrement, au risque de mettre le feu au quinquennat et aux réformes promises au pays. Dans sa prochaine adresse, le Président pourrait s’assagir et ressaisir le moment qui se déroule. Jouer d’autorité et d’émotion comme un père sait le faire. N’est-il pas en quelque sorte l’héritier des Présidents pères de la Nation. Lorsqu’on est le Président, mais aussi un Homme politique, on se doit de sentir la puissance tellurique des événements, le moment où l’émotion ouvre le cœur du peuple. Il va se représenter, il sera temps alors de reprendre la parole !
Jacky Isabello
Fondateur de Coriolink