La possibilité d’un duel entre Emmanuel Macron et Valérie Pécresse fait renaître l’espoir d’une alternance, et la possibilité d’une victoire pour la droite. Un face-à-face programmatique imposerait également une réflexion sur le destin de la France, en forçant Emmanuel Macron à sortir de son rôle de monarque républicain, de son « en-même-tempisme » idiosyncrasique. Par ailleurs, de cet agôn, devraient émerger deux statures présidentielles. Si Macron et Pécresse partagent a priori un profil similaire, celui d’une personnalité politique technique, il existe aussi des antagonismes salutaires, car à même de donner de la chair et de la saveur à cette confrontation, qui devraient croître au long de cette campagne électorale.
Primo, le premier antagonisme, le plus symbolique, même s’il devrait être dans le fond le plus trivial : la différence de sexe, laquelle, ironie de l’histoire, va desservir le candidat progressiste. La droite aura beau jeu de vanter la possibilité historique de l’accession d’une femme à la fonction suprême, comme un pied de nez aux postures inclusives du camp du progrès. Il est d’ailleurs savoureux que le candidat des marcheurs, dont certains sont des zélotes de la discrimination positive, coche quasiment toutes les cases des attributs supposés de domination et de désirabilité sociale : sexe masculin, force de l’âge, hétérosexuel, cisgenre, blanc, bourgeois, grandes écoles, mince, beau, jusqu’aux yeux clairs et une chevelure qui se maintient. Manifestement, la discrimination positive, comme la morale, s’applique toujours plus aux autres qu’à soi-même…
Secundo, la tonalité thymique qui animera les deux candidats. Emmanuel Macron restera le candidat de l’optimisme, par nature et par stratégie. Il sera dans la lignée des Kennedy et Obama, des démocrates américains charismatiques, vendeurs de lendemains qui chantent, avec un tropisme particulier pour la jeunesse, naturellement plus réceptive à l’élation et à l’utopie. Des lendemains d’opportunités individuelles, d’Europe souveraine, de relance industrielle verte, d’équité sociale et d’avancées sociétales. Valérie Pécresse devrait, à l’inverse, adopter la posture gaulliste, celle du tragique de l’Histoire, un pessimisme mâtiné de l’ambition de se hisser à la hauteur des défis, avec l’exigence envers soi-même et autrui que cela implique, et l’impératif d’une nation régénérée pour faire face aux périls de demain.
L’optimisme est en général plus porteur d’adhésion, mais l’emprise des différentes crises, virale, financière, sociétale, pourrait donner une prime au pessimisme, ou tout du moins à la gravité.
Tertio, qui découle d’ailleurs du deuxième point, l’économie et les réformes. Emmanuel Macron est habité par le productivisme, et continuera d’instiller l’idée réconfortante mais démagogique, que la croissance et l’efficience managériale tiennent les réponses aux déficits structurels français. Échaudé par les jacqueries qui ont émaillé son quinquennat, et toujours soucieux de ne pas trop déplaire, il restera fidèle à un volontarisme de surface, à des réformes sans refonte, à un « tout change pour que rien ne change », armé d’un keynésianisme censé apporter la prospérité et éviter les potions amères. Ce qui est une excellente stratégie électoraliste, dans la mesure où cette indolence budgétaire, portée aux nues grâce au « quoi qu’il en coûte » et dopée par la relance européenne, concourt probablement à sa popularité actuelle. Valérie Pécresse, dans la lignée de François Fillon, devrait a contrario assumer un « discours de vérité », « malthusien ». À savoir que la production ne sera jamais suffisante pour compenser la gabegie étatique, et combler les besoins infinis de la population. Et que le retour à un fonctionnement et à un périmètre sain de l’Etat, impliquerait de fait le retour à la responsabilisation individuelle, tout en imposant une refonte de cet Etat-providence sclérosé, qui a accumulé les strates d’impéritie, d’incurie, et de clientélisme au cours des générations. Ce discours de vérité serait d’ailleurs fort périlleux, tant il est inaudible, et qu’il était probablement parti pour coûter son élection à François Fillon, nonobstant les affaires. Toutefois l’inflation, et une remontée menaçante des taux directeurs, qui feraient apparaître la fuite en avant dépensière d’Emmanuel Macron comme irresponsable, pourraient aussi quelque peu changer la donne sur ce point.
Quarto, la vision sociétale.
Même si, relativement au candidat de 2017, le président Macron a fait une certaine mue républicaine, il reste le candidat du libéralisme, dans sa version nord-américaine.
Dans le logiciel libéral, la prospérité économique est l’alpha et l’omega de la paix sociale. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron met régulièrement les enjeux sociétaux sous l’étouffoir, dans l’attente d’une relance qu’il prophétise sans relâche. Il incarne également le relativisme culturel et le clientélisme multiculturel, l’idéologie post-nationale light et la chimère du fédéralisme européen, incarnée par cette bannière étoilée européenne flottant seule sous l’arc de triomphe. Il représente donc cette utopie très libérale de la fin de l’Histoire, avec son besoin entêtant de solder les contentieux historiques, et sa promotion enthousiaste de la technocratie, garante de la concorde perpétuelle, loin des passions des peuples. Valérie Pécresse devrait prendre au contraire le parti du retour de l’Histoire, de l’idéal républicain, de l’Europe des nations, avec la défense inconditionnelle de la primauté de la culture française et de l’assimilation, ainsi que le refus de la repentance mémorielle et des particularismes. A cet égard, Nicolas Sarkozy a fait preuve d’une prescience providentielle en rebaptisant l’UMP en « Les Républicains », puisque ce terme, qui apparaissait vulgairement américain à l’époque, est devenu aujourd’hui structurant, et qu’il permettra de mettre en musique le duel avec les libéraux, lors d’un éventuel second tour. C’est en effet sur ce choix de société, entre universalisme républicain et essentialisme libéral, le plus dangereux pour Emmanuel Macron qui entretient l’ambiguïté à escient, que Valérie Pécresse pourrait incarner la rupture et le changement. Elle pourra d’ailleurs mettre en exergue que le wokisme et le trumpisme, qui ont tous deux métastasé dans la vie politique française, sont justement les fruits vénéneux de l’exubérance du libéralisme (le premier en étant une radicalisation collectiviste1, le second une réaction individualiste2). Ajoutant que cette putréfaction du libéralisme, qui gangrène les États-Unis d’Amérique, gangrène tout autant l’Union Européenne, qui repose sur le même postulat libéral. Et concluant qu’Emmanuel Macron, qui cherche tant à se poser comme le rempart contre les extrêmes, incarne, en tant que candidat du libéralisme, bien le problème et non la solution.
Quinto, le dernier antagonisme, sera celui du rapport à la fonction présidentielle. Emmanuel Macron était un élu providentiel, qui n’était responsable devant ni programme, ni parti. Ce qui s’est révélé être un atout stratégique, dans la mesure où cela lui offrait une totale liberté d’action, et une fluidité de positionnements politiques; loin des synthèses et autres accords d’appareil. Il s’est également avéré être un dirigeant avide de pouvoir, dont l’exercice était excessivement personnel, et en décalage avec la réalité de ses forces, un « tigre de papier » politique en quelque sorte. De surcroît, son approche libérale et managériale, tout autant que son individualisme intrinsèque, l’empêchaient de fait d’un amour sincère des Français, comme il a pu lui-même l’avouer. Sa curieuse proposition, dans son discours devant le Parlement européen, de mandater des experts afin de « bâtir ensemble le legs de cette histoire commune d’où nous venons » est tout à fait symbolique de son approche désincarnée des choses. Il s’agit d’ailleurs là, de son habituel réflexe de banquier d’affaires, qui commande des audits, afin de se saisir des questions et de trancher les nœuds gordiens. Comme si la culture et l’âme d’un peuple, ou d’un continent, étaient une chose quantifiable, évaluable, négociable. Comme si cela n’allait pas de soi, et qu’il eut fallu la « bâtir » et surtout l’inscrire dans une déclaration de principe, qui sera aussitôt contestée, comme le veut la logique du libéralisme sociétal. Ce hiatus entre autorité et incarnation a été le grand malentendu de son quinquennat, tout autant que la source de cet autoritarisme moralisant et arrogant que lui-même et ses marcheurs peuvent personnifier aux yeux des Français.
Chaque candidat se pose en contraste de celui qui l’a précédé.
Et Valérie Pécresse aborde d’ores et déjà la fonction présidentielle à contre-pied d’Emmanuel Macron, en mettant en avant un programme politique, et un collectif pour le porter, ainsi qu’une humilité affichée, en plaçant les Français au cœur de ses préoccupations. Elle promeut également un exercice plus dépersonnalisé et collégial de la fonction présidentielle, ainsi qu’un partage des responsabilités, avec notamment son projet de décentralisation ; en parfait contraste d’Emmanuel Macron, partisan d’une verticalité abrupte du pouvoir.
Pour résumer, Emmanuel Macron a été le président directeur général d’une marque France, qu’il voulait à son image, dissoute dans un fédéralisme européen, et réduite à une mosaïque d’identités, dont il s’évertuait à rester le plus petit dénominateur commun. Valérie Pécresse devrait pour sa part raviver le projet gaulliste, qu’Emmanuel Macron tente systématiquement d’escamoter dans son duel avec les populistes. Un projet qui rétablirait les continuités historiques et sociétales, et qui réhabiliterait l’universalisme d’une république française, une, indivisible, et insoluble. En guise de conclusion, et d’analogie sémantique avec les titres des anciens monarques : Emmanuel Macron a été un président de France. Valérie Pécresse devrait quant à elle se poser en présidente des Français.
François-Xavier Roucaut
Psychiatre
Professeur adjoint de clinique à l’université de Montréal