La lumière rasante de novembre joue dans le feuillage roussi des arbres, en harmonie avec les taches de couleur jaune, pourpre et blanche des chrysanthèmes dans les cimetières désormais rendus à leur paix à l’issue des célébrations de la Toussaint de 2021.
Mais la trêve du temps de recueillement aura été de courte durée. L’actualité a vite repris ses droits et renoué avec sa course implacable et menaçante : reprise épidémique partout en Europe, rentrée des écoliers dans une quarantaine de départements hexagonaux et à la Réunion sous le signe du masque à nouveau, après un répit trop court, agression au couteau de deux policiers à Cannes, d’une brutalité abjecte et intolérable, fort heureusement déjouée mais hélas révélatrice du danger mortel encore et toujours ancré dans notre quotidien, nous renvoyant à ce désormais familier sentiment diffus d’impuissance des gouvernants face à l’hydre de la violence terroriste… Il reste hélas peu de latitude pour s’abandonner à la mélancolie contemplative liée à cette période de l’année où les vivants rendent hommage à leurs morts et songent à la fuite du temps.
Le 8 novembre 1979, à l’hôpital du Val-de-Grâce au cœur de la capitale, Yvonne de Gaulle s’éteignait, à une journée près, la veille du neuvième anniversaire de la disparition du Général – le 9 novembre 1970- un chêne immense, foudroyé à la nuit tombée dans leur retraite de Haute-Marne, la Boisserie. Deux dates si rapprochées pour le départ de ces deux êtres d’exception rappelés au même âge, ce couple entré dans l’histoire de son vivant, au destin à jamais confondu avec celui de la France, le « cher et vieux pays », celui d’avant et de toujours, indestructible parce que chevillé au plus profond de leur âme, quel extraordinaire et noble signe de la Providence !
Charles de Gaulle et la France, c’est plus qu’un duo, une incarnation. 51 ans après, les anniversaires se succédant, ce sentiment de perte, que rien ne saurait affadir, est toujours aussi vivace dans notre pays en quête désespérée de repères et si abîmé avec « les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même » -comment ne pas se souvenir de cette observation du Général ?-; ce deuil insurmontable est aussi comme un rappel ardent à nous ressaisir et c’est bien là que réside le lien mystérieux entre l’homme de l’Appel du 18 juin 1940 et ses concitoyens, au-delà même du tombeau humble blotti contre le mur au flanc du sanctuaire de Colombey-les-Deux Églises, qui fait de ce connétable une figure unique de notre Histoire, intimement enracinée dans nos consciences, et cela quel que soit le jugement porté sur son action. Car il est celui qui a écrit- le temps étant enfin venu de se pencher sur son combat au service de cette terre tant comprise, aimée et respectée par lui, sous toutes ses facettes, dans sa lumière et son obscurité inscrites au fil des siècles tout au long de son histoire- « Notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, voir haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »
A bonne distance de la facilité qui consiste pour les dirigeants de l’instant à courir après l’adhésion aux inepties de la doxa en vigueur, en grande partie venue d’un ailleurs qui n’a rien de commun avec une « certaine idée de la France », loin de l’argent corrupteur, des luxes clinquants, des faux-semblants, de la communication creuse en lieu d’action, le Général de Gaulle se dresse dans notre histoire comme le parfait antidote à la vulgarité et à la médiocrité qui semblent de plus en plus être la marque de fabrique de ceux qui se complaisent depuis trop longtemps à abaisser la France et parmi lesquels, certains néanmoins ont quand même l’outrecuidance de briguer sa conduite…
Pour qu’on ne dise pas un jour en parlant du « cher et vieux pays », que l’on reconnaît une grande civilisation à la beauté de ses ruines, il faut avoir conscience du monde et de l’humanité qu’il convient de sauver en luttant contre les démons de la traîtrise et du néant, à l’instar du combat d’une existence toute entière, celui du Général de Gaulle interrompu le 9 novembre 1970 à la tombée de la nuit, un repère pour guider les Françaises et les Français dans les écueils d’une pré-campagne électorale sans lumière en période de pandémie toujours riche en mauvaises surprises, dans une France en proie aux doutes et aux clivages, une Europe sans vision commune réellement partagée et un monde où les cartographes et les navigateurs s’éloignent de plus en plus les uns des autres…
Puisse le 51e anniversaire de la disparition du Général inspirer au pays dans sa grande diversité et son réel désarroi un moment de recueillement et d’espérance, à l’abri des récupérations mesquines et des calculs électoraux, toutes choses que le Connétable ainsi que l’avait surnommé Churchill, un de ses pairs dans l’histoire universelle, avait en horreur, habité comme il le fut par le sens de l’honneur et du respect que l’on doit à la France.
Eric Cerf-Mayer