À la fin du deuxième trimestre 2024, la dette publique des administrations publiques s’élève à 3 228,4 Md €, soit 112 % du produit intérieur brut (soit plus de 50 points en 25 ans) et une hausse de 127 Md € au cours du premier trimestre de l’année. Cette situation financière catastrophique a conduit une grande partie du « bloc central » à se faire les chantres d’un « tournant de la rigueur ». Seulement, un tournant de la rigueur n’est pas un projet en soi, il s’agit surtout d’un moyen pour poursuivre des objectifs plus grands tels que renouer avec une puissance française.
Le tournant de la rigueur est impératif
La France est addicte aux dépenses publiques depuis plus de 50 ans. Une augmentation qui est continue tant sur les dépenses de fonctionnement, et singulièrement de personnel, (passant de 19,6 Md € en 1970 à 514,2 Md € en 2023) que sur les prestations sociales (passant de 18,3 Md € en 1970 à 709,9 Md € en 2023). C’est à ce titre qu’est constaté un décrochage de plus en plus accru des recettes, connaissant elles aussi une croissance continue sur la même période (passant de 51,7 Md € en 1970 à 1 455 Md € en 2023).
Autrement dit, l’augmentation de la dette publique française n’est pas due à une baisse significative des recettes mais bien à l’explosion de ses dépenses, instituant le recours au déficit et à l’emprunt comme un mode pérenne de financement des politiques et de la technostructure publiques.
Ce désastre budgétaire s’explique car le parti pris de tous les gouvernements successifs fut de compenser la perte de chaque point de croissance par une masse équivalente d’argent public (situation parvenant à son paroxysme lors de la crise du COVID-19 et de l’actuelle crise née de la guerre en Ukraine). Cela a plongé la France dans un cercle vicieux que nous commençons d’ores et déjà à payer sur les marchés financiers par l’augmentation continue des taux d’intérêts sur ses obligations à long terme, naguère nuls voire négatifs et ayant atteint la barre des 3% en fin d’année 2023 et ne réussissant pas à faire diminuer ses taux à l’heure où le financement du terme à horizon long devient un enjeu important.
La rigueur, levier de l’efficacité économique
Pourtant, la rigueur budgétaire ne doit pas être perçue comme une contrainte, mais comme un levier stratégique pour améliorer l’efficacité économique à long terme.
Au-delà de la simple nécessité de réduire les déficits, la rigueur peut devenir un vecteur d’optimisation des dépenses publiques et de rationalisation de l’administration de l’État. En redirigeant les ressources vers des investissements plus productifs et en rationalisant les dépenses non essentielles, elle permet à moyen terme de redessiner le rôle de l’État comme un acteur offrant un environnement favorable à la croissance économique.
Une rigueur budgétaire doit aussi consister à soutenir la compétitivité économique en allouant les ressources disponibles aux secteurs porteurs d’avenir.
En réorientant les fonds publics vers des investissements dans des domaines à forte valeur ajoutée où l’État peut non seulement contribuer à la modernisation de son économie, mais aussi stimuler la croissance à long terme. La rigueur budgétaire ne doit pas signifier un « repli » mais un « réinvestissement » stratégique. L’État stratège doit reprendre tout son sens en investissant dans des positions financières « gagnant-gagnant » permettant de participer à la croissance tout en dégageant les fruits d’un placement réussi pour l’État.
Mais la rigueur ne constitue pas un projet politique en soi
Il n’y a jamais eu de réel tournant de la rigueur en France.
En revanche, plusieurs responsables politiques ont cherché à mettre en scène « un tournant de la rigueur » comme projet politique pour construire une crédibilité de bon gestionnaire. Preuve par l’exemple, lors du fameux « tournant de la rigueur » opéré par François Mitterrand en 1982/1983, les dépenses publiques continuent d’augmenter. En 1981, elles représentent 50,2 % du PIB selon l’INSEE contre plus de 53 % en 1986. Quelle curieuse austérité budgétaire ! Autre exemple, sous Jacques Chirac en 1995, la nomination d’Alain Juppé doit répondre à l’impératif de réduire le « trou de la Sécu ». Résultat : les dépenses publiques se stabilisent autour de 55 % du PIB jusqu’en 1997, mais ne baissent pas.
En réalité, un « tournant de la rigueur » cache surtout des hausses d’impôts. En 1982, Pierre Mauroy majore l’impôt sur le revenu en créant une tranche d’impôt supplémentaire à 65 %. En 1996, Alain Juppé crée la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), un impôt temporaire pour financer « le trou de la Sécu » que nous payons toujours. Seulement, les Français ne peuvent plus supporter une telle pression fiscale. En effet, elle s’appuie en large majorité sur des dépenses contraintes pesant sur les personnes physiques et morales y étant assujetties, qu’il s’agisse de la taxe sur la valeur ajoutée (passant de 89,6 Mds € en 1995 à 205 Mds € en 2023) profitant de l’effet d’aubaine accordé par l’inflation, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques et le tabac (passant de 51,8 Mds € en 1995 à 111,3 Mds € en 2023) ou les impôts courants sur le revenu pour un montant de 351,2 Mds en 2023, dont 147,3 Mds € pour la contribution sociale généralisé 64,7 Mds € en 1995), 97,4 Mds € (avant crédits d’impôt) pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques (49,8 Mds € en 1995) et 67,4 Mds € pour l’impôt des sociétés (35,4 Mds € en 1995).
Un « tournant de la rigueur » ne sera jamais un projet politique. En revanche, une politique de réduction des dépenses dispendieuses de l’État doit être entreprise et poursuivie par des réformes structurelles pour pleinement entrer dans la modernité du XXIème siècle et rattraper économiquement l’Allemagne afin de pouvoir peser davantage dans les arbitrages européens au service de nos intérêts.
Hugo Spring-Ragain,
Expert des questions économiques du think-tank Le Millénaire et co-auteur du rapport « Crise de la dette française : vers un tournant de la rigueur ? »
Romain Boulanger,
Analyste économique au think-tank Le Millénaire et co-auteur du rapport « Crise de la dette française : vers un tournant de la rigueur ? »
Source : Massimo Parisi