Les travaux fort bien documentés de Laurence Boone, au nom de l’OCDE, ont établi avec netteté le risque avéré d’une récession en Europe et notamment en France. C’est en effet le scénario le plus sombre qu’il s’agit désormais d’extraire de ces travaux récents. Réaction de Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique.
Le risque de récession a une double origine : d’une part un choc d’offre principalement issu de la sino-dépendance de notre appareil productif. D’autre part, un choc de la demande qui vient de la crainte des consommateurs que l’on voit clairement si l’on s’attarde sur l’essor des comportements d’épargne où le mot de précaution est omniprésent.
Contraction des carnets de commandes, allongement du crédit inter-entreprise, risque accru d’impayés sont autant d’éléments qui forment de sérieuses alertes pour les sociétés de toutes tailles sans omettre les artisans et autres indépendants.
Il est illusoire d’affirmer que nous pourrions traverser une telle mitraille sans de sérieux dommages.
Autrement dit, par un effet basique de dominos, le nombre de faillites peut rapidement s’accroître dans un pays où l’épidémie du coronavirus « ne fait que commencer » pour reprendre les termes du président Macron lors de son allocution du jeudi 12 mars 2020.
Parlant de cette date, elle restera celle du baptême du feu de Christine Lagarde dont le collège, au sein de la BCE, a été à rebours total des attentes des opérateurs financiers.
Si l’ancienne vigie compétente du FMI a démontré son aptitude à dompter des questions de comptes nationaux et de solvabilité macroéconomique des pays, en revanche nul ne peut applaudir sa prestation du 12 courant.
La présidente de la BCE en maniant faiblement l’arme du crédit a mis les places boursières à genoux. En effet, s’il était de bonne politique de ne pas situer davantage en terrain négatif les taux directeurs, il fallait de manière impérative relâcher certaines contraintes de la règlementation bancaire s’appliquant au crédit. Véritablement et pas avec une pince à sucre.
Les dirigeants d’une PME à Roanne ou à Morlaix n’auront jamais la trace historique de Madame Lagarde ni même le tiers de ses revenus mais ils sont en droit d’attendre que la BCE ne commette pas un contresens qui va priver leurs banquiers respectifs de pouvoir répondre, au moins partiellement, à leur crise de trésorerie.
Derrière une impasse de trésorerie se profile vite la silhouette du bâtiment abritant le Tribunal de commerce du ressort et la notion juridique funeste de procédures collectives.
Ne pas agir vite en matière de trésorerie sous deux mois, c’est assurément voir la courbe du chômage remonter.
Autant dire que la promesse de plan européen, issue de la visioconférence du début de la semaine, évalué à 25 Mds d’euros pour les 27 pays est une lourde déception d’autant que 7 Mds viennent de crédits structurels déjà engagés.
Dans l’allocution présidentielle, l’évocation un rien béate du niveau européen m’est apparue comme décalée eu égard à la notion d’urgence.
Quand j’ai voté oui en 1992, je n’escomptais pas une Europe de la palabre et de l’ankylose.
Selon mon entendement, il est urgent d’élaborer un plan de relance budgétaire de 30 Mds dont une large partie serait monitorée par la BPI et par une filiale ad hoc de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Flécher des ressources tangibles est plus crédible qu’un moratoire de charges évoqué par le président. Nous n’en sommes plus là et il faut agir plus fort. Sinon, ce sont des milliers de structures (sociétés, artisans, indépendants) qui vont exploser en vol et dont les salariés ne pourront pas, avec leurs valeureux entrepreneurs, franchir le cap Horn que l’Histoire économique et financière leur impose sans fard ni ménagement ni plan « B ».
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique