L’Union européenne vient de connaître son troisième échec sur la sortie de crise après le Conseil européen de ce jeudi 23 avril 2020. Etait-il utile de tenir un tel sommet virtuel en pleine pandémie sur la sortie de crise alors que rien de nouveau n’avait avancé depuis la dernière réunion du Conseil européen, s’interroge Patrick Martin-Genier.
Il a de nouveau été nécessaire de se livrer à un exercice d’équilibriste de communication politique pour dire que l’on avance ensemble dans la même direction alors qu’en réalité on diverge sur l’essentiel : la prise en charge de la dette des pays les plus affectés par la crise du Covid-19.
Un échec déjà programme
L’exercice de communication politique a donc bien été fait mais sans filet et la chute est sévère. L’échec était déjà programmé avant même la tenue du Conseil européen. Dans la lettre traditionnelle d’invitation aux chefs d’Etat et de gouvernement, le président du Conseil, Charles Michel, qui avait pris le soin de saluer l’unité européenne, avait sur le point précis des dettes déjà annoncé la suite : d’une part, la Commission européenne serait chargée d’étudier un futur budget pluriannuel car il ne serait pas possible de décider de mettre sur pied un fonds de relance lors de ce sommet. D’autre part, elle devrait établir un « lien » avec le cadre financier pluriannuel 2021-2027, une façon de dire que les moyens budgétaires de soutien économique et budgétaire pour la sortie de crise devraient en réalité être intégrés dans le futur budget de l’Union européenne.
D’ailleurs, il n’était prévu la signature d’aucun communiqué, ce qui a permis au final de fermer très rapidement cette séance qui n’était pas des plus utiles et agréables.
Les « durs » campent sur leurs positions
Tout s’est donc passé comme prévu. Les lignes n’ont pas bougé depuis le début de la crise.
L’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, l’Autriche, entre autres, ne veulent toujours pas entendre parler d’une mutualisation des dettes, quelle que soit la forme qu’elle pourrait prendre.
Quelques jours avant le Conseil, les présidents du Conseil italien Giuseppe Conte et le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez s’étaient exprimés dans la presse de leurs pays respectifs et européenne. Les idées les plus audacieuses avaient été de nouveau exprimées : un fond de relance de 1 500 milliards d’euros pour Pedro Sánchez, un fonds spécial de l’Union européenne géré par la Commission européenne chargé d’émettre des « dettes perpétuelles » dont ne seraient remboursés que les intérêts et pas le capital pour Guiseppe Conte. Autant d’idées inacceptables pour les pays « frugaux » qui n’ont même pas compris ce que signifiait cette idée.
Il était aussi exigé de la part de l’Italie et de l’Espagne que les sommes consacrées à la reconstruction ou la relance soient versées sous la forme de dons et de transferts inconditionnels et non pas sous forme de prêts assortis d’un certain nombre de conditions. Une telle idée était derechef incapable pour les frugaux !
Mission impossible pour la Commission européenne ?
Dès lors, il n’était pas possible d’aller plus avant. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont donc « botté en touche » en renvoyant la balle dans le camp de la Commission européenne. Mais là aussi, la stratégie est on ne peut plus claire. En demandant à la Commission de mettre sur pied le fonds de relance « en lien avec le cadre budgétaire pluriannuel » il est exigé d’Ursula Von der Leyen, sa présidente, ni plus ni moins que d’intégrer l’argent nécessaire au futur budget de l’Union européenne.
Il s’agit d’une injonction qui risque de faire de nouveau volé en éclat ce qui reste de l’unité européenne que l’on n’arrête pas de clamer sur les toits.
Pour le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, le nouveau « Monsieur non » de l’Europe, il va de soi que les dépenses consacrées à ce fonds qui devrait faire l’objet d’une ligne budgétaire particulière, devront venir en déduction d’autres dépenses de l’Union européenne. La question est donc de savoir quelles sont les dépenses qui seront les plus affectées : la politique agricole commune, les fonds structurels, le « Green deal » (politique environnementale et écologique) ?
Un exercice d’autosatisfaction
Malgré ces graves divergences, les différents chefs d’Etat ont tenté d’accréditer la thèse selon laquelle tout va bien et ont noyé l’échec dans un formidable exercice de prestidigitation inégalé jusqu’à ce jour. Guiseppe Conte s’est félicité des résultats alors qu’il était prêt il y a quelques jours à faire un nouvel esclandre. Le Premier ministre Pedro Sánchez a préféré ne pas prendre la parole et laisser sa ministre des Affaires étrangères s’exprimer sur le thème de la solidarité. Quant au président français Emmanuel Macron, il a déclaré, s’agissant de la souveraineté et de l’autonomie européennes : « l’Europe est au rendez-vous de l’Histoire ».
Il n’est pas certain que les peuples européens perçoivent le sens du message alors qu’ils appellent au secours.
La survie de l’Union européenne est en jeu ni plus, ni moins.
Il convient toutefois de mentionner que la Banque centrale européenne a accepté de procéder au rachat des « obligations poubelles » (« junk bonds ») des Etats dégradés en terme de notation internationale : il n’est pas certain que cela serve les intérêts de ces pays, notamment l’Italie où Giuseppe Conte doit aussi faire face aux tiraillements de sa propre coalition gouvernementale et de son opposition parlementaire.
La Commission européenne a jusqu’au 6 mai pour rendre sa copie.
Patrick Martin-Genier
Essayiste, spécialiste des questions européennes et internationales