Depuis un plus d’un mois, Veolia manœuvre pour réaliser une fusion avec son concurrent historique, Suez. Les bénéfices sont prometteurs, mais aujourd’hui, les deux rivaux rencontrent des difficultés à trouver un accord, comme nous le montre Jean-Yves Archer.
En cette fin du mois de Septembre 2020, le projet de rapprochement entre Véolia et Suez semble tourner au casse-tête notamment pour les membres du Conseil d’Administration d’Engie que l’un de ses actionnaires d’importance, le fonds d’investissement Amber presse d’accepter l’offre du groupe présidée par l’avisé Antoine Frérot. Cette offre consistant à lui céder les 30% du capital de Suez qui sont, à ce jour, sous la houlette d’Engie.
Initialement tout paraissait simple. D’abord, la taille du marché chère à l’économiste Adam Smith est bel et bien là. La demande en matière de services à l’environnement ( eau, traitement des déchets, énergie ) est estimée à près de 1.500 milliards d’€uros par an. Une fusion Véolia-Suez permettrait de constituer un groupe réalisant près de 50 Mds d’€uros de chiffre d’affaire. L’enjeu est donc conséquent et génère la complexité présente de ce dossier. Comme d’usage dans une perspective de fusion, le prétendant sait faire valoir ses atouts.
On entend parler de près de 0,5 Mds de synergies par une meilleure gestion des achats, des affaires immobilières mais aussi des prestations intra-nouveau groupe.
Rien que du classique où le facteur travail ( 270.000 salariés répartis dans le monde ) devrait être épargné selon les dires de Véolia ( en référence aux prescriptions de la Loi Florange relative au contenu social des OPA ) ce qui suscite toujours, du fait de l’expérience, un questionnement valide par-delà les seules analyses réticentes et légitimes des représentants syndicaux.
La mariée hypothétique n’est pas sans entendre la montée de la concurrence, notamment chinoise ( Beijing Group ) mais se proclame frontalement hostile à l’opération au moyen du bruit du rejet initial savamment orchestré.
A ce stade, il est opportun de garder en mémoire une phrase de Zhou Enlai : » Les deux Grands dorment ensemble mais ne font pas le même rêve « . Il visait, à l’époque, les relations entre les présidents Léonid Brejnev et Richard Nixon.
Ici, dans cette question relevant du monde des affaires, il y a un chemin français à établir mais il n’est pas certain que les deux protagonistes aient la même conception de l’enrochement et de la boussole des pavés à utiliser.
Au fond, chacun a une stratégie déjà bien arrêtée visant la croissance organique et ne pensait pas que l’opération de croissance externe serait, très précisément, un pavé dans la mare des parties prenantes, incluant l’État qui demande de l’apaisement et du temps pour une réflexion plus approfondie selon les propos réitérés du ministre Bruno Le Maire.
Sur l’échiquier du champ des possibles, Antoine Frérot avait adopté une démarche lisible. Rachat de la participation d’Engie ( 3 Mds pour 29,9% de Suez ) puis lancement d’une OPA sur le reste du capital disponible selon les termes suivants : OPA en numéraire ( et non en titres Véolia ) au prix de 15,50 €uros l’action ce qui représente 150% du cours de l’été.
Classique et éprouvé, ce mouvement a été lourdement contrarié par la décision fort tactique de Suez de loger, mercredi dernier, ses activités « Suez Eau France » dans une Fondation de droit néerlandais pour 4 ans afin de purger frontalement l’intérêt que présentait initialement la cible Suez dans son intégralité.
Le Fonds Amber a fort mal accueilli cette décision qu’il estime contraire à la valorisation de la participation d’Engie. Entre capitalistes flotte toujours le parfum du réalisme financier le plus viril…
Le mercredi 30 septembre, soit une semaine après ce coup de Trafalgar – lu comme un coup de Jarnac par Véolia – le Conseil d’Administration d’Engie devra décider. Selling or not selling, that is your question !
L’incertitude est acquise alors même que d’autres intervenants prennent position. Ainsi, le président de Paprec, Jean-Luc Petithuguenin a indiqué qu’en cas de fusion, son groupe pourrait dédier un à deux milliards à des rachats d’actifs.
En effet, il semble peu probable que le futur ensemble soit autorisé, par les Autorités de la Concurrence, à rassembler la totalité de la somme des périmètres initiaux de Suez et de Véolia. Ce point sensible avait bien évidemment retenu l’attention de la team Frérot dont les compétences et le relationnel sont reconnues.
Ainsi, dans le projet initial de rachat, Véolia comptait loger » Suez Eau France » parmi les actifs du Fonds Meridiam et ainsi détenir un dossier lui permettant d’écarter le risque de devoir céder certains de ses actifs. L’esquive de Suez lui renvoie la balle en donnant du crédit à une OPA globale qui pourrait aboutir mais ouvrirait un sérieux dossier au regard du concept de marché pertinent cher au régulateur concurrentiel.
Hic et nunc, une expertise du calibre de celle dévolue à Emmanuel Combe ne sera pas superflue. Quant à l’Europe, espérons que l’entregent de Thierry Breton fera effectivement de lui le Commissaire hardi – indirectement saisi – que nous escomptons depuis les rives gauche et droite de la Seine.
A ce stade, il est à nouveau urgent que les présidents Frérot ( Véolia ) et Clamadieu ( Engie ) travaillent avec le maximum d’harmonie possible tant les enjeux sont denses.
Or l’ambiance se tend nettement. Antoine Frérot n’a pas bien perçu – euphémisme – l’incessibilité de » Suez Eau France » pendant 4 ans d’autant que les dispositions de la Fondation de droit néerlandaise prévoient que le Conseil d’Administration compétent pour la dissolution de celle-ci supposent l’absence de changement de contrôle de Suez.
Le président de Véolia considère ce type de montage comme » une manœuvre un peu pitoyable » et a même déclaré, sur BFM, que Philippe Varin et Bertrand Camus » défendent leurs postes plutôt que leur entreprise et qu’agissant de la sorte, ils » trahissent leur entreprise et la France « .
L’ambiance relationnelle est désormais dégradée alors que l’ambition du chemin français que porte, à mon sens avec panache Véolia, demeure d’une importance capitale.
La NewCo qui émergera de cette bataille d’ego, de droit et de rivalités boursières sera un maillon crucial pour la transition écologique en France. Loin du traitement des eaux usées d’il y a 20 ans, la NewCo investira au moins 4 Mds par an pour lutter contre les déchets en polystyrène, certains des perturbateurs endocriniens déjà démasqués par les scientifiques ou encore dans les CSR : combustibles solides de récupération.
Face à cette urgence sociétale et possiblement franco-française, il est stratégique que les Pouvoirs publics ne s’attachent pas exagérément aux aspects patrimoniaux mais se battent – à l’étage supérieur – au point de devenir le GPS de ce chemin français.
Ce qui peut magistralement résulter d’un nouvel opérateur et d’une » big picture » pour notre pays ne doit pas être gâché.
Selon plusieurs travaux convergents, on sait que bien des fusions-acquisitions échouent en termes de création de valeur ou en termes sociaux.
Si des personnalités comme les regrettés Bernard Esambert ( conseiller industriel du Président Pompidou ) ou Dominique de La Martinière ( président de l’IDI : Institut de développement industriel dont Bernard Arnault himself peut attester de la vista dans l’affaire Boussac ) étaient aux côtés de Bruno Le Maire et d’Agnès Pannier-Runacher, alors le chemin français serait de gabarit autoroutier.
Si d’autres visiteurs du Soir, aux intentions plus personnelles, s’insinuent dans cette belle aventure, il est à craindre que le chemin français ne finisse en impasse et en pugilat juridico-financier.
L’autoroute ou l’impasse ? Cela passera nécessairement par de discrets rendez-vous au 55.1
Jean-Yves Archer
- 55 Faubourg Saint-Honoré, Palais de l’Élysée. ↩