C’est le message de l’historien Henry Kissinger : le critère d’une paix réussie est la réinsertion du vaincu dans le “concert des puissances” – comme le comprirent, en 1815, les monarchies coalisées qui, après avoir abattu l’empire napoléonien, accueillirent la France de la Restauration dans le cercle des Grands, jusqu’à laisser Talleyrand jouer les premiers rôles au Congrès de Vienne…
La thèse du futur secrétaire d’état, “Le chemin de la paix”, est un hommage à Metternich et à Castlereagh, ces architectes d’une nouvelle “structure de paix” qui, sur les ruines des guerres de la Révolution et de l’Empire, des vingt-cinq années de guerre civile européenne, parvinrent à éviter tout irrédentisme du côté du trouble-fête français et à fonder un ordre inter-étatique équilibré et “légitime” – un siècle de paix en Europe jusqu’à la conflagration de 1914. Suivit le contre-exemple : la paix manquée de 1919, les frustrations des vaincus, l’Allemagne humiliée, l’Autriche-Hongrie dépecée, la montée des totalitarismes dans une Europe “d’empires morts et de républiques malades”. Après la chute du Mur de Berlin, les vainqueurs “atlantiques”, les Etats-Unis et l’Europe occidentale, ont-ils manifesté la volonté de ré-insérer la Fédération de Russie, successeur de l’Union soviétique, la vaincue de la guerre froide, cette guerre mondiale qui n’a pas eu lieu ?
Peut-on cerner les occasions manquées, les raisons de l’échec d’un ancrage de la Russie dans un nouveau cercle occidental, élargi à l’Europe du centre et de l’est ? La brillante enquête de la journaliste Laure Mandeville auprès des acteurs et témoins de ces mois et années décisifs qui suivirent le 26 décembre 1991 – la démission de Gorbatchev, la résurrection de la Russie sur les ruines de l’Union soviétique – ne permet pas de trancher1. Manque d’imagination de dirigeants occidentaux, qui ne prirent pas les dimensions d’une situation nouvelle ? Ou volonté délibérée d’affirmer la victoire de l’Occident à l’heure de la plus grande faiblesse de la Russie ? Pour Jeffrey Sachs, l’économiste de Columbia qui assista le vice-Premier ministre russe Egor Gaïdar, à l’heure du basculement de l’économie d’état vers le marché, le manque d’intérêt pour la Russie des administrations George Bush senior puis Clinton fut déterminant : “C’était comme se heurter à un mur… La priorité était de gagner la guerre froide, non d’intégrer la Russie. Les traitements de Moscou et de Varsovie furent si différents. Il était déjà clair que la Pologne serait la frontière de l’alliance occidentale”. Au contraire, pour le dernier ambassadeur américain en Union soviétique, Jack Matlock, George Bush senior s’était complètement investi sur la “question russe” : il tenta de prévenir le démembrement de l’Urss et fit le voyage de Kiev pour plaider auprès de l’Ukraine la cause d’une Urss “maintenue et démocratisée” ; ainsi, “ce n’est pas la pression américaine qui mit fin à l’empire soviétique, c’est la pression interne”. Par contre, Matlock comprend les “frustrations russes sur l’élargissement de l’Otan : le seul sujet sur la table était la réunification de l’Allemagne et son entrée dans l’Otan. Cette approche a changé sous Clinton”. Ancien secrétaire d’état adjoint, passionné de la Russie – il rédigea une thèse sur le poète Maïakovski – et ami personnel de Bill Clinton, Strobe Talbott s’inscrit en faux contre cette mise en accusation : les pensées du président démocrate auraient été tournées vers Eltsine et la nécessité d’aider le nouveau régime russe ; mais les états-Unis auraient été réduits au rang de spectateur passif face au discrédit de la démocratie naissante, l’apparition d’une oligarchie prédatrice, la répression en Tchétchénie2. En ces mois décisifs, les dirigeants américains et occidentaux ont été impuissants à concevoir un nouveau système de sécurité à même d’intégrer la Russie. Nous permettra-t-on un hommage rétrospectif ? Il aura manqué aux états-Unis et au monde une diplomatie créatrice à la manière de celle de Nixon et de Kissinger dans les années 1970.
Reste qu’une “bévue stratégique épique” a été commise, selon les mots de George Kennan, le grand théoricien de la guerre froide, à l’encontre de la Russie, héritière “privilégiée » de l’ancienne Urss, avec 75 % du territoire, 51 % de la population, 76 % des entreprises de production, 90 % de l’extraction pétrolière. Son rôle dans l’ancienne Union demeure essentiel : la zone rouble continue d’exister, les liens économiques sont encore très forts, le russe est une langue commune, l’armée russe est présente dans les nombreux conflits qui embrasent l’espace post-soviétique, comme intercesseur entre les belligérants ou comme pacificateur au côté de l’une des parties… La Russie est le “gendarme obligé” lorsqu’elle est contrainte, par l’ensemble des états d’Asie centrale qui craignent l’apparition d’un pouvoir islamiste fondamentaliste, d’intervenir dans la guerre civile du Tadjikistan. Dans le Caucase, elle est tentée de jouer les “pompiers incendiaires” : dans la Géorgie d’Edouard Chevardnadze, elle avait aidé discrètement la sécession de l’Abkhazie ; face à l’Azerbaïdjan, elle aurait soutenu les Arméniens du Nagorny Karabakh –en s’appuyant alternativement sur diverses minorités insurgées, elle allume un incendie pour être appelée à l’éteindre, le but étant non le maintien de la paix mais la recomposition de l’ancienne Union. Ailleurs, elle est directement impliquée : le statut de la Crimée, conquête de Catherine II, peuplée principalement de Russes depuis la déportation des Tatars par Staline, constitue, dès l’implosion de l’Urss, un abcès entre la Russie et l’Ukraine ; le destin des populations russes de Transnitrie ouvre un contentieux avec la Moldavie. Ukraine et Moldavie invoquent l’intégrité de leurs territoires, le respect des frontières entre les nouvelles républiques issues de l’Urss, alors qu’à la Douma de Moscou, des députés parmi les plus libéraux s’appuient sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes3.
La Russie de 1994 aurait-elle obtenu l’accord tacite des principales puissances sur sa conception du maintien de la paix ? Un expert russe reconnu, Alexei Arbatov, en est persuadé ; il croit pouvoir constater un nouveau partage – inégal – des zones d’influence : “la Russie confinerait ses activités à l’ancienne zone géopolitique de l’Urss, les états-Unis et leurs alliés seraient en charge des affaires mondiales et des autres affaires régionales”. Le 6 septembre 1994, Madeleine Albright, alors ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Onu, semble ratifier l’analyse d’Arbatov : “Parmi tous les nouveaux Etats indépendants, seule la Russie a les ressources, l’intérêt direct et le leadership nécessaires pour résoudre les problèmes de la région”. Des avancées : le 31 mai 1995, la Russie ratifie un “partenariat” avec l’Otan, un statut spécial “d’associé” lui est reconnu ; le 27 mai 1997, est signé à Paris “l’Acte fondateur Russie-Otan” – un “conseil permanent” de consultation et de coopération et une mission permanente de la Russie auprès de l’Otan peuvent permettre à la Russie de prendre sa part des opérations de maintien de la paix, voire d’être indirectement associée aux décisions de l’alliance4. Le scénario de l’entente fut même mis en œuvre avec la participation de 1 500 soldats russes à l’opération “Effort concerté” en Bosnie, au côté de la Force de l’Otan. Une coopération hautement symbolique : dans le bâtiment qui abrite la mission russe au quartier-général de l’Otan à Mons travaillaient naguère les équipes chargées de préparer la riposte à un acte agressif éventuel de l’Urss en Allemagne ! Une éclaircie éphémère : l’intervention de l’Otan au Kosovo va entraîner la suspension de l’Acte fondateur.
Vladimir Poutine reprend alors les propositions de Boris Eltsine : lors de sa rencontre avec le Second Bush en juin 2001, à Ljubljana, en Slovénie, il suggère une “relation spéciale” avec Washington, la reconnaissance du leadership mondial des états-Unis en échange d’un statut d’allié, avec un droit de regard privilégié sur l’ancien empire soviétique. Dans un discours prononcé le 18 mars 2014, il s’engage à protéger, à n’importe quel prix, les “Russophones”, les Russes ethniques qui vivent à l’extérieur de la Russie, sur les terres de l’ancienne Union. Une méthode originale, qui déconcerte l’Occident : la prise de contrôle de marches frontalières érigées en républiques séparatistes s’étend… de l’Ossétie du Sud face à la Géorgie de Saakachvili en août 2008 à Donetsk dans l’Ukraine déstabilisée du printemps 2014, après le retour de la Crimée à la Russie. La question des “Russes ethniques” est revenue au cœur des ambitions russes.
Les “pouvoirs spéciaux” dans l’ancienne Union, revendiqués par Eltsine et Poutine, ne sont pas contraires à la Charte des Nations unies, qui fait appel, à son chapitre VII, au bras séculier des états et les laisse exercer une légitime défense individuelle et collective : des accords, même purement bilatéraux, pourraient autoriser les Russes à intervenir5. Mais une série de faux procès sont ouverts, à intervalles réguliers, contre la nouvelle diplomatie russe. Moscou mettrait en œuvre une nouvelle “doctrine Brejnev”, résurrection de la “souveraineté limitée” de sinistre mémoire ? L’allusion est hors de propos : les interventions du pacte de Varsovie étaient décidées à Moscou et non sur la demande du gouvernement directement concerné ; elles avaient pour but de rétablir une “conformité idéologique”. Aucun de ces deux éléments ne se retrouve aujourd’hui : la Russie ne poursuit aucune ambition idéologique ; la demande du gouvernement légal intéressé est présentée comme un élément incontournable6. Un accord sur les “pouvoirs spéciaux” à concéder à la Russie serait considéré comme un nouveau Yalta ? Le diplomate britannique Christopher Granville parle plus exactement d’une “sorte de doctrine Monroe”. Quant aux réquisitoires dénonçant un nouvel impérialisme russe, Hélène Carrère d’Encausse avait répondu, par avance, que “l’opinion russe se reconnaît dans une Russie forte et respectée, mais ne rêve ni d’empire, ni de puissance démesurée”.
Une “politique russe” de l’Occident pourrait enlever à la nouvelle Russie son sentiment d’isolement au sein du système paneuropéen. D’une part, en mettant un terme à “l’hubris” des élargissements successifs de l’Otan. Pourquoi repousser aux frontières de la Russie les frontières de la nouvelle Europe des libertés, du nouvel Occident ? N’est-ce pas sous-entendre la réapparition d’un nouvel “ennemi global”, cet euphémisme qui désignait, dans les premiers programmes du Pentagone de l’Après-guerre froide, une Russie qui serait redevenue agressive ? D’autre part, l’Occident pourrait ne pas laisser à la seule Russie le soin de superviser l’application des droits fondamentaux, dans l’ancien espace soviétique, aux minorités russes ou russophones. Mais, à l’heure de l’embrasement de l’Ukraine et de la tentation du retour à la guerre froide, Vladimir Poutine redécouvre les recettes de l’ère Nixon-Kissinger : la Russie esquisse une alliance de revers avec Pékin – et s’enracine dans le groupe des états émergents.
Refus d’insérer la nouvelle Russie dans le concert euro-atlantique – une Russie considérée comme “l’ennemi global”, l’ennemi virtuel, cible d’une “nouvelle guerre froide” déplorée par Mikhaïl Gorbatchev. Refus de reconnaître la diversité des systèmes internationaux de l’Après-guerre froide, avec leurs cultures et leurs normes particulières, au nom d’une posture morale supposée supérieure – le nouveau socle de l’arrogance des nations de l’Ouest. Cette double erreur de l’Occident est, aujourd’hui, dénoncée par Kissinger, à rebours de la pensée dominante.
Exclusion de la nouvelle Russie ? “La reprise de la guerre froide serait une tragédie historique”. Dans un entretien avec le magazine allemand Der Spiegel, le 10 novembre 20147, Kissinger feint de s’interroger : la Russie a dépensé plusieurs dizaines de milliards de dollars pour l’organisation des Jeux olympiques de Sotchi ; c’était, pour elle, une manière de s’affirmer comme un état moderne, lié à l’Occident par sa culture et désireux de faire partie de l’Occident. Pourquoi alors, dans les semaines qui ont suivi, Vladimir Poutine a-t-il cherché à faire main basse sur la Crimée et à commencer une guerre avec l’Ukraine ? “Ce n’était pas un mouvement vers la conquête globale, ce n’était pas Hitler se déplaçant vers la Tchécoslovaquie”. “S’ils sont honnêtes”, l’Europe et les Etats-Unis doivent admettre qu’ils ont “au moins une part de responsabilité” : ils n’ont pas compris l’impact des négociations économiques engagées entre Kiev et l’Union européenne, la “signification spéciale” que l’Ukraine a toujours eu pour la Russie, le statut particulier de la Crimée – “c’était une erreur de ne pas le réaliser”. En outre, “l’appartenance à l’Otan n’est pas une loi naturelle” ; les alliés atlantiques ne seront jamais unanimes pour l’entrée de l’Ukraine en leur sein.
Et Kissinger de rappeler que la Russie “constitue une part importante du système international” – elle seule peut contribuer à l’établissement d’un équilibre des puissances, face à la superpuissance militaire américaine. Sa participation est également essentielle pour la résolution de nombre de crises, à commencer par la guerre civile en Syrie (“Je n’accepte pas l’idée que la crise syrienne puisse être interprétée comme l’affrontement entre un dictateur impitoyable et une population impuissante ; et que la population deviendra démocratique si vous enlevez le dictateur”) et par la question de l’éventuel armement nucléaire iranien. L’Iran de 2014 peut-il être comparé à la Chine de 1972 ? La coopération avec une superpuissance régionale isolée ne pourrait-elle réussir avec Téhéran, comme elle a réussi avec Pékin, il y a quarante ans ? L’homme des missions secrètes à Pékin reste sceptique : la Chine de la Révolution culturelle était vulnérable face à l’Union soviétique ; sa liaison avec les Etats-Unis lui permettait d’échapper à la menace de Moscou. “Aucune motivation de ce genre n’est évidente dans les relations entre l’Iran et l’Occident”… encore que la vision internationale des Ayatollahs de Téhéran puisse être modifiée par la menace que “l’Etat islamique en Irak et au Levant” brandit sur l’Iran comme sur l’Occident.
Diversité des systèmes internationaux ? Dans un nouvel essai, “World order”, publié en septembre 20148, Kissinger constate que l’ordre international libéral, promu pour l’Après-guerre froide par les Etats-Unis, est contesté dans sa nature-même. L’ancien secrétaire d’état corrige la prédiction qu’il énonçait dans “Diplomacy”9 : le nouvel ordre ne consacrera pas nécessairement un retour à l’Europe d’avant Sarajevo 1914, à l’Europe des états et des souverainetés. Plusieurs systèmes internationaux coexistent, nés de la géographie et de la diversité des expériences historiques ; notre auteur en distingue au moins quatre : le système classique des traités de Westphalie, fondé sur l’équilibre des puissances, le respect des souverainetés étatiques, le principe de non-ingérence, l’indépendance et l’égalité des Etats, qui lui semble toujours le meilleur garant de la paix, le système à vocation impériale de la Chine, le système supranational de l’Islam, celui de la “communauté des croyants”, et le système messianique wilsonien, qui repose sur la diffusion du message des Etats-Unis – démocratie pluraliste et libre-échange économique.
Kissinger ferait-il un pas vers le “choc des civilisations”, cher à Samuel Huntington ? Non, il ne s’agit pas, pour lui, d’un conflit entre ce qu’il préfère appeler des “cultures”, mais d’une compétition entre des ensembles de principes organisateurs, certes contradictoires, hétérogènes. L’essence de la diplomatie reste de parvenir à un alliage du pouvoir et de la légitimité, à un équilibre des puissances qui ne procurera la sécurité aux états-acteurs que s’il est conforté par un principe unificateur. L’idéal est dans l’alliance, l’association des divers systèmes culturels face aux menaces communes, du terrorisme à la dispersion anarchique des armements nucléaires en passant par la montée des intégrismes. La voie est étroite : le réalisme brut, les “calculs de pouvoir sans dimension morale”, secrètent rapports de force et ambitions illimitées ; les prescriptions morales, amputées de toute préoccupation d’équilibre, produisent l’esprit de croisade ou l’impuissance accolée à une politique sans les nuages, simplement proclamée. Un ordre mondial affirmant la dignité individuelle et l’acceptation de règles communes par les états est le but encore lointain à atteindre – au fil d’étapes intermédiaires.
Reste que l’Occident d’aujourd’hui, diplomatie compassionnelle et utopie des droits de l’Homme au poing, pourfend l’héritage de l’Europe de Westphalie… ou de Metternich, alors que cet héritage est accepté, sans inventaire, par les nouveaux venus sur la scène du monde, ces états émergents qui se comportent en gardiens d’un ordre international qu’ils souhaitent investir et des principes classiques de souveraineté et de non-ingérence ! L’ironie de la situation aura certainement réjoui le plus célèbre des disciples de Metternich.
Charles Zorgbibe, agrégé de droit public, professeur émérite à la Sorbonne, ancien recteur
Photo : World Economic Forum/Wikimedia Commons
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(1) Laure Mandeville, “Comment l’Amérique a perdu la Russie”, Le Figaro, 17 et 18 avril 2014.
(2) Strobe Talbott, “The Russia Hand”, New York, Random House, 2002.
(3) Olga Efremova, “Les politiques extérieure et militaire de la Fédération de Russie dans l’étranger proche”, Mémoire, Université de Paris-1, 1994.
(4) Charles Zorgbibe, “La France, l’ONU et le maintien de la paix”, Presses universitaires de France 1996, pages 127-128.
(5) Mikhaïl Lebedev, “Les relations entre la Russie et l’Otan dans le cadre de la nouvelle architecture de sécurité européenne”, thèse Paris-1, décembre 2000.
(6) “La France, l’Onu et le maintien de la paix”, déjà cité, pages 135-137.
(7) Si l’affaire de Tchétchénie relève de la souveraineté limitée, c’est par nature puisqu’il s’agit d’une république autonome, membre de la Fédération de Russie.
(8) “Do we achieve a world order through chaos or insight ?”, entretien d’Henry Kissinger avec Juliane von Mittelstaedt et Erich Follatt dans Der Spiegel, n° 46-2014. Une critique parallèle de la vision et de l’action occidentales est publiée, en septembre-octobre 2014, par Foreign Affairs : John Mearsheimer, “Why the Ukraine crisis is the West’s Fault”.
(9) “World Order. Reflections on the character of nations and the course of history”, New York, Penguin Press, 2014.
(10) “Diplomacy”, New York, Simon and Schuster, 1994.
- Laure Mandeville, “Comment l’Amérique a perdu la Russie”, Le Figaro, 17 et 18 avril 2014. ↩
- Strobe Talbott, “The Russia Hand”, New York, Random House, 2002. ↩
- Olga Efremova, “Les politiques extérieure et militaire de la Fédération de Russie dans l’étranger proche”, Mémoire, Université de Paris-1, 1994.
Cruel dilemme pour la Russie, sommée de choisir entre la “solidarité des Russes” et la nécessité de ne pas paraître “impérialiste” vis-à-vis des autres républiques issues de l’Urss ! L’éclatement de l’Union a provoqué le démembrement de “l’espace ethnique russe” – comme en Yougoslavie, les limites administratives des états fédérés sont devenues frontières internationales des nouveaux états, sans prendre en compte la géographie humaine, la répartition des peuples et communautés. La question des minorités “russes ethniques” ou “russophones” dans les états issus de l’Urss prend une importance toujours plus grande. La transformation des membres de ces minorités en citoyens de second rang, voire en ressortissants étrangers, les traitements parfois discriminatoires auxquels ils sont soumis, la construction à leurs dépens d’une conscience nationale par les nouvelles classes dirigeantes, constituent le socle de conflits potentiels entre la Russie et ses voisins de “l’étranger proche”, tandis que le destin des communautés russes minoritaires au sein des républiques voisines embrase les sentiments nationaux-patriotiques en Russie. Le problème “russe ethnique” devient un aspect fondamental de la situation politique interne de la Fédération de Russie.
De Boris Eltsine à Vladimir Poutine, de 1993 à 2014 – une traversée de plus de vingt années ! – une même revendication : la reconnaissance à la Russie de “pouvoirs spéciaux” dans l’ancien espace soviétique. Le 28 février 1993, Eltsine évoque, devant les députés de l’Union civique, une coalition de partis centristes, un groupe-charnière dont l’appui lui est alors indispensable dans le combat parlementaire, le rôle de la Fédération de Russie comme “gendarme régional” : “la pratique montre que personne, à l’exception de la Russie, n’est prêt à supporter le fardeau du maintien de la paix dans la région de l’ancienne Union”. Le 3 mars 1993, le gouvernement russe fait tenir aux Nations unies une note sur “les nouvelles réalités géopolitiques » (de l’ex-Urss) : il décrit l’émergence d’une “nouvelle génération de conflits”, caractérisée par un “nationalisme agressif” et des contradictions entre souveraineté étatique et droit à l’autodétermination. En décembre 1993, le ministre des Affaires étrangères Andreï Kozyrev présente la position russe à ses collègues de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, qui lui opposent une sécurité collective centralisée aux mains “de l’Onu et de son Conseil de sécurité” : “il n’appartient pas à tel ou tel pays de dire le droit international ou de décider le maintien de la paix”. Le 28 janvier 1994, lors de sa rencontre avec Jiang Zemin, secrétaire général du Parti communiste chinois, le chef de la diplomatie russe se veut plus incisif : “l’Occident nous accuse de « néo-impérialisme », détournant ainsi les gens du vrai problème qui est : comment maintenir l’ordre dans l’espace post-soviétique ? ”[4. Charles Zorgbibe, “La France, l’ONU et le maintien de la paix”, Presses universitaires de France 1996, pages 127-128. ↩
- Mikhaïl Lebedev, “Les relations entre la Russie et l’Otan dans le cadre de la nouvelle architecture de sécurité européenne”, thèse Paris-1, décembre 2000. ↩
- “La France, l’Onu et le maintien de la paix”, déjà cité, pages 135-137. ↩
- Si l’affaire de Tchétchénie relève de la souveraineté limitée, c’est par nature puisqu’il s’agit d’une république autonome, membre de la Fédération de Russie. ↩
- “Do we achieve a world order through chaos or insight ?”, entretien d’Henry Kissinger avec Juliane von Mittelstaedt et Erich Follatt dans Der Spiegel, n° 46-2014. Une critique parallèle de la vision et de l’action occidentales est publiée, en septembre-octobre 2014, par Foreign Affairs : John Mearsheimer, “Why the Ukraine crisis is the West’s Fault”. ↩
- “World Order. Reflections on the character of nations and the course of history”, New York, Penguin Press, 2014. ↩
- “Diplomacy”, New York, Simon and Schuster, 1994. ↩