La victoire de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique a été incontestablement l’élément politique majeur de 2024. Personne en Europe ne s’attendait à son élection. Dans leur quasi-unanimité, les commentateurs, experts et autres politologues spécialistes des États-Unis se sont lourdement trompés en prévoyant une victoire inéluctable de Kamala Harris. Ces erreurs ont montré la grande défaillance des médias dans l’évaluation des situations politiques dans les pays démocratiques et sur les sondages.
Des erreurs d’analyse politique en Europe
Ces erreurs furent d’abord le fait d’experts américains eux-mêmes, dont certains avaient estimé sur la base d’études prétendument scientifiques que Kamala Harris était certaine d’être élue présidente des États-Unis. Ces études étaient censées se fonder sur des analyses sociologiques des grandes villes et banlieues qui posaient comme postulat que les électeurs ne pouvaient voter que pour la vice-présidente dès lors que beaucoup d’entre eux appartenaient à des minorités ethniques, notamment afro-américaines et hispano-américaines. Ce fut la première grosse erreur. L’appartenance ethnique n’a pas été, en tout cas dans une bonne partie du pays, un élément déterminant.
Si les Afro-Américains ont bien évidemment réprouvé les propos racistes de Trump et de son clan républicain extrémiste, les électeurs ne se sont pas arrêtés à ces problématiques. Beaucoup ont voté pour lui pour des raisons liées au pouvoir d’achat. Les principales préoccupations ont porté sur l’économie et le social, notamment l’inflation, la préservation des emplois, la fermeture des usines, mais également la guerre en Ukraine et à Gaza. Ces problématiques l’ont ainsi emporté sur le reste. Même à New York, où le vote est majoritairement démocrate, le trumpisme a considérablement progressé.
L’irrésistible ascension de Donald Trump
Le sentiment, tout irrationnel qu’il soit, selon lequel la vie était meilleure sous Donald Trump, a dominé. De nombreuses personnalités républicaines avaient lâché Donald Trump en pensant qu’il était devenu trop sulfureux, infréquentable, notamment pour la bonne société pensante, l’élite de la nation. On peut citer à cet égard l’ancienne parlementaire Liz Cheney, fille de l’ancien vice-président de George Bush, Dick Cheney (2001-2009), qui tous les deux s’étaient prononcés pour la candidate démocrate. On peut également mentionner Nikki Haley, pourtant ancienne ambassadrice aux Nations unies nommée par Donald Trump lors de son premier mandat, ancienne gouverneure de Caroline du Sud, mais qui avait fini par revenir dans le giron trumpiste après avoir été sévèrement battue lors des primaires du Parti républicain.
Ces primaires ont été une succession de victoires éclatantes pour Donald Trump, qui ont montré que plus rien ne pouvait s’opposer à cet outsider, extérieur à l’establishment politique qui s’en est toujours moqué et qui a complètement vampirisé le Parti républicain.
Le soir de l’élection du 5 novembre 2024 a confirmé son irrésistible ascension. Il a été très rapidement évident sur place, après le comptage des délégués dans les premiers États, que Donald Trump sortirait vainqueur de cette élection, contre toute attente en Europe.
La mauvaise campagne de Kamala Harris, entrée tardivement dans la course présidentielle
L’autre cause de la défaite cinglante de Kamala Harris a été la mauvaise gestion de sa campagne. Si la vice-présidente a fait preuve de courage et de détermination dans la dénonciation des dérives racistes et réactionnaires de Donald Trump, elle n’a pas su s’affranchir des sujets sociétaux tels que celui, combien fondamental, de l’avortement. Si ces sujets ont été très sensibles dans la foulée du renversement de la jurisprudence Roe versus Wade de 1973 par une décision historiquement régressive de la Cour suprême des États-Unis intervenue le 24 juin 2022, avec ses conséquences sur le droit à l’avortement des femmes qui en a résulté dans plusieurs États américains, cette problématique n’a pas retenu l’électorat réactionnaire acquis à Donald Trump.
En revanche, la question de l’immigration qui faisait partie des responsabilités confiées par le président Joe Biden à sa vice-présidente a été centrale aux États-Unis lors de la campagne électorale. Kamala Harris a été rendue responsable de ce que les électeurs, à tort ou à raison encore une fois, ont considéré comme un échec patent. Il n’est pas démontré scientifiquement que l’administration démocrate aurait été plus défaillante sur cette question que les administrations précédentes, mais, dans un contexte où les réseaux sociaux et le complotisme ont pris le dessus sur le débat démocratique traditionnel et la réalité des faits, Kamala Harris n’a pas su renverser la tendance de fond à ce sujet.
La candidate démocrate a aussi souffert de la tardiveté avec laquelle le président Biden, atteint manifestement de troubles intellectuels et cognitifs, a tardé à lui passer le flambeau. Cela n’a été envisagé que sous la pression de plusieurs personnalités démocrates telles que Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants, dont l’acharnement contre Donald Trump a pu apparaître contre-productif parmi un électorat profondément acquis à la thèse selon laquelle l’élection de 2020 avait été volée et que Donald Trump aurait dû être élu.
L’absence de vigilance des médias
L’histoire retiendra qu’en Europe, les prévisions des instituts de sondages et des médias ont été totalement erronées sur l’issue de cette élection. Si des analyses plus fines avaient été réalisées, il aurait été possible pourtant de déceler des failles et des erreurs dans les sondages. Beaucoup de commentateurs,emportés par leur aversion envers Donald Trump, n’ont pas pris la mesure de cette lame de fond qui traversait l’électorat américain. Un ancien ambassadeur de l’administration Obama refusait ainsi dans les médias, jusqu’au plateau du 5 novembre en direct à Washington, de prononcer le nom de Donald Trump et s’obstinait à parler de « la présidente Kamala Harris ».
Paradoxalement, les seuls intervenants à avoir prévu une large victoire de Donald Trump ont été des représentants du parti républicain en Europe et en France, lesquels ont endossé les propos et dérives du candidat républicain, dont un militant franco-américain qui s’était présenté sous l’étiquette du Rassemblement national aux élections législatives du mois de juin 2024 en France, et au final, le résultat du 5 novembre leur a donné raison et les a confortés dans leurs analyses.
Les observateurs ont sans doute aussi sous-estimé l’impact de la rhétorique trumpiste en Europe où, au cours de ces trois dernières années, de nombreux gouvernements ont été formés à partir d’une majorité populiste et d’extrême droite. Les experts n’ont ainsi pas suffisamment fait le lien entre cette montée du populisme en Europe et celle que représente Donald Trump aux États-Unis.
Au final, la victoire de Donald Trump aussi bien pour la Maison-Blanche que pour la présidence du Sénat et de la Chambre des représentants a constitué un coup de tonnerre qui a frappé d’un seul coup. L’Europe va devoir assumer au cours des quatre prochaines années cette erreur de jugement. Il se pourrait même que la lame de fond trumpiste se déverse encore plus en Europe lors des prochaines élections en raison de la résonance de plus en plus importante des rhétoriques que porte le nouveau président des États-Unis.
Patrick Martin Grenier