Pour Serge Guérin, professeur de sociologie à l’Inseec SBE, il convient de repenser la question de l’emploi et prendre la mesure des besoins sociaux non pris en compte par le marché.
A mesure que notre espérance de vie a augmenté, notre espérance de vie professionnelle a diminué. Il y a comme un paradoxe. Les jeunes les moins qualifiés restent sur le pas de la porte des entreprises ; d’autres, plus diplômés, multiplient stages et apprentissages avant de pénétrer dans l’entreprise.
Côté seniors, dès 45 ans, compliqué de rester en emploi. Et après 50 ans, guère de chance de retrouver un job stable ou de continuer de se former. On évoque un âge pivot ?
Prenons aussi en compte qu’aujourd’hui plus de 50 % de ceux qui font valoir leur droit à la retraite sont déjà hors de l’emploi.
Cette réalité est un sacré angle mort du débat sur la réforme des retraites.
La France doit faire face à certaines spécificités : faible valorisation des services, retard en termes de robotisation, démographie tonique qui conduit à ce que beaucoup de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, image très dégradée des seniors, faible sentiment d’être valorisé au travail, désir de quitter l’emploi au plus tôt…
C’est en grande partie ces caractéristiques qui expliquent tout refus d’allonger la vie professionnelle, alors que dans de nombreux pays comparables, l’acceptation sociale semble plus forte.
Que sera l’emploi demain ? Si les prévisions divergent, les experts s’accordent sur le fait qu’une partie vont disparaître et que de nombreux autres, vont éclore.
Alors, quelque soit la puissance de ces transformations, l’accès à l’emploi concernera d’abord la qualification, la compétence. Toutes les études montrent qu’en termes d’insertion professionnelle, la ligne de fracture concerne le niveau et, surtout, la valeur du diplôme. Les jeunes sont réputés plus aptes à l’innovation, plus modernes… Sale temps demain pour les seniors ? Sauf qu’il n’y aura pas suffisamment de personnes compétentes pour faire l’économie du savoir-faire des seniors.
Que sera l’emploi demain ? Un non-sujet, si l’on suit ces spécialistes de l’avenir qui évoquent la fin du travail, l’instauration d’un revenu universel, la société des robots…
Dans cette optique, plus d’histoire et aucune opposition entre jeunes et vieux puisque toutes les générations seront logées à la même enseigne. Sale temps pour l’emploi ? A voir, car les besoins en métiers du care et de l’accompagnement sont immenses.
Que sera l’emploi demain ?
La société qui vient sera à la fois plus complexe, plus performante, plus exigeante, mais aussi plus vieillissante et fragilisante…
Aussi, le besoin devrait être croissant pour des personnes, de tous les âges, disposant de savoir-être, formés aux soft skills, sensibles à la préservation de l’éco-système, capables d’accompagner les âgés, les fragiles, les non qualifiés. Ces métiers concernent aussi bien la santé, l’accompagnement social, l’adaptation à la transition écologique et à la transition démographique, la protection, l’enseignement et l’éducation… Ils renvoient au sens large au care et à une logique de prévention. Beau temps pour l’emploi. Disposer d’un minimum d’expériences serait plutôt un avantage pour s’acquitter de telles missions.
Plus largement, ne faudra-t-il pas repenser la question de l’activité versus de l’emploi et prendre la mesure des besoins sociaux non pris en compte par le marché ?
L’affrontement entre jeunes et seniors n’est pas écrit. Tout dépendra si nous laissons la société française continuer de se fragmenter ou si nous inventons un projet partagé fondé sur l’accompagnement et la sollicitude.
Serge Guérin
Professeur de sociologie à l’Inseec SBE
Dernier ouvrage Les quincados, Calmann-Lévy et en co-direction, « Médecines Complémentaires et Alternatives. Pour ou Contre ? », Michalon